Confrontés depuis des décennies à des conditions pluviométriques très fluctuantes, les paysans du Sahel ont peu à peu adapté leurs systèmes de production aux risques climatiques. Quelles sont les pratiques et stratégies utilisées pour y parvenir ?
Le risque est inhérent à l’activité agricole. Il peut être de différentes natures : économique, avec notamment la fluctuation des prix, sanitaire du fait des maladies et parasites qui menacent les animaux et les cultures, ou climatique. En agriculture pluviale, c’est incontestablement ce dernier risque qui est le plus à craindre et ce d’autant plus que le climat est aride. En effet, plus l’aridité s’accroît, plus forte est la variabilité des pluies et plus importantes en sont les conséquences, la sécheresse pouvant entraîner la perte de toute la production. C’est à ce type de situation que sont confrontés les paysans du Sahel. Mais face aux aléas climatiques, ils ont su élaborer, de façon empirique, des pratiques culturales et adopter des stratégies pour s’adapter à ces aléas.
Pratiques paysannes d’adaptation. Le choix de l’extensif. D’une façon générale, le risque est antagoniste à l’intensification, c’est-à-dire à l’investissement de travail et de capital pour augmenter la production. Aussi, avec l’accentuation de l’aridité et des aléas climatiques qui l’accompagnent, les agriculteurs optent pour une simplification et une extensification de leurs systèmes de culture. Ainsi, les sécheresses successives qu’ont connues les pays sahéliens ces dernières décennies ont entraîné la régression des légumineuses, en particulier l’arachide, au profit des céréales (mil, sorgho), ce qui a affecté l’économie des exploitations et la gestion de la fertilité des terres. Le travail du sol s’est également fortement simplifié au point que sur les sols sableux, les plus cultivés au Sahel, le semis direct (sans labour) du mil est devenu très courant. L’usage des engrais, déjà pénalisé par le désengagement de l’État, se réduit en année sèche, de même que le temps et le nombre de sarclages. La pratique de la cueillette que l’on observe dans certaines régions comme l’Oudalan (Burkina-Faso) constitue la phase ultime de ce processus, l’élevage pastoral étant une autre forme de ce choix de l’extensif.
Les agriculteurs ont su aussi adopter, de façon délibérée, des pratiques visant à réduire les effets des aléas climatiques. Parmi elles, on peut citer la pratique du semis précoce et l’utilisation de variétés à cycle court, qui permettent de faire coïncider au mieux le cycle de la culture avec la saison des pluies, et de réduire ainsi la période de stress hydrique en fin de cycle. C’est ce choix qui a conduit les agriculteurs du bassin arachidier au Sénégal à préférer à la traction bovine proposée par la recherche pour labourer leur terre, la traction équine qui leur permet de semer plus vite et de sarcler plus tôt leurs cultures.
L’association de cultures constitue également une pratique antialéatoire très répandue en Afrique subsaharienne. Ses bénéfices, trop longtemps méconnus, sont nombreux. Concernant l’alimentation en eau des cultures, elle permet d’atténuer l’effet d’un stress hydrique en cours de cycle grâce aux possibilités de compensation entre les espèces associées sur la même parcelle. Par ailleurs, en assurant une couverture du sol plus rapide et plus complète, elle augmente à la fois la productivité de la terre et celle du travail.
Si l’accentuation des risques climatiques réduit la gamme des cultures, en revanche pour celles qui subsistent et en particulier pour le mil et le sorgho, les agriculteurs disposent en général de plusieurs variétés pour la même espèce. Cette diversité, qui inclut des variétés photopériodiques, leur permet de s’adapter à la variabilité des pluies et à la diversité des terrains de culture.
Les agriculteurs du Sahel ont également généré des innovations visant à renforcer ou restaurer la capacité de production des terres et réduire ainsi les effets des aléas pluviométriques. Parmi ces innovations on peut citer la pratique du zaï et la protection des rejets arbustifs dans les champs (régénération naturelle assistée) qui a permis la revégétalisation de nombreux terroirs villageois et un « reverdissement du Sahel ».
Les stratégies d’adaptation aux risques. L’adaptation des agriculteurs aux risques climatiques peut s’appréhender plus globalement en analysant les différentes stratégies qu’ils adoptent dans la conduite de leur exploitation et au-delà, dans l’organisation de leur système d’activité.
La recherche de la diversité. Celle-ci vise à « ne pas mettre ses oeufs dans le même panier ». Elle se manifeste de différentes manières. On a vu qu’elle concerne le matériel végétal utilisé. Là où la pression foncière n’est pas encore très forte, elle conduit les agriculteurs à répartir leurs cultures sur différents terrains afin d’investir préférentiellement leur force de travail sur les parcelles où la répartition spatiale des pluies fait espérer le meilleur rendement.
De façon générale, on note une diversité des systèmes de culture au sein des exploitations comme à l’échelle des territoires villageois. Cette diversité fait que même si l’extensif domine en situation de risque celui-ci peut côtoyer l’intensif. C’est ce que l’on observe entre les systèmes de culture pluviale sur les plateaux et les glacis et les systèmes de contre-saison pratiqués dans les bas-fonds, ou entre ceux des premières auréoles des villages sahéliens et ceux de la périphérie.
L’association entre agriculture et élevage contribue également à cette diversification des activités au sein de l’exploitation. Elle a beaucoup évolué au cours des dernières décennies. Alors qu’elle impliquait autrefois différentes populations à l’échelle régionale, désormais, elle s’organise principalement à l’échelle de l’exploitation et du territoire villageois. À ces échelles, l’élevage permet d’exploiter des terrains non cultivés (brousse périphérique, basfonds), de valoriser les sous-produits des cultures et de diversifier les revenus. Mais c’est par son rôle de « volant monétaire » venant atténuer les fluctuations de rendement des cultures que l’élevage est capital dans l’adaptation des exploitations aux aléas climatiques. Aussi la décapitalisation du cheptel en période de sécheresse ne doit pas être considérée comme un phénomène trop inquiétant si ce cheptel se reconstitue une fois la sécheresse passée.
À ces différentes formes de diversité, il faut ajouter la diversification des activités et des revenus. En effet, trop souvent on a évalué la viabilité des exploitations à l’aulne de leurs seuls revenus agricoles. Sur cette seule base on ne peut expliquer la survie des nombreuses exploitations agricoles. Le fonctionnement d’une société rurale nécessite l’exercice de différents types d’activités artisanales (forgeron, menuisier, tailleur, etc.) et commerciales. Depuis longtemps et encore aujourd’hui, ces fonctions sont assurées par des ruraux ayant une activité agricole et c’est grâce à cette pluriactivité que beaucoup d’exploitations peuvent surmonter les fluctuations de revenus induites par les aléas climatiques.
Une autre façon, pour les agriculteurs du Sahel de compenser les pertes de production et de revenu résultant des aléas pluviométriques consiste à exploiter les ressources naturelles de leur milieu et en particulier le bois. Une exploitation anarchique et minière de ces ressources peut être préjudiciable à l’environnement. Elle peut aussi s’organiser pour la rendre durable et bénéfique aux villageois, comme cela a été fait au Niger par la création de marchés pour le bois de chauffage.
L’adaptation par la mobilité. Celle-ci concerne à la fois les cultures, les troupeaux et les hommes. La sécheresse entraîne la délocalisation des cultures soit vers des terroirs plus aptes à valoriser les pluies soit vers les zones où s’accumulent les eaux de ruissellement (bas-fonds).
Quant aux déplacements des troupeaux, ils sont un moyen essentiel d’adaptation de la conduite des animaux à la fluctuation des ressources en eau et en fourrage. La sécheresse accroît cette mobilité et en modifie les rythmes et les itinéraires au risque, comme lors de la grande sécheresse de 1982-84, d’inciter les éleveurs transhumants à conduire leurs troupeaux trop au Sud, dans des zones infestées de glossines (mouches tsé-tsé).
Reste la mobilité des hommes. Au Sahel, la longue saison sèche, pendant laquelle se trouvent suspendus les travaux des champs, a depuis longtemps favorisé un important flux migratoire saisonnier d’une partie de la force de travail et plus spécialement des jeunes vers les villes et les pays côtiers. À cette migration saisonnière viennent s’ajouter les migrations lointaines et prolongées en dehors du pays d’origine. Dans certaines régions (pays Soninké au Mali) elles ont constitué pendant longtemps une étape obligée dans la vie des hommes et la principale source de revenus pour les familles. Mais ce type de migration devient de plus en plus difficile du fait des restrictions imposées par les pays du Nord, si bien qu’actuellement, 90% des migrations se font entre pays africains.
Un autre type de mobilité réside dans les migrations plus ou moins définitives de populations des zones les plus menacées par la sécheresse vers d’autres régions aux conditions plus favorables pour l’agriculture (exemple de la migration des Mossis au Sud-Ouest du Burkina Faso). Ces migrations posent des problèmes notamment du point de vue foncier ; on peut s’attendre à ce qu’elles se poursuivent et se développent avec l’accentuation du changement climatique.
Enfin, le stockage de récoltes a été pendant longtemps une stratégie de base pour tamponner les effets des risques climatiques. La monétarisation des échanges a fortement affaibli cette stratégie et fragilisé les communautés rurales face à ces risques. La mise en place de banques céréalières s’efforce de corriger cette évolution. On voit que les paysans d’Afrique subsaharienne sont loin d’être restés passifs face aux aléas climatiques et à leur accentuation depuis les années 70. La prise en compte de leurs pratiques et stratégies d’adaptation peut être extrêmement utile pour définir des problématiques de recherche pertinentes pour lutter contre ces aléas et faire en sorte que les stratégies des opérateurs de développement soient plus en cohérence avec celles des agriculteurs.
Pour approfondir : Joet A., Jouve P., Banoin M. 1998. Le défrichement amélioré au Sahel. Une pratique agroforestière adoptée par les paysans. Bois et forêts des tropiques, 255(1) p 31-4