Le programme Manform comprend certes des investissements, mais surtout une rénovation fondamentale du dispositif de formation tant dans son volet ingénierie que dans ses procédures de fonctionnement et dans son volet d’orientation et de pilotage. Il s’insère, concernant le secteur rural, dans un contexte bien particulier.
Bref survol du paysage agricole tunisien. La contribution du secteur agricole dans le Produit intérieur brut de la Tunisie est d’environ 12% sur les vingt dernières années, avec un taux de croissance annuel moyen de près de 3% grâce à une augmentation de la productivité. La Tunisie a réalisé d’énormes progrès au cours des dernières décennies pour assurer son autosuffisance alimentaire. Le taux de couverture des produits agroalimentaires, inférieur à 50% dans les années 1980, est quasiment de 100% ces dernières années, alors même que les besoins alimentaires de la population ont fortement augmenté et se sont diversifiés. Les principaux produits exportés (pour l’essentiel vers l’Europe) sont l’huile d’olive, les produits de la mer et les dattes. L’évolution des structures de production est marquée par une augmentation globale du nombre des exploitations agricoles due pour l’essentiel aux très petites exploitations (moins de 5 ha). Si seule une minorité de producteurs sont analphabètes (les très âgés), très peu de producteurs ont suivi une formation professionnelle agricole.
L’évolution de la production agricole en Tunisie s’effectue dans le cadre d’un choix, celui de la transition d’une économie protégée vers une économie intégrée dans les échanges internationaux (adhésion à l’Organisation mondiale du commerce, entrée en vigueur de l’accord de libre-échange avec l’Union européenne, création d’une zone de libre- échange arabe). L’enjeu majeur au niveau agricole est donc d’améliorer la compétitivité des produits, tant sur le marché intérieur que sur le marché international. Dans le cadre de ces orientations, le développement des ressources humaines, l’éducation et la formation professionnelle, la correspondance de la formation avec les besoins en qualifications sont pris en compte comme des éléments importants de l’amélioration des gains de production et de revenus en agriculture, tout en assurant un développement durable.
Quelle politique nationale de formation professionnelle agricole ? La formation professionnelle agricole est considérée comme un des outils d’une politique de développement économique et social du secteur, au même titre que l’accès au foncier, l’accès au crédit, la maîtrise de l’eau, etc. Replacée dans une vision globale du développement, elle a donné lieu à un ensemble de décisions qui l’ont intégrée dans les politiques d’État : loi d’orientation de la formation professionnelle (1993), décrets sur les établissements de formation professionnelle agricole (1996, 1998), mise en place du programme Manform, orientations des Plans de développement économique et social de la Tunisie.
Partenariats entre les services de l’État et les organisations professionnelles. Le programme Manform se construit et se réalise dans un partenariat étroit entre les différents services de l’État chargés de la formation professionnelle agricole (ministère de l’Agriculture, Secrétariat d’État à la Formation professionnelle, Agence de vulgarisation et de la formation professionnelle agricole, Centre national de formation de formateurs et d’ingénierie de formation, etc.) et les organisations professionnelles représentées au sein de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (Utap). L’Utap a été partie prenante de la réflexion autour du programme et a joué un rôle clé dans le diagnostic, dans les orientations comme dans sa mise en oeuvre (audit du dispositif, rédaction du dossier de définition de projet, études d’opportunité, cahiers des charges, programmation, etc.).
La mise en oeuvre d’une démarche d’ingénierie de formation. Dès la mise en oeuvre du projet, priorité a été donnée à l’analyse des activités professionnelles des producteurs des différentes filières de production avec élaboration de référentiels d’activité professionnelle (rédaction de « référentiels emploi »). Cette préoccupation d’une offre de formation adaptée aux situations réelles des emplois et des situations de travail s’est également concrétisée dans la volonté de développer des dispositifs de formation en alternance qui n’existaient pas jusqu’alors dans le secteur.
Des questions encore sans réponse. D’autres enseignements devraient être tirés de l’expérience tunisienne et il reviendra aux acteurs tunisiens de les analyser. Les principaux questionnements à ce stade sont les suivants : – à quelles conditions assurer un partenariat actif des professionnels à la fois en termes de disponibilité mais aussi d’intervention dans certaines procédures techniques (ingénierie de la formation, génie civil, démarches administratives) ? – quelles actions d’accompagnement développer pour un dispositif de formation professionnelle par alternance sur la base d’exploitations de taille modeste où les chefs d’exploitation n’ont pas eux-mêmes suivi une formation professionnelle ? – comment financer la formation professionnelle ?
Alain Maragnani, chargé de mission du réseau Far, a occupé différents postes au ministère de l’Agriculture dans le domaine de la formation professionnelle. Il a notamment exercé les fonctions d’inspecteur de la mission de coopération internationale. Le réseau Far tient cette année sa conférence internationale à Tunis du 23 au 26 mai 2008. https://www.institut-agro-montpellier.fr/innovations-expertises-partenariats/expertises/le-reseau-international-far ;