Pour le président du Roppa, les Africains sont les acteurs de leurs propres politiques agricoles. Ils ne doivent pas se laisser enjôler par l’aide budgétaire de leurs partenaires.
GDS : Qu’est-ce qu’une politique agricole ?
Ndiogou Fall : C’est avant tout une vision, qui doit permettre de s’accorder sur l’idée que l’on se fait de l’agriculture dans notre région. Car il y a plusieurs types d’agriculture… S’agit-il de promouvoir la grande agriculture industrielle – qui suppose concentration des terres, élimination des petites exploitations familiales et renforcement de l’exclusion, de la pauvreté et de la famine – ou s’agit-il de promouvoir les exploitations familiales en cherchant à les moderniser, à renforcer leur productivité, à faciliter leur accès aux ressources et à créer un environnement favorable au développement ? Pour nous, une bonne politique agricole, ou en tout cas une politique agricole viable en Afrique de l’Ouest, doit passer forcément par cette seconde option. En plus de nous entendre autour d’une vision, il faut aussi s’entendre sur les instruments à utiliser pour atteindre ou bien pour cheminer vers cette vision. Concevoir des instruments de politique qui servent l’agriculture familiale est différent de concevoir des instruments de politique qui servent l’agriculture industrielle. Toutes ces questions sont à réunir pour avoir une politique agricole. Dans le cadre de la politique agricole de la Cedeao, nous n’avons pas obtenu gain de cause à 100 % mais on se félicite quand même de deux choses : D’une part, cette politique insiste sur l’importance de la petite agriculture familiale. D’autre part, elle insiste sur la souveraineté alimentaire, très importante pour nous car la première souveraineté, c’est la souveraineté alimentaire. Si nous ne maîtrisons pas notre alimentation, nous nous fragilisons et devenons dépendants. C’est la première fois dans une politique de la région africaine de l’Ouest que cette préoccupation fait l’objet d’une manifestation très claire et d’une sorte d’engagement. Mais aujourd’hui tout cela n’existe encore que sur le papier. C’est aux autorités d’asseoir ce développement agricole de la région, sur cette base.
GDS : Concernant la mise en œuvre des politiques agricoles justement, il semble que les choses ne vont pas aussi vite qu’on pourrait le souhaiter. Comment expliquez-vous ces difficultés de mise en ouvre, et comment en sortir ?
NF : Ce qui est dommage en Afrique, c’est que quand on a fini d’élaborer des politiques ou des programmes, c’est comme si on devait rester les bras croisés, en attendant que les partenaires viennent en assurer la réalisation. Nous, le Roppa, disons que notre politique agricole c’est notre affaire avant d’être l’affaire des autres. Nous ne devons pas élaborer des politiques et attendre que les partenaires viennent apporter les financements. Nous devons être les premiers à apporter l’argent pour leur réalisation, ce qui signifie que les budgets de nos pays doivent contribuer davantage dans leur mise en œuvre. Il n’est pas du tout question, via n’importe quelle aide, quelle que soit son importance, de nous dévier de la trajectoire que l’ensemble de la population a tracé et de définir pour nous la voie pour sortir de la pauvreté. Très malheureusement, nous constatons qu’à chaque fois qu’une population africaine élabore une politique, le système d’aide intervient et lui demande de modifier ses éléments jusqu’à dénaturer ce que nous voulions faire. Cette fois-ci, le Roppa se mobilise pour dire non à ce genre de pratiques Aujourd’hui, ce qu’il nous reste à faire c’est de mettre en œuvre cette politique agricole, au niveau local et au niveau régional. Cela suppose que désormais les budgets de nos pays contribueront à la prise en charge de la politique agricole. Cela suppose aussi qu’en tant qu’acteurs appartenant aux organisations de producteurs, nous avons des actions à mettre en œuvre. En fonction des maigres ressources dont nous disposons, nous devons sensibiliser l’ensemble des acteurs sur l’importance de la politique. Nous pouvons aussi contribuer en apportant de la force de travail. Je songe par exemple à un apport de main d’œuvre pour l’aménagement d’un barrage, d’une retenue d’eau, d’une canalisation. L’heure n’est plus à l’attente. Si les partenaires sont disposés à nous aider, ils le feront. Nos partenaires soucieux de nous soutenir et de respecter notre politique peuvent venir nous appuyer financièrement. Ceux qui pensent qu’ils vont changer notre politique rentreront chez eux.
GDS : Pensez-vous qu’il est possible de protéger les agricultures ouest africaines dans le cadre actuel de mondialisation libérale ?
NF : Nous ne sommes plus à l’époque où étaient chantées les louanges du libre-échange. On s’est rendu compte par la pratique sur le terrain que les marchés ne pouvaient rien réguler. Il faut une intervention publique, que l’homme agisse car le marché seul ne peut réguler les déséquilibres. En outre, pendant plusieurs décennies, on n’a pas tenu compte de l’importance de l’agriculture, particulièrement en Afrique. Aujourd’hui, étant donné le fait que la pauvreté et la famine ont augmenté en milieu rural, on se pose beaucoup de questions sur la viabilité de politiques qui ont délaissé l’agriculture. Voilà pourquoi il faut faire en sorte que les politiques pro-libérales ne puissent plus privatiser. C’est cela que nous avons en partie dénoncé dans le cadre de l’Ecowap en disant que ce qui nous avait été promis dans le cadre des ajustements s’avérait faux ! Certains nous disaient : « En libéralisant, vous allez vous développer ». Le contraire s’est produit de manière générale et pour les paysans en particulier. C’est forts de cet enseignement, que nous disons « Plus jamais de libéralisme à outrance ! ». Il faut que les choses soient régulées en fonction du niveau de développement, des capacités, des objectifs que l’on se fixe. On ne peut pas laisser les politiques internationales nous imposer une ouverture sauvage de nos économies.
GDS : Quelles sont les articulations possibles entre les différentes échelles, du local à l’international ?
NF : Entre le niveau international et régional, nous avons beaucoup de marges de manœuvre. L’expérience des APE démontre que nous pouvons dire non. L’Europe a voulu nous imposer des accords de libre-échange auxquels nous avons su résister. Nous allons continuer le combat pour que le contenu de l’accord, s’il y a accord, soit conforme aux aspirations des populations ouest-africaines. Maintenant, entre le niveau régional et le niveau national, il reste de nombreuses choses sur lesquelles il faut travailler. Tous les pays n’en sont pas au même stade. Heureusement, la politique agricole de la Cedeao prend en compte les différents niveaux de développement de ses membres. Ce qu’il nous reste à faire : avancer rapidement au niveau d’un certain nombre d’instruments qui sont indispensables, tels que les mécanismes de solidarité. Une intégration sans instruments de solidarité ne peut pas fonctionner, car tous les États ne sont pas au même niveau. Des États peuvent s’en sortir, d’autres non. Des États peuvent être pénalisés par une décision, d’autres non. Mais il faut trouver les moyens de réguler tout ça pour l’intérêt général. Pour nous, il est tout à fait important de travailler sur ces aspects de solidarité. Un autre aspect : Assurer une véritable subsidiarité entre le niveau régional et le niveau national. Le niveau régional a pour vocation de venir renforcer ce qui est fait au niveau national et au niveau local. Quand un producteur, un artisan, un pêcheur, un éleveur, travaille au niveau local, il doit pouvoir bénéficier d’un environnement qui rend cette activité bénéfique pour lui. C’est cela qu’il faut faire, et au sein d’un ensemble plus ou moins homogène (au niveau régional), pour que chacun puisse en tirer profit.
GDS : Quels sont, selon vous, les éléments nécessaires au succès d’une politique agricole ?
NF : Tout d’abord, les politiques agricoles doivent être conçues de façon participative. L’époque est révolue où quelques techniciens se mettaient autour d’une table et élaboraient les politiques nationales ou régionales. L’engagement collectif est nécessaire pour la mise en oeuvre d’une politique agricole. C’est seulement dans ces conditions que la politique sera appropriée. Par exemple, la politique de la Cedeao prend en compte les préoccupations de tous les acteurs. De plus, l’euphorie, ou tout du moins la préoccupation, à travailler dans le cadre de politiques régionales ne doit pas occulter l’importance de considérer le niveau national. Il faudrait assurer des régulations et des articulations. Par exemple, des articulations sont nécessaires entre les politiques sectorielles, les normes utilisées, etc. Tout cela reste encore à travailler. Il faut faire en sorte que la libre-circulation des personnes et des biens soit effective au niveau de l’espace régional intégré, etc. Voilà des questions où nous pensons qu’il y a des problèmes d’articulations d’une part entre le niveau régional et le niveau national, mais aussi entre les différents États. Par exemple, lorsque le Ghana et le Sénégal ne sont pas en accord sur le nombre de tonnes transportées par camion, cela ne peut pas fonctionner car ce sera une contrainte en terme de circulation des produits. Donc cette normalisation est particulièrement importante et cette harmonisation doit se réaliser pour rendre les politiques agricole, industrielle, etc., compatibles et harmonieuses.