_ En adhérant à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les pays en développement comme les pays développés s’engagent à appliquer les règles qu’ils sont censés avoir contribué à définir. Les règles de l’Accord sur l’agriculture (AsA) portent sur les instruments de politique commerciale, mais pas seulement. Au-delà des aspects commerciaux (droits de douane, barrières non tarifaires, subventions aux exportations, etc.), l’AsA touche directement les instruments de politiques agricoles. Les aides aux producteurs sont en effet considérées comme devant être réglementées, car elles peuvent inciter les producteurs à prendre des décisions inadéquates, qui ne seraient plus guidées par les signaux du marché. Dans le jargon de l’OMC, il s’agit de limiter l’utilisation d’instruments ayant des « effets de distorsion », c’est-à-dire empêchant le marché de tendre vers une situation optimale de libre concurrence.
Adhérer à l’OMC implique de se conformer aux règles multilatérales. Les pays en développement se sont donc engagés à diminuer leurs droits de douane et à les consolider à des taux qu’ils ne doivent pas dépasser. Les pays les moins avancés (PMA), s’ils sont exempts d’engagement de réduction, ont néanmoins notifié des droits de douane maximaux qu’ils ne doivent pas non plus dépasser. Le recours aux subventions aux exportations est également limité. Sur le plan des soutiens internes, les instruments d’aide aux producteurs ont été classés dans différentes boîtes, en fonction de leur degré de distorsion : boîtes verte, bleue et orange, des moins distorsives aux plus distorsives. Il s’agit par exemple pour ces dernières des prix d’achat garantis aux producteurs par des offices publics de commercialisation, des prix d’intervention de l’Union européenne, etc. À l’inverse, les aides directes au revenu, non liées au niveau de la production ou des prix, et donc censées ne pas influencer les décisions des producteurs, peuvent augmenter sans limite.
Dès lors que les États membres notifient leur niveau de droits de douane consolidés, de subventions aux exportations et de soutiens dans les différentes boîtes, les politiques agricoles doivent se conformer à ces notifications et aux disciplines multilatérales. Cela peut conduire à des réformes importantes et limite, de fait, la marge de manoeuvre des pouvoirs publics dans l’utilisation de la palette d’instruments de politique agricole. En Côte d’Ivoire, le système de Caisse de stabilisation du café et du cacao qui assurait des prix d’achat garantis aux producteurs (certes, bien en-dessous du niveau des cours mondiaux), et qui a été démantelé, ne pourrait plus aujourd’hui être remis en place. Au Vietnam, le système de prix garantis qui existait pour des produits clés (riz, sucre, coton), avec des prix administrés en fonction d’un prix de référence extérieur, a été réformé avec l’adhésion à l’OMC finalisée en 2007. Le montant des soutiens des prix administrés a sensiblement diminué. Les subventions à l’exportation, qui étaient également utilisées pour des produits clés (riz, porc, café, etc.), ont été supprimées.
La conformité ne concerne pas que l’OMC. Quelques exemples concrets. Les accords de l’OMC ne sont pas les seuls accords commerciaux qui imposent une mise en conformité des politiques agricoles. Tout accord commercial avec des engagements de réduction sur les droits de douane constitue un cadre auquel doivent se conformer les politiques agricoles. Un pays qui est engagé dans plusieurs espaces commerciaux doit dès lors articuler ses politiques avec ses divers engagements.
Le cas du Cameroun, à la fois membre de l’OMC et membre de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), illustre l’exigence d’une « double conformité ». À l’OMC, le Cameroun a consolidé ses droits de douane à un taux plafond de 80% sur toutes les importations de produits agricoles, et il a consolidé d’autres droits et taxes à hauteur de 230%. Au total, il s’est engagé auprès de l’OMC à ne pas dépasser 310% de taxation à l’importation sur les produits agricoles. Cependant, au niveau de la Cemac, la réforme fiscalo-douanière de 1994 a conduit à instaurer un Tarif extérieur commun (Tec) appliqué sur les importations en provenance de pays tiers. Ce Tec comprend quatre taux allant de 5% à 30% maximum. La conformité du Cameroun avec ses engagements régionaux apparaît finalement bien plus restrictive que celle relevant de l’OMC.
Le même cas de figure se présente pour le Burkina Faso, membre de l’OMC, de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Lorsque le Burkina Faso adhère à l’OMC en 1995, l’Uemoa n’est pas encore une union douanière. Le Burkina Faso a notifié des droits à taux plafonds de 100% pour les produits agricoles, auxquels il faut ajouter d’autres droits et taxes à hauteur de 50%. Au total, le Burkina Faso s’est engagé à appliquer des droits de douane maximum de 150% sur les importations de produits agricoles. Mais la mise en application du Tec de l’Uemoa en 2000 a obligé le Burkina Faso à diminuer ses droits de douane : les droits de douane moyens sur les produits agricoles sont passés de 29% en 1997 à 15% en 2003. En outre, il est possible que la définition du Tec Cedeao actuellement en cours de négociation, conduise de nouveau le Burkina Faso à modifier sa politique commerciale pour les produits agricoles.
Le temps de la flexibilité. La conformité avec les règles multilatérales et les engagements des pays dans le cadre des accords commerciaux où ils sont engagés, apparaît ainsi déterminante pour élaborer des politiques agricoles et commerciales. À l’OMC, la mise en conformité est vérifiée régulièrement (tous les 4 ou 6 ans pour les pays en développement) par les équipes techniques du Secrétariat (examen de politique commerciale). Un membre de l’OMC dont la politique ne serait pas conforme s’expose par ailleurs au risque de plainte de la part d’autres membres. Bien sûr, on peut recenser de nombreux cas où la non-conformité n’a pas entraîné de plainte (particulièrement pour les pays en développement). La notion de conformité est aussi parfois âprement discutée, comme par exemple concernant la classification des soutiens internes dans les différentes boîtes. Mais à l’OMC comme dans d’autres espaces de négociation au niveau régional ou bilatéral (les Accords de partenariat économique par exemple), on observe aujourd’hui que les discussions se concentrent sur la « flexibilité » des engagements.
Les produits spéciaux à l’OMC, ou sensibles pour les APE, qui seraient soustraits de la libéralisation, ou bien les mécanismes de sauvegarde spéciale à l’OMC, « bilatérales » pour les APE pour faire face à une brusque concurrence des importations, permettent de se ménager des marges de manoeuvre dans l’élaboration des politiques agricoles. Demain, la conformité des politiques publiques devra s’apprécier avec les flexibilités qui sont aujourd’hui négociées.
Arlène Alpha est responsable du pôle Politiques publiques et régulations internationales du Groupe de recherche et d’échanges technologiques (Gret). Elle a notamment coordonné le guide pratique « Agriculture et OMC en Afrique : comprendre pour agir », qui fournit des éléments de compréhension du fonctionnement des institutions et des accords de l’OMC concernant le secteur agricole et propose aux responsables d’organisations de la société civile d’Afrique subsaharienne des outils pour mieux prendre la mesure de l’enjeu et des moyens de la participation au commerce mondial. http://www.gret.org/ publications/ ouvrages/infoomc/ index.html