Transcription intégrale de l’entretien, réalisé à Ouagadougou le 3 avril 2008 par Roger Blein et Souleymane Ouattara.
Grain de sel : Quel est votre parcours professionnel ?
Ousséni Salifou, Commissaire à l’Agriculture de la CEDEAO : Je suis Nigérien, hydraulicien de formation avec comme spécialité « mobilisation des ressources en eau ». Dans mon pays, j’ai été directeur dans plusieurs régions et secrétaire général du ministère en charge des ressources puis de celui en charge de l’environnement et de l’Hydraulique six ans durant. J’occupe le poste de commissaire à la Cedeao en charge de l’agriculture, de l’environnement et des ressources en eau depuis le 6 février 2007, et ce pour un mandat de quatre ans.
Grain de sel : Comment avez vous vécu le passage du niveau national au niveau régional ?
Ousséni Salifou : Le niveau régional concerne 15 Etats. Sinon, il s’agit d’activités similaires et je n’étais pas dépaysé. Au Niger, j’ai participé à l’élaboration de politiques et stratégies de l’eau, de l’Environnement.
Grain de sel : Pouvez-vous nous rappeler l’essence, le contenu de la politique agricole de la Cedeao ? Qu’est-ce qui fait sa spécificité ?
Ousséni Salifou : Les 15 pays de la Cedeao et surtout les pays sahéliens sont confrontés à une instabilité chronique. C’est pourquoi les chefs d’Etat ont demandé d’élaborer une politique, un plan d’actions et les mettre en œuvre avec comme objectif général d’assurer la sécurité alimentaire des pays membres de la Cedeao. En quoi faisant ? En élaborant des programmes d’investissements directement au profit des populations. Depuis plus de 30 ans, les populations surtout rurales ne connaissent pas ce qu’est la Cedeao. C’est à travers cette politique agricole qu’on peut toucher les producteurs ruraux avec l’appui de toutes les parties prenantes : les parlementaires, les services de l’Etat, la société civile… Les chefs d’Etat nous ont demandé de leur présenter d’ici la fin 2008 des programmes d’investissements bien ficelés et bancables, que ce soit au niveau national ou au niveau régional, pour leur trouver des financements. Ces programmes sont en cours d’élaboration avec l’appui de la FAO et de l’IFPRI. Les programmes nationaux porteront sur les priorités de chaque Etat. Huit pays ont déjà organisé leur concertation et préparent les tables rondes de financement. Les programmes régionaux sont quant à eux préparés en collaboration avec les institutions de coopération technique régionales, comme le CILSS, LE CORAF spécialisé dans la coordination de la recherche agricole, LA CMA-AOC qui travaille sur les filières et les marchés agricoles, etc. D’autres institutions ou organisations comme le ROPPA, le Hub Rural ou le Club du Sahel sont mobilisés et tous interviennent comme des chefs de file thématiques, des « bras techniques » de la CEDEAO, responsables pour la conception des programmes, chacun dans son domaine de compétence. Ce sont des institutions expérimentées en la matière. Si vous prenez le CILSS en matière de sécurité alimentaire et de lutte contre la désertification, ils sont la référence. C’est pourquoi nous avons confié ces thèmes à ces institutions. Les programmes régionaux seront mis en œuvre en collaboration avec l’UEMOA. Il ne faut pas perdre de vue que nous avons en référence la Déclaration de Maputo, engageant les pays à consacrer 10% de leur budget à l’agriculture. Très peu de pays le font déjà, et lorsqu’ils annoncent des chiffres, ceux-ci incluent souvent des dépenses qui ne sont pas strictement imputables au développement agricole. C’est le cas des infrastructures rurales par exemple. Lorsqu’on dit 10 %, ce doit être des ressources qui relèvent des compétences des ministères de l’agriculture.
Grain de sel : Donc les pistes rurales n’en font pas partie ? Ousséni Salifou : Non, car elles ne jouent pas seulement un rôle pour l’agriculture. Elles relèvent du développement des territoires. De plus, au niveau de la Cedeao, il y a un autre département qui s’occupe des infrastructures et on doit se compléter. C’est comme dans le domaine des ressources en eau. Nous ne gérons pas les infrastructures, les barrages et autres, car c’est un autre département qui s’en occupe. Nous nous occupons uniquement de la gestion de la ressource. Ce débat illustre à merveille le besoin de coordination et de cohérence entre les secteurs que ce soit dans chaque pays, ou à l’échelle de la CEDEAO.
Grain de sel : Quel est le modèle d’agriculture sous-tendu par la politique agricole ? Les OP développent la vision « agriculture paysanne » et les Gouvernements semblent miser plutôt sur l’agro business. N’y-a-t-il pas de risque que les investissements publics soient davantage captés par l’agro business au détriment de l’exploitation paysanne ?
Ousséni Salifou : Aujourd’hui, on dit plus de 40% de la population de la CEDEAO vit dans l’insécurité alimentaire. Est-ce l’agrobusiness qui viendra nourrir la population ? On est maintenant plus de 250 millions d’habitants en Afrique de l’ouest. On sera plus de 400 millions dans 20 ans ! Et que propose-t-on aux paysans ? On constate que les villages sont entrain de se vider au profit des villes. Mais dans les villes que font-ils ? Le marché de l’emploi est saturé et le banditisme se développe. Les jeunes aussi sont là, sans aucune perspective. C’est une bombe à retardement. C’est pourquoi il faut amener le gens à s’intéresser à la terre.
La politique agricole s’inscrit dans ce contexte. Aujourd’hui vous constatez que l’agriculture familiale assure l’immense majorité de la production et donne plus de rendement que l’agro business. On ne doit pas abandonner l’agriculture familiale mais accompagner sa modernisation. On doit au contraire appuyer ces paysans pour améliorer les rendements avant de parler d’agro business. Mais il faut aussi encourager les privés qui ont les moyens de se lancer. Il faut concilier les deux formes d’agricultures pour obtenir les meilleurs résultats possibles. On a constaté que l’agrobusiness ne marchait pas en Afrique de l’ouest. Parce qu’il y a plusieurs freins. Le premier c’est le problème foncier. Un privé qui veut faire de l’agrobusiness se confronte au problème foncier. Deuxièmement, c’est le problème d’écoulement des produits, parce que ce qu’ils produisent coûte plus cher que les mêmes produits importés..C’est pour cette raison que de nombreuses industries qui s’installent ferment en moins de deux, trois ans. A titre d’exemple, nous connaissons de grandes fermes qui produisent des fruits et les transforment. Mais ces produits ne supportent pas la concurrence des importations et ces agro-industries finissent par fermer. Cela finit par décourager les investisseurs et les populations Nous pensons qu’avec la petite agriculture, il suffit d’une volonté politique pour aider les paysans. La politique agricole de la Cedeao se propose d’améliorer leur accès aux intrants agricoles, au matériel agricole, à un encadrement rapproché et surtout à un marché régional. Car produire sans pouvoir vendre décourage les populations. Par exemple, ici au Burkina, en 2007 on a produit beaucoup de tomate et elles ont pourri. Les paysans ont voulu écouler au Ghana, mais celui-ci en a interdit l’entrée, malgré le traité de libre circulation des personnes et des biens au sein de l’espace CEDEAO. Les gens nous disent : « il faut que les pays développés cessent de subventionner ». Je leur réponds : « on ne peut pas empêcher les autres de le faire. Tout ce qu’on peut demander à nos pays c’est de subventionner tant qu’ils le peuvent ».
Grain de sel : On sort d’une période caractérisée par une sorte d’acharnement à démanteler l’agriculture, à travers l’adoption des programmes d’ajustement structurels agricoles ( PASA ). Aujourd’hui, on constate un regain d’intérêt pour l’agriculture. Quelle lecture faites-vous de cette évolution ?
Ousséni Salifou : L’ajustement structurel a demandé à nos Etats, de tout privatiser. Aujourd’hui, même la Banque mondiale constate que les résultats ne sont pas bons et qu’il faut réinvestir dans l’agriculture. Je vous parle de mon expérience personnelle. Mon père a travaillé dans une société de commercialisation de produits agricoles, la Sonara, dans les années 1960 – 1970. Certes, avec la mainmise de l’Etat, il y a eu des problèmes de gestion. Mais ces problèmes auraient pu être réglés. Au lieu de cela, on a demandé de privatiser toutes ces sociétés. Par le passé, le paysan avait accès aux intrants agricoles, au matériel agricole, au crédit, et il remboursait. Pourquoi ne pas revoir le système ? Nous pouvons reprendre ce qui marchait dans l’ancien système et essayer d’améliorer. Moi, je suis d’avis que les Etats revoient ce système et se préoccupe aussi de la commercialisation. Aujourd’hui, on demande à la population de produire des cultures vivrières ou des cultures de rente. Mais personne n’arrive à écouler. Il faut organiser le marché national et régional et il faut que les pays se spécialisent. On nous parle du Mali avec plus d’un million d’hectares à exploiter, alors que seulement 100 000 sont mis en valeur. Il faudrait voir quel rôle la Cedeao peut jouer dans ce domaine. Les programmes régionaux que nous sommes entrain d’élaborer pour l’application de l’ECOWAP vont prendre ces problèmes en charge. On va faire des propositions aux chefs d’Etat.
Grain de sel : Nos Etats et nos institutions ont-ils les moyens de conduire des politiques plus interventionnistes dans l’agriculture ?
Ousséni Salifou : Je l’ai toujours dit, c’est la volonté. Parce qu’aujourd’hui s’il faut apporter un changement, il faut en accepter les conséquences. Même s’il faut souffrir, il faut le faire. On a vu le cas des Asiatiques qui sont arrivés, pourquoi pas nous ? Certes nos Etats ont des difficultés, mais il ne faut pas toujours compter sur les partenaires pour venir nous aider, il faut compter sur nos propres ressources. Je pense que nos Etats ont les moyens, car les moyens, c’est la volonté politique et pas seulement les ressources financières. Je vous donne un exemple : la circulation des produits agricoles entre nos pays. Dans l’espace Cedeao, on parle d’intégration, mais les parlementaires, les opérateurs, nous disent « ça ne marche pas », « Je voulais apporter ma marchandise dans tel pays, ça n’a pas marché », « je voulais aller payer telle chose ou la douane m’a taxé, ceci, cela ». ! Il faut revoir l’orientation à donner à l’organisation sous régionale et surtout appliquer les décisions que nos chefs d’Etat et de gouvernements ont pris. Il faut qu’il y ait une volonté politique, il faut que les chefs d’Etat se décident. Parce qu’on a fait beaucoup de textes qui sont là, qui ne sont pas appliqués.
Grain de sel : Tous les pays affichent fermement leur engagement au profit de l’intégration, mais en cas de problème, comme lors d’une crise alimentaire, la tentation du repli sur soi revient tout de suite. Comment peut-on dépasser cela, sachant qu’il y a tellement de problèmes quotidiens qui s’opposent à l’intégration même si les acteurs, les décideurs sont tous convaincus qu’il faut travailler dans une perspective d’intégration. Quelles idées vous avez pour changer cette relation ambiguë des pays à la région ?
Ousséni Salifou : Si les chefs d’Etat ont demandé de transformer l’ancienne Cedeao, l’ancien secrétariat exécutif en commission, c’est pour donner une nouvelle vision ; car après pus de 30 ans, on voit que ça n’a pas donné les résultats escomptés. Cil faut passer de « la Cedeao des Etats », à « la Cedeao de peuples ». Avec cette nouvelle vision, on peut arriver à une intégration effective. Aujourd’hui, on ne peut pas dire qu’on n’a pas eu aucun résultat. Le fait de circuler, le passeport Cedeao, la liberté d’installation dans n’importe quel pays, etc. C’est déjà un pas. Il faut que les Chef d’Etat appliquent les textes tout en les revisitant de temps en temps pour les rendre encore plus souples. Je reste optimiste. Par le passé, quand un pays était frappé par l’insécurité alimentaire, par exemple la famine dans les années 1970, ce sont les pays voisins qui aidaient. Maintenant les pays ferment leurs frontières avec l’espoir d’éviter « la contagion ». On est entrain de monter le système d’information agricole, AGRIS, pour parvenir à une meilleure maîtrise du système agricole, une meilleure connaissance de la production, de ce qu’un pays a besoin par an et des excédents qu’il dégage pour exporter dans la région. C’est fondamental et je sais que cela peut aider. Souvent, les Etats ont peur car ils ont des informations pas assez fiables. Ils craignent de laisser sortir des denrées qui leur feront défaut à la période de soudure. J’espère qu’avec le système agris, nous aurons les statistiques, le prix des denrées, là où on peut trouver ces denrées. Bien entendu, il faut aussi d’autres actions d’accompagnement, comme l’amélioration du transport.
Grain de Sel : Pensez-vous à des stocks de sécurité à régionaliser ?
Ousséini Salifou : Nous envisageons la mise en place de bourses régionales. Si on y parvient, ça peut aider nos pays. C’est en réflexion et on est entrain de mener les études pour le proposer aux chefs d’Etat. Je crois que c’est une très bonne chose. Certains pays l’ont fait au niveau national. Je crois que c’est faisable au niveau régional aussi. J’ai l’expérience du Niger, où par le passé, les magasins de l’OPVN permettaient de fournir des vivres aux populations et empêchaient les commerçants de spéculer. Ainsi, en période de soudure, vous arrivez à aider les populations. On peut étendre ce système au niveau régional.
Grain de sel : Quelle est la répartition des rôles entre les Etats et la région dans les politiques agricoles ? Comment s’applique concrètement les principes de subsidiarité ? Quelle stratégie envisagez vous ?
Ousséini Salifou : Dans tous nos textes, on parle de ces principes que ce soit pour les politiques agricole, environnementale, commerciale… Mais dans la pratique, on se rend compte que certains Etats veulent garder jalousement leurs prérogatives. On oublie l’intégration, on oublie les principes. J’observe de nombreux blocages. Je crois qu’avec la volonté politique, et eu égard au fait que les chefs d’Etats se sont engagés à donner une nouvelle vision à la Cedeao, c’est un gage pour aboutir à des résultats vraiment concrets.
Grain de sel : De façon pratique, si on prend par exemple les questions foncières, est-ce que la érgion peut vraiment agir ? La même question vaut pour le financement, le conseil agricole, l’information… Le niveau national n’est-il pas plus pertinent ?
Ousséini Salifou : Les pays adoiptent des politiques régionales mais ils doivent ensuite la populariser jusqu’au niveau du village. A mon arrivée à la Cedeao, les documents n’étaient pas distribués au sein des ministères concernés. Et dans les pays, rares sont les cadres qui peuvent vous décrire la politique agricole, à plus forte raison le monde rural. Dans notre budget 2008, nous avons de cela fait une priorité car il faut que les populations sachent ce que la Cedeao fait. C’est la nouvelle vision qu’on imprime à la Cedeao et nous allons faire ce travail en impliquant les parlementaires nationaux et régionaux. . Les organisations socioprofessionnelles ont un rôle à jouer parce qu’ils sont en rapport avec ces populations. C’est le cas du ROPPA qui est bien implanté dans les pays de la Cedeao. Enfin, c’est aussi le rôle des média, notamment les radios rurales, là où les populations à travers les langues locales peuvent apprendre, connaître ce qu’on est entrain de faire. Et c’est sur cela qu’on va mettre l’accent.
Si tout le monde a connaissance de ces textes, on peut arriver à des résultats. C’est le point de départ pour qu’ensuite les populations puissent être impliquées dans la préparation des programme d’investissements agricoles, puisqu’elles sont les premières bénéficiaires de ces programmes. Nous privilégions une approche participative, associant les couches socioprofessionnelles, la société civile, les partenaires au développement. C’est tout le monde qui participe à la formulation de ces programmes.
Grain de sel : Comment faire l’articulation agriculture-commerce sachant que le tarif extérieur commun de l’UEMOA ne permet pas de protéger suffisamment les investissements des producteurs ? Ousséni Salifou : Le TEC est en négociation entre l’Uemoa, la Cedeao et les 15 pays membres. Les parlementaires interpellent la Commission de la CEDEAO car ils estiment qu’il y a des insuffisances par rapport au Tec Uemoa. Comme vous l’avez dit il n’y a pas assez de protections surtout pour les produits agricoles. On en a débattu. Actuellement la Cedeao et l’Uemoa sont entrain de faire des propositions d’un nouveau TEC. Ils examinent la possibilité de créer une nouvelle bande tarifaire (que l’on appelle 5ème bande) pour les produits les plus sensibles ou les plus stratégiques. Ils préparent aussi les autres mesures de protection comme les mécanismes de sauvegarde. Les Chefs d’Etats seront invités à trancher la question en juin prochain.
Grain de sel : En tout cas la volonté existe…
Ousséni Salifou : La volonté existe, mais sans un TEC suffisamment protecteur, tout ce qu’on fait sera voué à l’échec. Il faut organiser le marché régional et pour cela on a besoin d’un TEC moderne. Il ne faut surtout pas blesser nos paysans.
Grain de sel : Comment faire le lien entre les politiques agricoles, les préoccupations environnementales et la mise en valeur des ressources communes ?
Ousséni Salifou : La gestion de ressources en eau est le premier axe dans la formulation des programmes d’investissement car l’agriculture sans la maîtrise de l’eau, c’est zéro. Nous avons des potentialités énormes et qui sont sous exploitées. Or, chaque projet d’irrigation est rentable, et peut apporter un plus à l’économie de la sous région. Il suffit d’exploiter de manière rationnelle et de manière concertée car tous les cours d’eau que nous partageons, sont au moins exploités par deux ou trois pays. D’où la nécessité de créer des bassins. C’est ce que promeut la politique régionale de l’eau.
Si vous prenez aussi le bassin du Niger, l’enjeu est majeur car il s’agit de sauver le fleuve Niger en mettant l’accent sur la partie Fouta Djalon, le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest. Nous avons aussi adopté la politique environnementale régionale avec les ministres en charge de l’environnement en novembre passé et que nous venons de présenter aux parlementaires. Pour assurer ces liens entre agriculture, environnement et gestion de l’eau, nous avons maintenant un commissariat commun qui permet de gérer les interdépendances.
Grain de sel : Vous voulez dire qu’il y a des liens… naturels ?
Ousséni Salifou : Il y a des liens naturels car les ressources naturelles n’ont pas de frontière. C’est pourquoi aujourd’hui, la Cedeao met surtout l’accent sur les espaces transfrontaliers et l’appui aux organisations de bassins. Linitiative de l’Autorité du Bassin du Niger est vraiment cruciale car il s’agit de sauver le fleuve Niger. Avec la déforestation, la Guinée rencontre beaucoup de difficultés. Les cours d’eau sont entrain de s’ensabler et si on ne fait rien, les experts prédisent que d’ici cinquante ans le fleuve Niger ne va plus couler. Un phénomène équivalent à celui du lac Tchad. Je crois qu’il faut mettre l’accent sur la mobilisation des ressources en eau, sur la gestion intégrée des ressources en eau, avoir une vision partagée, avoir vraiment une vision concertée entre les pays, ça c’est très important.
Grain de sel : Quand on vous écoute, on se rend compte que les défis qui attendent l’agriculture sont énormes : arriver à moderniser cette agriculture, l’intensifier sur la base de système durable. Est-ce que vous avez le sentiment que la recherche est aujourd’hui à la hauteur, est-elle en mesure de répondre à la demande ?
Ousséni Salifou : Nous avons un bras technique, le Coraf, qui nous appuie dans le secteur de l’agriculture.. Avec le changement climatique, il faut mettre l’accent sur la recherche. Nos pays pris individuellement et les organisations régionales ont fait beaucoup de choses. Mais seulement, nos Etats n’ont pas encouragé ces centres de recherches. Je vous parle du cas du Niger où l’INRAN est délaissé. Pourtant, l’Irnan a fait beaucoup de choses dans le cadre du secteur agricole : par exemple on a des semences de très bonne qualité, avec de bons rendements. A travers le Coraf, nous allons essayer d’appuyer les centres nationaux de recherche et d’approfondir la régionalisation de la recherche, améliorer la coordination et la spécialisation des centres. .
Grain de sel : Il y a une grande préoccupation autour de la hausse des prix des denrées alimentaires et sur le dossier biocarburant. Comment est-ce que ces questions-là sont traitées par la Cedeao ? Comment réagissez-vous ? Est-ce que vous pensez que ça doit infléchir par exemple les orientations de Ecowap ou ça doit au contraire encourager à la mettre en œuvre plus rapidement ?
Ousséni Salifou : Nous allons avoir une concertation avec les responsables de la sécurité alimentaire dans le cadre du réseau de prévention et de gestion des crises alimentaires animé par le CILSS et le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest pour analyser la situation et préparer les réponses que l’on doit apporter. Certains s’attendent à voir les prix baisser. Je crois au contraire que ce n’est pas une affaire d’un ou de deux ans. Ce problème préoccupe tous nos pays et la société civile a commencé à bouger dans certains pays. C’est donc un sujet très sensible. Beaucoup de pays seront confrontés à des problèmes sérieux, et pas seulement au niveau de l’Afrique de l’Ouest. C’est au niveau mondial. Alors il faut qu’on prenne des mesures très rapides, surtout pour la bande sahélienne qui est très fragile.
Grain de sel : En même temps cette hausse des prix est une bonne nouvelle pour les producteurs ruraux ?
Ousséni Salifou : Tout à fait. Les gens font un lien avec ceux qui produisent pour fabriquer du biocarburant. Nous nous cherchons à manger parce qu’on n’arrive même pas à nourrir les 250 millions d’habitants vivant dans l’espace Cedeao. Quand vous voyez les potentialités de la région, vous en déduisez que c’est un problème d’organisation. Le Nigeria dépense chaque année des centaines de milliards pour acheter les céréales. Mais quand vous partez au Nigeria, au centre et au sud, vous constatez qu’il n’y a pas un pays dans l’Afrique qui a des potentialités comme le Nigeria ? L’eau est disponible et la terre est fertile. Le Nigeria peut faire beaucoup de chose pour l’Afrique, il suffit de mettre l’accent sur l’agriculture. Ils peuvent produire beaucoup.