_ Les catastrophes climatiques peuvent avoir des conséquences désastreuses sur la production agricole et les revenus des paysans des pays du Sud. Depuis quelques années, des expériences d’assurance indicielle sont initiées et offrent des perspectives d’outils financiers de lutte contre les changements climatiques.
L’agriculture constitue l’un des secteurs les plus directement menacés par le changement climatique. L’augmentation de la variation des températures et des précipitations modifie profondément l’activité agricole. La rapidité de ces changements menace fortement la résilience des systèmes agraires et leur productivité. Elle risque d’amplifier la vulnérabilité des populations rurales pauvres, en affectant directement les revenus des agriculteurs. Compte tenu des crises déclarées et de celles qui pourraient survenir du fait du changement climatique, des actions concrètes et immédiates en matière d’adaptation au changement climatique sont nécessaires. Dans les discussions internationales sur le climat, les outils de prévention et de gestion des risques, y compris l’assurance climatique, occupent une place croissante. Alors que des programmes ou projets se développent sur ce type de mécanisme privé de gestion des risques, il est utile d’en dresser un bilan, afin d’en tirer des conclusions sur leurs succès et leurs limites.
L’assurance agricole indicielle, un instrument privé de gestion des risques climatiques à posteriori. Le risque climatique a toujours figuré comme l’une des principales variables du revenu agricole. Cette relation est d’autant plus étroite dans les pays en développement où le niveau d’investissement agricole (notamment pour l’irrigation) qui permet en partie de s’isoler des risques climatiques, est faible. Face aux risques climatiques, deux types de stratégies sont généralement mises en oeuvre. La première consiste à agir en prévention à l’aléa climatique, grâce à différentes techniques agricoles qui permettent d’être moins dépendant des conditions climatiques : irrigation et drainage, utilisation de variétés adaptées à l’environnement local, lutte contre l’érosion des terres, etc. Ces actions, à priori, évitent ou limitent une trop grande variation des productions. Elles peuvent être mises en oeuvre par des acteurs publics (dans le cadre d’infrastructures d’irrigation par exemple) ou privés. La deuxième stratégie consiste à agir en réaction à un aléa climatique pour préserver son revenu. Il s’agit alors de compenser à posteriori la perte de revenu liée à la diminution de la production (en quantité ou qualité) du fait de l’aléa climatique. À nouveau, l’intervention peut être publique (par exemple, compensation lors de catastrophe naturelle) ou privée (par exemple, assurance récolte). L’assurance agricole indicielle, que l’on appelle plus couramment l’assurance climatique, est un instrument privé de gestion des risques climatiques à posteriori.
L’assurance indicielle a été développée compte tenu des limites de l’assurance classique (impossibilité de rembourser tous les acteurs dans le cas d’une sécheresse touchant un grand nombre d’acteurs, difficulté à évaluer tous les dommages, etc.). Le remboursement de l’agriculteur est déclenché en fonction d’un indicateur objectif, fortement corrélé au rendement (le niveau des précipitations, par exemple). Il n’est plus alors nécessaire de faire des évaluations des dommages ; les assureurs peuvent, grâce à l’utilisation d’indices, transférer leur risque à des réassureurs ou sur les marchés financiers. Ainsi, même si de nombreux producteurs sont touchés simultanément, l’assurance ne fait pas faillite car elle s’est elle-même couverte en cédant son risque.
Les avantages de l’assurance indicielle pour les agriculteurs sont relativement nombreux. Le premier est la stabilisation du revenu, qui devient moins dépendant des conditions climatiques. Sachant que les aléas climatiques sont régulièrement cités comme un risque majeur pesant sur l’exploitation familiale, limiter ce risque est un enjeu fort pour les familles. Un effet indirect est une amélioration de l’accès aux financements puisque les assurances climatiques peuvent sécuriser des crédits de campagnes ou l’achat d’intrants. Cependant, le fonctionnement de l’assurance (payer une prime pour se prémunir d’un évènement futur improbable) n’est pas intuitif pour de nombreux agriculteurs. Les questions d’acceptabilité par les agriculteurs et les questions de formations/sensibilisations sont fondamentales dans la mise en place d’assurances climatiques.
Inde, Ethiopie, Malawi : laboratoires de l’assurance agricole indicielle. Plusieurs initiatives ont été lancées ces dernières années dans les pays en développement pour mettre en place des instruments privés de gestion des risques, notamment sur la microassurance. Parmi ces initiatives, on peut citer Basix (en Inde), Harita (en Ethiopie), et la micro-assurance indicielle (au Malawi). Ces expériences proposent des assurances indexées sur des niveaux de pluviométrie et concernent la production de céréales. Elles permettent de garantir des crédits pris par les producteurs, notamment des crédits de campagne (intrants, etc.) lorsque les précipitations sont insuffisantes (c’est-à-dire inférieures à un indice pluviométrique précis).
– Basix : cette institution de microfinance indienne (ONG) a mis en place une micro-assurance sécheresse en 2003 grâce à un financement de la Banque mondiale. Elle permet de couvrir les frais engagés pour une récolte annuelle. En 2008, près de 10 000 polices d’assurances ont été vendues. Les indemnités, plafonnées à une trentaine d’euros, sont payées par ICICI (banque indienne) et Lombard (compagnie d’assurance canadienne). Les productions bénéficiant d’une assurance sont principalement l’arachide et le ricin. Les primes étaient comprises en 2004 entre 6,9et 8,6€/hectare.
– Micro-assurance indicielle au Malawi : cette expérience est également financée par la Banque mondiale au travers du Commodity risk management group (CRMG). Le mécanisme sert à pré-financer des intrants (semences). Si la pluviométrie est insuffisante, les producteurs ne doivent pas rembourser le crédit d’intrants. La prime est de l’ordre de 4,9€/hectare pour un crédit d’intrant assuré de 25€. Près de 1700 producteurs étaient concernés en 2006. L’assurance a démarré sur des cultures de rente (l’arachide puis le café) pour être étendue au maïs en 2006. Il est important de noter que cet outil permet également d’assurer le fournisseur de la vente de ses semences. En l’occurrence, Seedco, en association avec Syngenta, fournit les semences de maïs. Le risque de dépendance des producteurs aux semences hybrides est donc important. L’outil bénéficie à SeedCo et Syngenta qui évitent ainsi les défauts de paiements et pénètrent de nouveaux marchés. Le projet sert de modèle pour être étendu à d’autres pays d’Afrique de l’Est.
– Harita : cette dernière expérience, financée par Oxfam America, porte sur de la micro-assurance. Face au manque de données météorologiques, le projet essaie d’identifier directement avec les producteurs d’autres indices pertinents. Dans le cadre d’un programme national de « Cash for work » intitulé « Productive safety net program » (PSNP), les bénéficiaires (environ 8 millions de personnes), peuvent payer la prime d’assurance en travaillant quelques jours supplémentaires. Les personnes non bénéficiaires doivent payer l’assurance normalement. Par cette particularité, le programme arrive à toucher les plus pauvres, contrairement aux autres systèmes. L’assurance porte sur le teff, une céréale locale, et couvre les risques de sécheresse. Les producteurs assurés peuvent avoir un accès plus facile à l’institution de microfinance locale. En 2009, environ 200 producteurs du village d’Adi Ha (région du Tigré) étaient assurés. L’expérience d’Harita est singulière car elle repose sur une approche holistique de la gestion du risque climatique (transfert du risque à travers l’assurance, réduction des risques avec le programme PSNP, etc.).
Les théories du développement évoluent continuellement et ne sont pas à l’abri des phénomènes de mode. Si la micro-assurance climatique est aujourd’hui sur le devant de la scène, notamment dans le cadre des débats sur le changement climatique, l’analyse de différents projets en cours nous permet d’identifier certaines limites à ce type d’outil, en particulier pour les agricultures familiales vivrières au Sud. En effet, l’assurance fonctionne généralement sur les cultures de rente. L’organisation de la filière et la forte valeur ajoutée permettent de mettre en place une assurance et d’assumer le coût de la prime. Dans un second temps, une culture vivrière peut être associée en interculture et bénéficier de l’assurance. Par ailleurs, quand cette assurance est un moyen pour des firmes agro-industrielles de pénétrer de nouveaux marchés et de vendre des semences hybrides, comme cela semble le cas pour l’expérience au Malawi, les questions de la lutte contre la pauvreté et les inégalités et de préservation des ressources naturelles doivent être remises au centre du débat.
En fonction du public visé, des dispositions institutionnelles et du contexte politique, les outils de micro-assurance pourraient s’avérer efficaces en termes de stabilisation des revenus des agriculteurs pauvres. Ils ne sont en aucun cas une recette miracle à la stabilisation des revenus agricoles.
Cet article se base sur les premiers résultats d’une étude réalisée par Guillaume Horréard, Bastien Oggeri et Ilan Rozenkopf (cofinancée par l’Agence française de développement, le Gret et Objectif développement durable) sur les différents mécanismes privés de gestion des risques agricoles et les conditions de leur mise en œuvre dans 4 pays d’Afrique de l’Est et en Inde.
En Bref…Radios rurales et changements climatiques
Depuis plusieurs années, Radios Rurales Internationales appuie les radios rurales d’Afrique subsaharienne dans l’élaboration de programmes radiophoniques sur le thème de l’adaptation aux changements climatiques. De nombreux animateurs radio sont intéressés par ce sujet très pertinent pour améliorer les conditions de vie des populations rurales.
En 2007-2008, Radios Rurales Internationales, en collaboration avec le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA), a lancé un concours de scripts radio sur les stratégies d’adaptation des paysans vis-à-vis des aléas climatiques. L’objectif de ce concours était de renforcer les capacités des organisations qui développent, avec les radios rurales, des programmes radiophoniques et améliorent la qualité des émissions portant sur les modalités d’adaptation des petits paysans aux changements climatiques dans leurs activités agricoles. Sur les 51 propositions de scripts en provenance de 20 pays, 15 gagnants ont été sélectionnés. Chaque gagnant a reçu un appui du gérant de Radios Rurales Internationales pour finaliser son script. Une compilation des scripts a ainsi été diffusée en français et en anglais dans plus de 500 radios en Afrique subsaharienne.
Dans une évaluation conduite suite à ce concours, les radios ayant reçu cette compilation ont témoigné de leur large utilisation et appréciation par les auditeurs. « Les saisons des pluies ne sont plus régulières en Zambie, et cette année nous avons observé des pluies tardives. C’est pourquoi les paysans sont très intéressés par les éléments d’information sur les possibilités de diversification et d’adaptation de leurs activités face à ces aléas climatiques. Nous avons reçu de nombreux appels et courriers d’agriculteurs et les avons aiguillés vers des personnes ressources, notamment des agronomes des services techniques de l’agriculture » a témoigné un interlocuteur.
Tous les scripts sont disponibles sur le site : http://www.farmradio.org/francais/radio-scripts/ climate.asp