Entretien avec Mamy Rajohanesa.
Grain de sel : Quelle est l’implication des organisations de producteurs (OP) dans la question du financement de l’agriculture à Madagascar ?
Mamy Rajohanesa : Les organisations paysannes conscientisent les producteurs sur le fait que le financement rural est un outil vital pour le développement agricole. Elles font de la sensibilisation à la bonne utilisation des prêts et dans la réflexion sur l’utilité ou pas des prêts. Les OP jouent aussi un rôle dans l’orientation des subventions au financement de l’agriculture (pour les engrais, les taux bonifiés pour les petits matériels ou l’acquisition de vaches laitières par exemple). Dans le contexte actuel malgache, avec la « révolution verte » et la hausse de production attendue des paysans, ils devront trouver des financements pour augmenter leur production. Il s’agit de structurer les organisations financières et de veiller à leur pérennisation, car elles ont un impact non négligeable comme outils de production. Il faut préserver les institutions de microfinance pour pérenniser l’accès des producteurs au crédit. En cela, les OP jouent aussi un rôle, en allant : argumenter pour la cause des IMF auprès des partenaires et institutions financières ; dire que le financement rural est devenu un instrument vital.
GDS : Quelle est l’intervention de l’État malgache dans le financement de l’agriculture ? Quelles sont les évolutions récentes en termes d’engagement de l’État dans le financement de l’agriculture ?
MR : On a senti un vrai changement de cap à mettre en lien avec l’apparition récente du Plan d’action pour Madagascar (« Madagascar Action Plan »). Cette initiative, qui a bénéficié de l’appui de bailleurs de fonds internationaux, Union européenne et Banque mondiale, a permis à l’État d’affecter des fonds au financement de l’agriculture, notamment par l’intermédiaire de la microfinance. Récemment alors que deux unités régionales du Réseau Cecam rencontraient d’importantes difficultés, le gouvernement a pu, grâce à ces fonds et par l’intermédiaire du Conseil national de la microfinance, les aider à rétablir la situation. Parallèlement, l’administration s’intéresse à l’intensification des activités de financement du monde rural. Le signe le plus manifeste de cet intérêt est l’ouverture de crédits intrants agricoles à des taux bonifiés. L’État a également permis le financement de matériel agricole (notamment des motoculteurs et des semences améliorées).
Le conseil national de la microfinance qui auparavant ne s’occupait que de la coordination des fonds pour la microfinance a désormais un rôle plus large. Y sont associés des agronomes, mais aussi les OP, lors de réunions ad hoc. Ces réunions regroupent également des représentants de l’État, la Banque centrale, des techniciens du ministère de l’Agriculture, des Finances, des réseaux d’Institutions de microfinance, etc.
GDS : Quelles politiques publiques sont possibles et souhaitables selon vous pour améliorer l’efficacité et le rôle de la microfinance pour le développement rural ?
MR : Il faut réduire les taux d’intérêt appliqués aux emprunteurs et alléger les procédures d’accès au microcrédit pour les paysans tout en garantissant la performance et la viabilité des IMF. Ce n’est pas que les institutions de microfinance se désintéressent de ces questions. Au contraire, elles sont conscientes des problèmes posés aux paysans, mais elles n’ont pas les moyens pour y parvenir. Il faut trouver les solutions à mettre en place, pour pouvoir mieux convaincre les producteurs d’avoir recours à la microfinance mais pas aux usuriers. L’objectif d’accroître la production de riz et la production alimentaire est tel qu’il faut encourager les producteurs à accéder au crédit et les aider à bien l’utiliser par le conseil en exploitation de proximité. Ce dernier permettra aussi aux paysans de mieux gérer l’exploitation et mieux cibler des fonds et planifier à l’avance le remboursement.
Les taux d’intérêt actuels sont de 3-3,5 % par mois. Récemment l’État a tenté une expérience en mettant en place des taux d’intérêt bonifiés (1% par mois). Mais cette expérience a cessé. C’est à l’État de mieux argumenter pour convaincre les bailleurs de fonds de renouveler l’expérience. Il faut avoir un appui structuré dans la durée, un vrai engagement et une forte volonté de l’Etat mais pas des coups ponctuels.
GDS : Quelles politiques publiques sont possibles et souhaitables selon vous pour améliorer l’efficacité et le rôle du financement de l’agriculture en général ?
MR : Il n’y a pas que la microfinance pour financer le développement rural. Il peut y avoir des contrats commerciaux avec des débouchés assurés qui pourraient permettre aux paysans de produire plus. Je pense aussi au préfinancement. Cela s’est déjà fait. Des expériences de ce type ont connu des difficultés, mais si le terrain est bien préparé, cela peut réussir. Pour cela, il faudra développer des partenariats opérateurs/producteurs dans le partage des risques et dans la confiance mutuelle.
L’État dispose par ailleurs de mesures fiscales. Sur ce sujet les OP ont été récemment associées à une formation sur la fiscalité foncière. Les résultats de cette rencontre n’ont pas encore été publiés. Mais je pense que sur la fiscalité du monde agricole il faut que l’administration ait des procédures spécifiques. Les ponctions fiscales doivent intervenir après les récoltes car, avant, les paysans ne peuvent pas payer.
Mamy Rajohanesa est le président du conseil d’administration de l’Association pour le progrès des paysans (Fifata), organisation paysanne faîtière présente dans une dizaine de régions à Madagascar où elle rassemble plus de 100 000 membres.