Grain de sel : Quelles ont été les idées fondatrices de la Politique agricole commune (Pac) et quels sont les acteurs qui l’ont portée ?
Shelby Matthews : À l’époque de la fondation de la Pac, il est clair que les acteurs étaient moins nombreux. La Pac a été l’unique politique vraiment décidée et appliquée au niveau communautaire, et les gouvernements ont été à la base des négociations, même si les agriculteurs étaient impliqués dans le processus dès 1958.
Mais depuis la fin des années 80 – les années 90, de nombreux « nouveaux acteurs » sont apparus : groupes de pression, ONG environnementales. Ils sont venus participer aux débats et discussions aux côtés des instances de la CE, entrepreneurs, consommateurs et commerçants qui débattaient jusque là entre eux. Ces nouveaux acteurs ont changé la donne et les rapports de force existant, se positionnant, selon les sujets, du côté des agriculteurs ou en opposition avec leurs orientations.
L’Union européenne a poursuivi le même type de réformes depuis le début des années 90 dans le but, sous la pression de l’OMC, de progressivement libéraliser nos marchés. Nous avons démantelé notre soutien des prix et réduit notre protection et nos subventions à l’exportation d’une façon très substantielle. En outre, depuis la reforme de 2003, 90% des subventions agricoles sont maintenant découplés de la production afin de n’être pas distorsives, et d’être conformes aux règles de l’OMC. Mais, les citoyens européens ayant atteint la sécurité alimentaire, ils sont moins intéressés de savoir « ce qu’on produit et combien ». Ils sont en revanche très exigeants sur les questions liées à « comment on produit ». L’accent est mis sur un contrôle croissant du travail des producteurs — règles strictes sur la sécurité sanitaire des aliments, la traçabilité, la protection de l’environnement, le bien-être des animaux et la biodiversité — toutes mesures qui ont augmenté les coûts des producteurs.
Pour ce qui concerne les perspectives d’avenir à l’approche de la nouvelle réforme de la Pac, la perspective d’un nouvel accord à l’OMC augmente encore la pression sur les agriculteurs. Mais la situation a changé, nous ne sommes plus dans un contexte où les prix mondiaux bas et la sécurité alimentaire sont garantis. Notre politique actuelle et nos budgets sont fixés jusqu’à 2013 et nous ne voulons pas que des changements majeurs soient opérés d’ici là. Mais à Copa-Cogeca, nous avons une réflexion profonde et entièrement renouvelée sur le futur de la Pac et les implications de la nouvelle situation mondiale sur la politique après 2013.
GDS : Quels ont été les principaux impacts de la Pac sur le développement des agricultures d’Afrique de l’Ouest ? Quels sont de ce fait les enjeux de la réforme à venir ?
SM : Pour les Pays les moins avancés nous avons mis en place le système Tout sauf les armes (TSA), avec des périodes transitoires pour le sucre et le riz. Ce système permet aux PMA d’exporter vers le marché européen en libre accès. Sinon, la Pac a eu peu d’impact pour les petits producteurs de coton par exemple. Et pour ce qui concerne les enjeux d’avenir, les subventions à l’exportation vont disparaître dans les prochaines années. Nous avons des relations avec le Réseau des organisations de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (Roppa) et la Fédération des agriculteurs de l’Afrique de l’Est (EAFF). Nous avons par exemple récemment émis une déclaration conjointe, faisant part de notre préoccupation face aux exigences de l’Organisation mondiale du commerce.
Même si nos contextes sont très différents, au fonds nous avons des préoccupations communes.
GDS : Alors que les agriculteurs européens ont bénéficié de multiples protections pour assurer la sécurité alimentaire de l’Europe et en faire une puissance exportatrice, on demande au contraire aux pays africains d’ouvrir leurs marchés. Leurs agriculteurs peuvent- ils combler ce déficit de protection, et comment ?
SM : Nous, en Europe, avons mis du temps à développer nos agricultures après la 2ième guerre mondiale. Et le contexte était favorable. Or il semble qu’on attend des Africains qu’ils développent leurs agricultures dans un temps record, alors même que les marchés sont de moins en moins protégés. Et la tendance à la libéralisation est lourde : les marchés ne vont que s’ouvrir davantage, en tous les cas, c’est ce à quoi on peut s’attendre avec la perspective annoncée d’une réouverture du cycle de Doha. Cette ouverture des marchés risque de profiter à un nombre restreint de pays, les grands exportateurs que sont le Brésil, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Canada ou les États-Unis. Car eux seuls ont les infrastructures et les industries nécessaires. Au niveau du Copa-Cogeca, nous soutenons certaines protections pour que les pays en développement accroissent leur sécurité alimentaire. Mais pour cela, encore faut-il qu’ils se dotent de politiques agricoles qui promeuvent l’agriculture. Chaque pays doit pouvoir faire une politique qui convient à ses problèmes nationaux, c’est un fait. En Europe, après la guerre la première préoccupation était la sécurité alimentaire. Mais aujourd’hui les Européens ont oublié cela, leurs inquiétudes sont tout autres. Certes la question de la sécurité alimentaire refait son apparition sur la scène médiatique, mais c’est tout récent, et cela n’a pas encore eu un impact sur la politique agricole.