_ Auteurs: La rédaction (gds@inter-reseaux.org), à partir du compte rendu de la table ronde rédigé par Valantine Achancho (achancho_ va@yahoo.fr).
Le Cameroun a récemment redéfini sa stratégie de développement rural en faisant du conseil agricole une pièce maîtresse. Un programme d’appui aux exploitations agricoles doit démarrer en 2008, basé sur le conseil agricole comme innovation majeure. Dans ces conditions, le projet Professionnalisation agricole et renforcement institutionnel (Pari) a jugé intéressant d’organiser la table ronde comme une étape d’un processus visant à permettre aux acteurs de clarifier leurs visions sur la question du conseil.
La réunion s’est volontairement présentée sous une forme très ouverte afin de faciliter les discussions, alternant présentations et débats en séance plénière. Les travaux ont duré une journée, rassemblant des représentants d’organisations de producteurs (OP), d’ONG, d’administrations, de la recherche et de projets de développement en provenance de différentes régions du pays. La table ronde s’est tenue en deux temps, un premier temps consacré à resituer les politiques agricoles au Cameroun dans une perspective historique, une seconde étape abordant la question des enjeux du conseil agricole.
Des politiques agricoles qui font débat. Plusieurs périodes se succèdent dans l’histoire des politiques agricoles au Cameroun. Alors que, de la fin des années 60 aux années 80, les pouvoirs publics conçoivent et définissent les politiques à travers des plans quinquennaux de développement sans en référer aux acteurs, la crise économique des années 80 suscite de nouvelles formes de relations entre l’État et le monde paysan. Puis les Programmes d’ajustement structurel entraînent de nombreuses restructurations, une baisse des subventions étatiques mais aussi l’apparition de nouveaux acteurs.
Aujourd’hui au Cameroun est en place la nouvelle politique agricole dont la finalité affichée est « d’accorder plus d’importance aux exploitations familiales et de cogérer le dispositif de conseil avec les organisations paysannes ». Dans ce contexte, la vulgarisation agricole a également subi des évolutions, passant d’un objectif de départ d’augmentation de la production vers celui de prise en compte du projet productif et commercial de l’agriculteur.
Ces évolutions présentées par des représentants du ministère de l’Agriculture et du Développement rural (Minader) lors de la première partie de la table ronde ont fait l’objet d’un débat assez vif. Les représentants des OP ont tenu à souligner de multiples contradictions entre l’exposé et la réalité du terrain.
Sur le plan historique notamment le désengagement de l’État a été abordé, avec des questions des OP à l’attention des représentants du ministère de l’Agriculture : « Avez-vous évalué ce désengagement et en avez-vous mesuré les conséquences sur les paysans ? Quelles ont été les actions concrètes de l’État entre 1998 et 2008 ? ». L’objet des représentants des OP étant de signaler le caractère préjudiciable du désengagement de l’État pour les paysans. Sur ce point les représentants de l’État ont répondu que ce dernier n’avait pas eu réellement le choix, qu’il avait dû faire face au risque de tomber en faillite. Désormais il allait cibler ses interventions sur des filières stratégiques.
Les représentants de l’État ont alors été interpellés sur la fin des subventions et sur les coûts des intrants pour les producteurs.
Enfin, la question de la place de la recherche dans les politiques agricoles a été soulevée par un représentant d’OP. Sur ce point la réponse du Minader a été claire : « La vulgarisation fait remonter à la recherche les problèmes rencontrés et les préoccupations des paysans. La recherche met à notre niveau le “paquet technologique” nécessaire et nous nous faisons le devoir de l’acheminer vers le paysan ».
Conseil agricole : attentes et offre en présence.
Vous avez dit « conseil agricole » ? La réalité camerounaise. Au Cameroun, le terme conseil agricole reflète une réalité multiple, en fonction du vécu des uns et des autres. Diverses initiatives sont ainsi répertoriées sous ce concept, toutes assez différentes les unes des autres, en fonction de leurs cibles et de leurs outils et méthodes d’intervention. Les représentants de différentes structures ont ainsi présenté leurs initiatives : – des actions d’appui aux activités génératrices de revenus. L’Association camerounaise des femmes ingénieurs d’agriculture (Acafia), intervenant au sein du Projet d’appui au développement communautaire (PADC), accompagne les productrices pour leur faciliter l’accès au microcrédit ; – des écoles paysannes. Le Programme pour des cultures arboricoles durables (Sustainable Tree Crop Programme) développe cette approche. Un groupe d’agriculteurs sélectionné fait office d’écoles, et c’est dans ce cadre que se déroulent, sur le terrain, les enseignements, sur une spéculation donnée. La formation est orientée sur le choix d’itinéraires techniques mais aborde également les orientations commerciales à choisir. Inconvénient de cette formation : le faible nombre de bénéficiaires potentiels ; – du conseil de gestion. Différentes méthodes et démarches de conseil sont expérimentées au Nord Cameroun dans le cadre du projet « Pôle de recherche appliquée au développement des savanes d’Afrique centrale (Prasac) ». Conseils individuels, collectifs, tactiques et stratégiques sont proposés. Une diversité qui demande d’avoir des agents de conseil bien formés, ce qui n’est pas toujours le cas ; – la mise à disposition de conseillers agricoles. Dans le cadre du programme d’Amélioration de la compétitivité des exploitations familiales agropastorales (Acefa), acteurs publics et privés ont conçu un programme basé sur de nouvelles relations de confiance entre les producteurs et les agents d’appui. Ces derniers seront cogérés par l’État et la profession agricole afin de permettre aux exploitations agropastorales, à terme, de s’approprier le dispositif.
Débats sur les enjeux du conseil agricole. Lors des débats qui ont suivi ces présentations, de nombreuses questions sont apparues, en voici quelques unes. – Qui finance le conseil ? Les OP sont unanimes sur ce point, c’est à l’État de financer le conseil. « Il est de la responsabilité souveraine de l’État de mettre des conseils à la disposition des OP ». La contribution des OP ne peut être évaluée qu’en termes monétaires. Un autre point de vue avance que cela dépend aussi de la capacité des organismes (ex. dans le cas de la Sodecoton, c’est la Sodecoton qui finance le conseil). – Les relations paysans-conseillers Des conseillers dépassant leur rôle ? Une OP témoigne : « Sur le terrain, tout se passe comme si le Programme national de vulgarisation et de recherche agricole (PNVRA) cherchait à imposer un certain type de spéculations agricoles aux paysans. En fait, la vulgarisation a aidé les producteurs à devenir des vagabonds en forçant les gens à faire les mêmes choses pour avoir les appuis ».
Des conseillers pas suffisamment présents sur le terrain ? Une OP témoigne : « Dans le cas particulier de la province du Sud, les vulgarisateurs supposés être avec les paysans ne sont jamais présents au bon moment. On ne sait pas comment le programme Acefa va faire évoluer les mentalités ». – Les relations entre vulgarisateurs Sur le terrain, il arrive que des conseillers soient en conflits (exemple de conflit entre vulgarisateurs du gouvernement et des projets). – La formation des conseillers, un enjeu de taille Quelles sont les responsabilités pédagogique et financière de l’État pour l’amélioration des profils des conseillers, notamment lorsque l’offre de conseil est diversifiée (cf. cas du Pôle régional de recherche appliquée au développement des savanes d’Afrique centrale, Prasac) ?
Attentes vis-à-vis du conseil agricole. Enfin, les différents acteurs présents ont fait part de leurs attentes vis-àvis du conseil agricole. Les citations ci-dessous, parfois redondantes, non exhaustives, esquissent une définition du rôle attendu du conseil agricole au Cameroun… Les maîtres mots du conseil agricole ? « Aider, apporter, servir, accompagner, connaître ». Savoirs techniques, compétences économiques mais aussi capacités d’aide à la décision sont les principales attentes des participants à la table ronde. Elles reflètent bien les préoccupations de paysans qui doivent vivre au quotidien la précarité, le manque de moyens dans un contexte à risque…
Ainsi, le conseil doit-il entre autres : – aider les OP à élaborer leur projet de production ; – servir la vision de l’agriculture de l’État et des agriculteurs ; – aider le producteur à accroître sa production. Pour cela il doit avoir des relations étroites avec la recherche et travailler sur les référentiels ; – connaître les itinéraires techniques ; – permettre au paysan de faire des calculs économiques, pour gagner de l’argent dans son métier. Est-ce que le gouvernement sera prêt à dire par exemple grâce au conseil que le coton n’est pas rentable pour les petits producteurs ? – accompagner à la fois les choix de production et de commercialisation.
Valantine Achancho, socioéconomiste, est sous-directeur des Organisations professionnelles agricoles et de l’action coopérative au ministère de l’Agriculture et du Développement rural du Cameroun. Il est aussi coordinateur national du projet Professionnalisation agricole et renforcement institutionnel (Pari). Cette coinitiative francocamerounaise (octobre 2004 – décembre 2008) vise principalement à renforcer la capacité de négociation des organisations professionnelles agricoles et à mettre en place les mécanismes de concertation et de partenariat avec l’État et les opérateurs des filières.