Les activités agricoles sont souvent pointées du doigt comme étant responsables en grande partie de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre et donc du réchauffement climatique. Si la contribution de l’agriculture et de l’élevage africains à ce phénomène demeure faible, comment leur potentiel d’atténuation peut-il être valorisé ?
Les émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales ont atteint, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), 49 Gt d’équivalent CO² en 2004. Le dioxyde de carbone (CO²) constitue les 3⁄4 de ces émissions, contre 14% pour le méthane et 8% pour l’oxyde nitreux. La comptabilité des émissions de GES utilisée par la convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC) comprend 5 grands secteurs : énergie (47% des émissions), industrie (19%), utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie (UCATF — 17%), agriculture (14%) et déchets (3%). Aujourd’hui encore, les pays développés restent les principaux responsables du réchauffement climatique. L’Afrique n’émet que 1,2 Gt de CO², soit à peine 4% du total mondial.
Quelle contribution de l’agriculture africaine aux émissions de gaz à effet de serre ? Il faut dans un premier temps expliquer ce que l’on entend par UCATF (ou CATF), car la façon dont ce secteur est comptabilisé, indépendamment des activités agricoles, fait débat. En effet, l’utilisation des terres et le changement d’affectation des terres provoque des émissions de CO² quand il correspond à la mise en culture de forêts ou de prairies ; en revanche, il permet le stockage du carbone dans les cas de déprise agricole ou de reforestation. Ce secteur peut donc avoir un effet positif ou négatif sur les émissions de GES (cf. graphique). Ainsi, dans les systèmes d’agriculture de défrichebrûlis, par exemple, la séparation entre secteur agricole et UCATF semble bien peu pertinente.
Graphique: Émissions de GES des pays africains par secteur, en Gt de CO2
Source des données : UNFCCC, 2005
Les pays africains émettent, hors secteur UCATF, environ 1,6 Gt de CO² par an. Les émissions de CO² provenant des combustibles fossiles sont prédominantes (43%) au niveau continental, mais le N2O et surtout le CH4 — émis essentiellement par l’agriculture — concentrent 80% des émissions de GES de l’Afrique subsaharienne hors Afrique du sud. Cette répartition des GES reflète à la fois le faible développement des services énergétiques et l’importance de l’agriculture dans l’économie de ces pays.
L’agriculture africaine participe aux émissions de GES à hauteur de 0,59 Gt de CO² par an, soit environ 1,5% des émissions mondiales et 10% des émissions mondiales du secteur agricole. La part de l’agriculture dans les émissions de GES des pays africains est de 37%. Toutefois, les chiffres du secteur agricole ne correspondent qu’aux émissions directement imputables à l’agriculture ; or une partie des impacts de l’agriculture est comptabilisée dans d’autres secteurs tels que l’énergie (utilisée pour le transport, la climatisation etc.), l’industrie (production d’engrais) ou le secteur UCATF.
Si les émissions correspondant à l’énergie et à l’industrie peuvent être considérées comme relativement peu importantes au regard des émissions globales de GES par l’agriculture, il n’en va pas de même de celles liées à l’UCATF. Ainsi, parmi les 43 pays africains ayant communiqué des données à la CCNUCC, 23 présentent un secteur « agriculture + UCATF » classé « puits nets de carbone », alors que pour 14 pays, au contraire, le secteur UCATF seul est « émetteur net » de GES (cf. carte).
Carte: Contribution du CATF aux émissions de GES des pays africains
On constate donc que l’agriculture africaine est très peu émettrice de GES à l’échelle mondiale, et qu’elle dispose en plus d’un potentiel important d’atténuation au travers du secteur UCATF. Pourquoi les groupes d’experts sur le changement climatique voient-ils alors un tel enjeu dans la limitation des émissions des GES du secteur agricole africain ? C’est que l’Afrique va devoir augmenter rapidement sa production alimentaire, afin de faire face à la fois à la sous-alimentation chronique actuelle et à l’augmentation de sa population dans les années à venir. Promouvoir une agriculture sobre en carbone est donc un enjeu important, qui amène à explorer l’ensemble des pistes du potentiel d’atténuation des émissions de GES par le secteur agricole africain.
Le potentiel d’atténuation de l’agriculture africaine
Réduire les émissions de méthane (CH4) et d’oxyde nitreux (N2O).
Améliorer l’alimentation des ruminants pour réduire la fermentation entérique. Les émissions de méthane, qui représentent plus de la moitié des émissions de GES de l’Afrique subsaharienne (hors Afrique du sud), sont essentiellement dues à la fermentation entérique des ruminants et aux déjections des élevages. Elles sont d’autant plus importantes que l’alimentation de l’animal est riche en fibres et pauvre en éléments facilement digestibles. Les bovins élevés exclusivement sur des pâturages sont donc plus émetteurs de méthane que ceux recevant des compléments alimentaires riches en énergie. Améliorer l’alimentation des animaux permet donc à la fois d’augmenter la production (lait, viande) par animal et de réduire les émissions de méthane. Toutefois, il ne faut pas oublier de comptabiliser les émissions de GES inclues dans les compléments alimentaires utilisés pour vérifier si, au final, le bilan est positif. Par ailleurs, dans beaucoup de pays africains, changer l’alimentation des animaux n’est pas toujours économiquement viable, ni pertinent : les ruminants sont les seuls à pouvoir digérer les fibres et à mettre ainsi en valeur les vastes étendues de prairies naturelles, présentes notamment en zone semi-aride où l’agriculture est fortement limitée par les conditions naturelles. Dans le cas des systèmes associant agriculture et élevage, l’amélioration de l’alimentation animale peut passer par une complémentation alimentaire à base de cultures locales ou de fourrages conservés de façon à maximiser leur digestibilité (foin, ensilage). Pour les systèmes pastoraux, les stratégies facilitant la mobilité des troupeaux sont essentielles pour favoriser l’accès à des pâturages de bonne qualité.
Favoriser la décomposition aérobie des déjections animales. Les déjections des animaux sont soit éparpillées dans les pâturages, soit utilisées sous forme de fumier pour amender les sols cultivés. Leur décomposition par les micro-organismes, lorsqu’elle a lieu en milieu anaérobie, est particulièrement émettrice de CH4. Les systèmes d’élevage produisent d’autant plus de CH4 qu’ils sont intensifs et impliquent de fortes concentrations en déjections. Dans ce cas, les émissions de méthane peuvent être considérablement réduites si le fumier est composté ou bien s’il est épandu rapidement sur les sols. Les systèmes d’élevage sur pâturage, eux, sont peu émetteurs, car les excréments dispersés sont décomposés sous forme aérobie.
Améliorer la gestion de l’azote pour limiter le N2O émis par les sols agricoles. Le N2O émis par les sols agricoles provient des engrais azotés ainsi que du stockage et de l’épandage des excréments animaux sur les cultures. Des apports azotés trop faibles limitent la production de biomasse, ce qui incite souvent à augmenter la proportion d’azote dans la nutrition des plantes et des animaux. Toutefois, seule une partie de l’azote est assimilée par les êtres vivants et ce taux d’assimilation chute rapidement lorsque la teneur en azote augmente ; l’azote non assimilé se retrouve alors en quantité dans le sol et les réservoirs aquatiques. La diminution des émissions de N2O passe donc par une meilleure gestion du cycle de l’azote permettant de maximiser son efficience. Les paysans africains utilisent peu d’engrais chimiques. Il est donc essentiel que les systèmes agricoles permettent à la fois un captage efficace de l’azote au travers des plantes fixatrices (légumineuses), et son recyclage au travers de la réalisation de compost ou grâce aux associations agriculture/élevage.
Favoriser le piégeage du carbone
Bien que le CH4 et le N2O contribuent fortement aux émissions africaines de GES, le potentiel de réduction de leurs émissions est faible dans la plupart des systèmes agricoles : en effet, ceux-ci n’utilisent pas ou peu d’engrais azotés, favorisent déjà le recyclage des nutriments, et les alternatives pour alimenter les animaux sont limitées. En contrepartie, agir sur le cycle du carbone présente un potentiel important, par la réduction des émissions de CO² liées aux changements d’utilisation des sols et à la surexploitation des ressources naturelles, mais surtout en permettant le stockage du carbone dans les sols et la biomasse.
Le potentiel mondial de séquestration du carbone a été évalué entre 4 et 5,4 Gt de CO², ce qui correspond à 89% du potentiel d’atténuation technique de l’agriculture.
Les forêts permettent de stocker de grandes quantités de carbone à l’hectare, en particulier dans les écosystèmes qui produisent naturellement une forte biomasse. Pour réduire la déforestation, il convient à la fois d’en analyser les causes et de vérifier si les solutions proposées présentent un meilleur bilan carbone. Par exemple, dans les zones où un front pionnier d’agriculteurs est à l’origine de la déforestation, le développement de systèmes agricoles plus intensifs est souvent la solution la plus évidente pour préserver la forêt et garantir la sécurité alimentaire des agriculteurs. Il faut toutefois vérifier que les nouveaux systèmes — susceptibles d’impliquer le recours à des engrais azotés ou le développement de l’élevage — sont effectivement moins émetteurs de GES que les anciens.
Les autres actions possibles sont la reforestation au sens strict (plantation d’arbres dans des zones non couvertes par des forêts), la lutte contre la dégradation des forêts ou la gestion durable des forêts.
Les prairies et les savanes occupent une grande partie du continent africain. La présence d’herbivores ainsi que le passage régulier des feux de brousses sont essentiels à l’équilibre de ces écosystèmes. Certains sont toutefois menacés par l’intensification des usages, notamment par le surpâturage. Dans les systèmes pastoraux transhumants, la mobilité favorise l’adaptation de la charge animale au potentiel variable — dans l’espace et le temps — des différentes zones, et limite ainsi les risques de surpâturage. Même si le stockage du carbone dans les sols des zones semiarides est lent, les surfaces en jeu ainsi que la forte stabilité du carbone sous climat sec rendent les savanes propices à la séquestration du carbone. Pour les sols les plus dégradés, la gestion de la charge animale doit être complétée par une réhabilitation des bassins versants et un contrôle de l’érosion.
Les sols cultivés voient leur teneur en carbone diminuer progressivement par minéralisation de la matière organique, en particulier sous l’influence des labours. Diverses pratiques concourent au maintien et à l’augmentation de leur teneur en matière organique (et donc en carbone) ⁶. La production d’une forte biomasse, grâce aux associations de cultures qui contribuent à une utilisation optimale de la lumière et des nutriments par unité de surface, ou à l’irrigation, permet d’augmenter la biomasse produite annuellement. Les transferts de matière organique via les contrats de vaine pâture, l’épandage de fumier ou de compost, sont également des pratiques positives. La limitation de la minéralisation de la matière organique du sol est aussi essentielle : couverture morte, engrais verts, semidirect. Enfin, la lutte contre l’érosion et la remise en état des terres dégradées permet aussi le maintient de matière organique dans les sols.
L’atténuation des émissions de GES dans le secteur agricole africain passe par une utilisation plus efficace des cycles du carbone et de l’azote, de façon à produire une grande quantité de biomasse avec des quantités d’intrants (engrais, combustibles fossiles) limitées. Pour cela, il est important de favoriser les systèmes de culture permettant de maximiser l’utilisation de l’énergie photosynthétique et la fixation d’azote par les légumineuses. De plus, les systèmes doivent limiter les pertes de carbone et d’azote et favoriser leur recyclage (gestion aérobie des déjections animales, couverture du sol pour éviter la minéralisation du carbone, etc.).
En fonction des situations agraires, différentes stratégies permettant le piégeage du carbone ou la réduction des émissions de GES, mais également une amélioration des conditions de vie des paysans, seront à définir au cas par cas : associations agriculture-élevage, systèmes agro-forestiers, etc.
Outils de lutte contre la déforestation : le paradoxe ?
Le déboisement est devenu avant tout l’affaire des pays tropicaux. Il est causé essentiellement par les changements d’usage des terres qui, dans certains cas, suivent l’exploitation forestière. Le changement de l’utilisation des terres, surtout la déforestation, contribue aujourd’hui entre 12 et 20% aux émissions de GES de source anthropique.
Les causes de déforestation sont multiples. En Amazonie brésilienne, l’élevage extensif industriel est de loin la première cause de déforestation, et la culture de soja (exporté comme aliment du bétail) est en pleine croissance. En Asie du Sud-Est, la déforestation est principalement due aux plantations de palmiers à huile et aux fabriques de pâte à papier. En Afrique, les pratiques d’abattis brûlis qui s’étendent avec l’accroissement démographique et qui visent le renouvellement de la fertilité des sols constituent le problème principal pour l’instant.
La Convention climat reconnaît le secteur « d’utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie — UCATF » comme ayant un fort potentiel d’atténuation des changements climatiques. Pourtant, dans ce secteur, seuls les projets de « boisement et reboisement » (B/R) sont éligibles au « Mécanismes de développement propres » (MDP) et ils constituent moins de 1% du total des projets MDP. Par ailleurs, moins de 3% des projets MDP sont enregistrés actuellement en Afrique, tous secteurs confondus.
Un autre mécanisme de financement, le REDD (réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation), est au coeur des débats. Il est basé sur le principe selon lequel les pays qui parviendront à réduire leur taux de déforestation recevront de l’argent sous forme de crédits carbone. Le coût de ce dispositif a été estimé entre 5 et 8 milliards de dollars par an pour réduire de 70% la déforestation actuelle, en partant de l’hypothèse qu’il suffirait de compenser financièrement la valeur des cultures et de l’élevage auxquels les paysans auront renoncé pour conserver la forêt. Est ce que les paysans qui déboisent pour des revenus de subsistance se satisferont de compensations qui les laisseront dans la misère ? C’est peu probable.
Il semblerait plus efficace de passer d’une logique de compensation à une perspective d’investissement. La compensation financière n’entraînera des transformations durables que si elle s’accompagne d’un appui au changement des itinéraires techniques agricoles et des programmes d’accompagnement pour les pérenniser (sécurisation foncière, crédit rural, assurances, prix stabilisés, etc.). Par conséquent, elle doit être combinée à des politiques publiques fortes, soutenues par l’aide publique au développement.
Références :
Karsenty Alain, 2009. Ce que le marché (carbone) ne peut faire. Perspective nº1, CIRAD.
Karsenty Alain, 2009. Lutter contre la déforestation: combien ça coûte ? Voir Repères dans ce numéro.