Les organisations paysannes du Mali se sont très tôt senties concernées par la question de la sauvegarde du patrimoine génétique, notamment au regard des risques de l’impact climatique et de l’introduction des OGM dans leurs systèmes de production. Elles tentent de prévenir ces risques via des banques de semences appelées « cases de la biodiversité ».
Les populations rurales du Sahel, qui dépendent en grande partie du secteur agricole, sont particulièrement vulnérables aux changements climatiques et tentent d’adapter leurs modes de production à la variabilité du climat. La diversité des semences traditionnelles est intimement liée aux réalités socioculturelles des producteurs. Elle est aujourd’hui en péril à cause notamment de l’introduction de variétés améliorées, ce qui pose de nouveaux défis d’adaptations des paysans à cette variabilité du climat.
L’amélioration variétale, une menace pour l’adaptation des paysans à la sécheresse ? Au Mali, les semences paysannes constituent la base des systèmes de production agricole. Largement tributaires du climat, les paysans ont toujours eu l’habitude de semer plusieurs types de variétés, en particulier celles qui n’ont pas besoin de beaucoup d’eau.
Avec l’intensification des programmes de vulgarisation axés sur la productivité, les paysans ont été amenés à adopter des semences améliorées certes plus productives, mais non résistantes au stress hydrique, alors que les saisons des pluies sont de plus en plus variables (en moyenne 2 sur 5 sont de bonne pluviométrie). Les vulgarisateurs les ont incités à abandonner leurs anciennes pratiques jugées ni productives ni rentables. Avec la récurrence des aléas climatiques (installation tardive de l’hivernage, inondation, etc.), les paysans ont fait les frais de ces choix de production et se sont rendus compte que leurs semences traditionnelles, leur mode de culture en association, et leurs stratégies de diversification sont les meilleures solutions pour garantir leur sécurité alimentaire. Ils ont donc décidé de récupérer les variétés paysannes dans les villages voisins.
Grenier traditionnel en pays Dogon
Les cases de la diversité biologique : une innovation pour conserver la biodiversité semencière. Convaincues qu’il n’y aura pas d’action immédiate des décideurs politiques face à l’invasion des multinationales semencières et aux caprices du climat, des organisations de producteurs (OP) ont décidé d’élaborer leur propre stratégie de défense et de sauvegarde des espèces et variétés locales. L’objectif est de développer une gestion dynamique de la biodiversité locale afin d’accéder à une gestion autonome de semences des variétés paysannes de cultures vivrières.
La Coordination nationale des organisations paysannes (CNOP) du Mali s’est ainsi engagée dans une campagne de mise en place de « cases de la diversité biologique » en s’appuyant sur des OP de base au niveau des communautés. L’expérience menée avec le Recodepa (Réseau communal de développement participatif), une association de base à Baguinéda, a permis de collecter auprès des paysans des variétés de semences qui avaient complètement disparu, comme la courge, le calebassier et le gombo nain (espèces qui permettent aux paysans de diversifier leur production et de se prémunir des risques climatiques). À ce jour, la case de Baguinéda a une collection de 37 variétés locales, étiquetées (nom vernaculaire de la variété, cycle, origine, etc.) et stockées. Les « cases de la diversité biologique » font appel à un certain nombre de principes et d’engagements dont les objectifs reposent sur la responsabilisation des producteurs dans la conservation de la biodiversité locale (espèces et variétés cultivées). Elles permettent également de perpétuer leurs savoirs et savoir-faire en termes de techniques ancestrales de conservation de semences : valorisation des matériaux locaux (canaris, jarres, boîtes sous vide, etc.), utilisation des conservateurs naturels (cendre, feuille de neem, etc.) et respect des techniques traditionnelles d’architecture (simplicité, aération, reproductibilité). L’approche « case de la biodiversité » vise également à maintenir le pouvoir germinatif des semences en mettant en culture un échantillon de chaque variété chaque année.
Pour atteindre les résultats escomptés, la CNOP va dans un premier temps identifier et recenser les semences traditionnelles d’utilité socio-agricole et procéder à leur étiquetage afin de constituer une banque de données. Après la phase d’essai dans la zone de Baguinéda, la CNOP se propose d’étendre l’expérience à 12 autres communes rurales de la région de Koulikoro, avec comme objectif l’émergence de coopératives et de réseaux de producteurs semenciers. La réussite des cases de la biodiversité dépendra en grande partie de l’adhésion des producteurs par le partage de l’information autour des initiatives de conservation.
La CNOP se définit comme le « cadre démocratique de convergence des préoccupations, actions et stratégies des organisations de producteurs (OP) dans le but d’aboutir à un espace commun de représentativité réelle, de formulation de stratégies communes face aux autres acteurs, de renforcement des effets de leurs actions de lobbying et de plaidoyer ». Elle fédère des OP à compétence nationale et/ou régionale qui couvrent les sous-secteurs de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche et des forêts.