Au Bénin, la ferme-école Sain vise à former de jeunes agriculteurs à des pratiques agricoles intégrées et durables. Véritable laboratoire d’innovations, elle propose un dispositif de formation professionnelle d’une grande qualité technique, ancré dans la pratique et en prise avec les réalités locales.
En Afrique de l’Ouest, la crise alimentaire a contribué à faire changer le regard porté sur l’agriculture et certains gouvernements ont des discours volontaristes en faveur des agricultures familiales, au Bénin notamment. Pourtant, dans ce pays comme ailleurs, l’installation des jeunes agriculteurs se heurte toujours aux mêmes problèmes essentiels : l’apprentissage du métier, l’accès à la terre, le financement des moyens de production, l’isolement, etc.
Aujourd’hui, les agriculteurs doivent être capables de s’adapter à des conditions de production en constante évolution, qu’il s’agisse du milieu naturel ou de l’environnement socio-économique. Or les dispositifs de formation existants dans la plupart des pays africains visent à former des techniciens agricoles plutôt que des agriculteurs.
Comment former des jeunes qui choisissent de s’installer en agriculture puis de vivre décemment de leur travail en adoptant des pratiques écologiquement soutenables ? Comment ces jeunes agriculteurs peuvent-ils devenir des moteurs de développement local ? À ces questions, la ferme-école Sain tente d’apporter des réponses concrètes.
Sain : une exploitation agricole et un centre de formation. L’expérience est née en 2003 de l’initiative de Pascal Gbenou, sorti du cycle de formation du centre Songhaï de Porto-Novo. Il souhaitait constituer dans sa région un réseau de jeunes agriculteurs modernes, pratiquant une agriculture familiale, rentable et durable. La ferme-école répond à cet objectif : c’est un centre de formation au métier d’agriculteur, créé et animé par un agriculteur, et basé en milieu rural.
Une exploitation à l’échelle de l’agriculture familiale. La ferme Sain (Solidarités agricoles intégrées) est installée dans un village de la commune d’Adjohoun, au sud-est du Bénin (Ouémé Plateau), où Pascal a acheté progressivement depuis 1999 un bloc de 14 hectares dont la moitié en bas-fonds. L’exploitation pratique un système de production intégré qui associe productions végétales (riz, maïs, manioc, maraîchage, canne à sucre, fruitiers), productions animales (lapins, volailles, escargots) et pisciculture ; le recyclage des déchets et sous-produits permet de n’utiliser qu’un minimum d’intrants (très peu d’engrais, pas de pesticides). Les productions de l’exploitation sont soit autoconsommées, soit commercialisées sur le marché local ou régional.
Une formation ancrée dans la pratique. La ferme accueille une douzaine de stagiaires qui vivent sur place, encadrés par trois permanents qui remplissent à la fois les rôles d’animateur, d’enseignant et d’agriculteur de référence. Les formateurs sont des jeunes qui ont choisi de s’orienter vers la production agricole après leur formation (deux ont suivi la formation Songhaï après le bac, le 3e a fait des études de géographie). La durée de la formation s’étale sur 18 mois répartis en trois sessions : six mois de formation à la ferme, basée sur des apports théoriques et une pratique accompagnée par les formateurs travaillant avec les jeunes ; six mois de stage dans un réseau d’exploitations liées à la ferme Sain ; et six mois de préparation à l’installation.
Les jeunes élaborent un projet productif à mettre en oeuvre à leur sortie, petit atelier d’élevage ou production végétale (maraîchage, semence de riz) pour lequel ils bénéficient d’une aide, en nature ou en numéraire (crédit de 50 000 à 300 000 FCFA). Ils sont accompagnés par les formateurs dans la mise en oeuvre de ce projet.
Une structure en prise avec la réalité locale. La ferme fonctionne selon plusieurs principes essentiels. Tout d’abord, elle remplit une double fonction : nourrir les hommes qui y travaillent (enseignants et élèves), servir de support pédagogique pour l’enseignement théorique et d’espace d’apprentissage pratique.
Par ailleurs, c’est une expérience ancrée dans l’agriculture locale. Le système de production reste à petite échelle et mobilise des moyens locaux (matériaux de construction notamment), ce qui assure sa reproductibilité et lui donne toute sa valeur comme base pédagogique (même s’il n’est pas question de « modèle »). Le public cible de la ferme-école est constitué de jeunes ruraux défavorisés de la région, qui sont accueillis gratuitement. Les jeunes qui ont été formés à Sain et qui sont installés comme agriculteurs restent en contact avec leurs formateurs et bénéficient d’un appui-conseil. La ferme a mis en place un réseau de « maîtres de stage » qui partagent les options essentielles de Sain et accueillent les jeunes pour diversifier leurs références. Pascal Gbenou est président national du Conseil de concertation des riziculteurs du Bénin (CCR-B), et montre ainsi l’exemple de ce que peut apporter l’engagement dans les organisations, mais également des contraintes qui en découlent.
Enfin, le système pratiqué se veut reproductible par n’importe quel agriculteur de la zone (en termes d’équipement et de niveau d’investissement), ce qui n’empêche pas la ferme d’être techniquement performante : les revenus dégagés par l’activité agricole sont en partie réinvestis dans l’exploitation agricole, et contribuent aussi au financement de la structure pédagogique.
Quel avenir pour Sain ? L’expérience de la ferme Sain est intéressante à plusieurs titres : promotrice d’une agriculture familiale, durable et économe, elle est peu coûteuse et insérée dans le milieu local. Elle constitue donc un site privilégié de développement d’innovations, ou de test de solutions nouvelles. Elle pourrait constituer le premier maillon d’un dispositif en réseau, pour une formation au métier d’agriculteur ambitieuse, axée sur la pratique et ancrée dans les réalités locales.
Toutefois, sept ans après son démarrage, la précarité financière pourrait compromettre la durabilité de l’expérience pédagogique. En effet, même avec de bonnes performances techniques, les 10 ha cultivés et les ateliers de petit élevage sur lesquels travaillent les résidents de la ferme, sont à peine suffisants pour couvrir leurs besoins élémentaires (nourriture et frais de santé), sans parler d’un niveau de rémunération incitatif pour les formateurs ; cela n’a rien d’étonnant : quelle exploitation agricole pourrait financer un centre de formation, même modeste, sur ses ressources propres ?
Par ailleurs, les nécessités pédagogiques imposent des contraintes d’emploi du temps (12 à 15 heures hebdomadaires de formation théorique), ce qui fait que l’exploitation est régulièrement confrontée à un déficit de main d’oeuvre, qu’elle ne peut pas toujours résoudre par l’embauche de journaliers.
Enfin, le nombre de jeunes installés s’accroît d’année en année ; ils attendent un conseil de leurs formateurs et le dispositif informel qui a fonctionné les premières années trouve ses limites.
Face à ces différents enjeux, les responsables de Sain cherchent à consolider et, si possible, accroître le revenu de l’exploitation : développement de productions peu coûteuses en travail (pisciculture, cocotiers), création d’une structure d’accueil écotouristique qui, en plus des revenus générés, favorisera les rencontres. Ils travaillent à renforcer les liens de la ferme avec les autres acteurs du développement rural, publics et privés, afin de faire connaître plus largement l’expérience et de consolider et faire reconnaître la qualité de la formation dispensée. Ils cherchent à renforcer l’appui aux jeunes agriculteurs, grâce à un fond de crédit rotatif permettant de financer une première campagne de production ou un investissement modeste. Ils souhaitent également développer le dispositif d’appui-conseil individualisé aux anciens élèves et l’animation de groupes axés sur l’innovation et le développement local.
Compte tenu des contraintes évoquées plus haut, la réalisation de ces objectifs passe nécessairement par le développement de partenariats financiers, difficiles à obtenir pour une structure de formation, par nature non rentable au sens comptable du terme. Cela suppose pour les responsables de Sain d’y investir du temps, et également d’approfondir la réflexion stratégique, notamment par des échanges avec d’autres structures de formation du même type. Comme pour de nombreux agriculteurs familiaux, le défi pour la ferme-école Sain est de trouver l’équilibre entre améliorer la qualité de vie à court terme et investir pour préparer l’avenir, entre produire de la richesse et être moteur de développement social, entre développer des partenariats et rester maître de son avenir et de ses choix.
La privatisation de la formation au métier d’agriculteur permet-elle de mieux répondre aux besoins de la profession ? L’État ne devrait-il pas assurer au moins en partie les charges de cette fonction régalienne, surtout quand il affiche comme objectifs prioritaires la lutte contre la pauvreté et le développement de l’agriculture ? La réflexion doit être poursuivie sur ces points.