Le Copa-Cogeca regroupe deux organisations, des organisations agricoles et des coopératives agricoles. Au total, 76 organisations agricoles nationales sont membres, représentant les 26 pays de l’Union européenne (contacts en cours avec des représentants en Roumanie). L’objectif du Copa Cogeca est de représenter les intérêts des agriculteurs en Europe. Le Copa a été établi en 1958, année de mise en place de la Politique agricole commune européenne (Pac). Il aura donc 50 ans cette année. Cet organisme travaille avec les instances de la Commission européenne, parlement, conseil des ministres. Il fonctionne sous la direction d’un presidium (Présidents des organisations membres), en tentant d’influencer les politiques agricoles. Pour cela, il anime des groupes de travail sur tous les secteurs agricoles, auxquels participent les organisations nationales concernées. Chaque groupe de travail se réunit 2 à 4 fois par an, et lors de réunion ad hoc en cas de situation d’urgence. Outre les groupes de travail sectoriels, le Copa Cogeca travaille sur des thèmes transversaux : environnement, sécurité alimentaire, etc. Les membres du Copa Cogeca assistent également au Comité consultatif de la Commission européenne.
Grain de sel : Alors que les agriculteurs européens ont bénéficié de multiples protections pour assurer la sécurité alimentaire de l’Europe et en faire une puissance exportatrice, on demande au contraire aux pays africains d’ouvrir leurs marchés. Leurs agriculteurs peuvent-ils combler ce déficit de protection, et comment ?
Shelby Matthews : Nous, en Europe, avons mis du temps à développer nos agricultures après la 2e guerre mondiale. Et le contexte était favorable. Or il semble qu’on attend des Africains qu’ils développent leurs agricultures dans un temps record, alors même que les marchés sont de moins en moins protégés. Et la tendance à la libéralisation est lourde : les marchés ne vont que s’ouvrir davantage, en tous les cas c’est ce à quoi on peut s’attendre avec la perspective annoncée d’une réouverture du cycle de Doha. Cette ouverture des marchés risque de profiter à un nombre restreint de pays, les grands exportateurs que sont le Brésil, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Canada ou les États-Unis. Car eux seuls ont les infrastructures et les industries nécessaires. Au niveau du Copa-Cogeca, nous soutenons certaines protections pour que les pays en développement accroissent leur sécurité alimentaire. Mais pour cela, encore faut-il qu’ils se dotent de politiques agricoles qui promeuvent l’agriculture. Chaque pays doit pouvoir faire une politique qui convient à ses problèmes nationaux, c’est un fait. En Europe, après la guerre la première préoccupation était la sécurité alimentaire. Mais aujourd’hui les Européens ont oublié cela, leurs inquiétudes sont tout autres : sécurité sanitaire des aliments, environnement, bien-être des animaux sont des préoccupations bien plus importantes. Certes la question de la sécurité alimentaire refait son apparition sur la scène médiatique, mais c’est tout récent, et cela n’a pas encore eu un impact sur la politique agricole. Pour l’Afrique je ne saurai me prononcer pour les Africains – là n’est pas mon ambition – mais il me semble que la sécurité alimentaire si elle est plus que jamais d’actualité, n’est pas la seule question. Le développement rural doit aussi faire l’objet d’une attention particulière, car la population vivant dans le monde rural est encore très importante en Afrique. Cela ne va pas sans le développement d’infrastructures et de possibilités d’investissement pour les agriculteurs.
GDS : Quelles ont été les idées fondatrices de la Politique agricole commune (Pac) et quels sont les acteurs qui l’ont portée. Observe-t-on d’importantes évolutions dans les jeux d’acteurs et lesquelles ?
SM : À l’époque de la fondation de la Pac, il est clair que les acteurs étaient moins nombreux. La Pac a été l’unique politique vraiment décidée et appliquée au niveau communautaire, et les gouvernements ont été à la base des négociations, même si les agriculteurs étaient impliqués dans le processus dès 1958. Mais depuis la fin des années 80 – les années 90, de nombreux « nouveaux acteurs » sont apparus : groupes de pression, ONG environnementales. Ils sont venus participer aux débats et discussions aux côtés des instances de la CE, entrepreneurs, consommateurs et commerçants qui débattaient jusque là entre eux. Ces nouveaux acteurs ont changé la donne et les rapports de force existant, se positionnant, selon les sujets, du côté des agriculteurs ou en opposition avec leurs orientations. L’Union européenne a poursuivi le même type de réformes depuis le début des années 90 dans le but, sous la pression de l’OMC, de progressivement libéraliser nos marchés. Nous avons démantelé notre soutien des prix et réduit notre protection et subventions à l’exportation d’un façon très substantielle. En outre, depuis la reforme de 2003, 90% des subventions agricoles sont maintenant découplés de la production afin de n’être pas distorsives, et d’être conformes aux règles de l’OMC. Mais, les citoyens européens ayant atteint la sécurité alimentaire, ils sont moins intéressés de savoir « ce qu’on produit et combien ». Ils sont en revanche très exigeants sur les questions liées à « comment on produit ». L’accent est mis sur un contrôle croissant du travail des producteurs – règles strictes sur la sécurité sanitaire des aliments, la traçabilité, la protection de l’environnement, le bien être des animaux et la biodiversité – toutes mesures qui ont augmenté les coûts des producteurs. Pour ce qui concerne les perspectives d’avenir à l’approche de la nouvelle réforme de la Pac, la perspective d’un nouvel accord à l’OMC augmente encore la pression sur les agriculteurs. Mais la situation a changé, nous ne sommes plus dans un contexte où les prix mondiaux bas et la sécurité alimentaire sont garantis. Notre politique actuelle et nos budgets sont fixés jusqu’à 2013 et nous ne voulons pas que des changements majeurs soient opérés d’ici là. Mais à Copa-Cogeca, nous avons une réflexion profonde et entièrement renouvelée sur le futur de la Pac et les implications de la nouvelle situation mondiale sur la politique après 2013.
GDS : L’évolution de l’agriculture en Europe doit-elle être considérée comme un modèle de développement pour les pays d’Afrique de l’Ouest ?
SM : La réduction des actifs dans l’agriculture dépend de l’économie en général. Si les actifs de l’agriculture trouvent des emplois dans d’autres secteurs, ces évolutions peuvent être à l’origine d’une amélioration du niveau de vie des populations. Pour en revenir à l’évolution qu’a connue l’Europe, je crois que l’image véhiculée (la transformation d’une petite agriculture familiale en agrobusiness) n’est pas fidèle à la réalité. Les gens croient que l’on a fait ça de façon très intensive, mais d’autres pays ont fait bien pire. Les chiffres en témoignent : aujourd’hui en Europe encore 30 millions de personnes travaillent sur 15 M d’exploitations. La taille moyenne des exploitations est de 12 hectares. On a pu maintenir l’exploitation familiale au cœur de l’agriculture en Europe. Et cela s’est fait grâce à la Pac car on a pu protéger, maintenir un niveau de prix aux producteurs et ainsi permettre aux exploitations de survivre. Avec la libéralisation, et les réformes successives de la Pac on va vers l’abandon de certaines productions, voire de certaines régions en Europe. C’est l’économie rurale qui est menacée. Pour ce qui concerne l’Afrique, il me semble qu’un exode rural devrait permettre la hausse de la productivité, et delors les revenus pour ceux qui reste.. Le problème est que l’évolution doit être progressive, or il semble qu’il existe soit de très très petites exploitations, soit de très grosses. Dans ce contexte, tout changement pourrait être brutal. Avec la Pac, les Européens ont connu une progression plus modérée. Aujourd’hui concernant la production laitière par exemple une exploitation de 60 à 100 vaches, c’est beaucoup en Europe, alors que dans des pays comme l’Australie, les États-Unis ou même le Mexique on trouve des exploitations qui comptent 2 000, 3 000 voire jusqu’à 10 000 vaches !
GDS : Quels ont été les principaux impacts de la Pac sur le développement des agricultures d’Afrique de l’Ouest ? Quels sont de ce fait les enjeux de la réforme à venir ?
SM : Pour les Pays les moins avancés nous avons mis en place le système Tout sauf les armes (TSA) , avec des périodes transitoires pour le sucre et le riz. Ce système permet aux PMA d’exporter vers le marché européen en libre accès. Sinon, la Pac a eu peu d’impact pour les petits producteurs de coton par exemple. Et pour ce qui concerne les enjeux d’avenir, les subventions à l’exportation vont disparaître dans les prochaines années. Nous avons des relations avec le Réseau des organisations de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (Roppa) et la Fédération des agriculteurs de l’Afrique de l’Est (EAFF). Nous avons par exemple récemment émis une déclaration conjointe, faisant part de notre préoccupation face aux exigences de l’Organisation mondiale du commerce. Même si nos contextes sont très différents, au fonds nous avons des préoccupations communes.
GDS : Les soutiens aux exportations ont fortement régressé au cours des dernières années. La hausse des prix sur les marchés mondiaux les rend d’autant moins nécessaires pour exporter. Mais les soutiens internes modifient aussi les conditions de la compétitivité de l’agriculture européenne par rapport aux autres agricultures. Est-ce une nouvelle forme de dumping ? Est-ce compatible avec la création de zones de libre échange ?
SM : Lors de la réforme de 2003, près de 90% des aides ont été découplées pour être en conformité avec les règles de l’OMC. Nos subventions ne sont plus distorsives, contrairement à ce que croient encore certains. L’agriculture européenne doit faire face à des défis majeurs : elle doit demeurer concurrentielle malgré la libéralisation, tout en produisant suivant les demandes des consommateurs et citoyens européens. Ces derniers ont des revendications importantes et imposent ainsi des règles et contraintes en matière d’utilisation des ressources (environnement, air, terre, eau) bien plus importantes que ne sont celles de nos principaux concurrents. On doit produire sans abîmer tout en créant de beaux paysages. Les subventions de la Pac aujourd’hui viennent nous aider à répondre à ces critères. Elles ne visent nullement à exporter moins cher. D’autres pays, les grands exportateurs, à l’instar des États-Unis ont, en revanche, encore des attitudes selon nous très critiquables : leurs subventions sont très distorsives, elles vont encore à l’encontre des règles de l’OMC. Tandis que nous, Européens, avons réformé.
GDS : Les APE peuvent-ils constituer un cadre de dialogue sur la compatibilité des politiques agricoles entre l’UE et les différentes régions ACP ?
SM : Nous sommes tous des agriculteurs, nous avons les mêmes problèmes, il est nécessaire de se rencontrer, comprendre les problèmes des autres permet d’avancer. Le marché aujourd’hui est mondial, nos contraintes sont donc bien souvent les mêmes.
GDS : Que vous inspire la hausse des prix agricoles sur les marchés mondiaux ? et que pensez-vous des agrocarburants ?
SM : On nous attaque aujourd’hui parce que les prix augmentent. On nous attaquait hier parce que nos prix étaient trop bas du fait des subventions. Il faut raison garder. Beaucoup de pays en développement peuvent bénéficier des hausses des prix. Mais il faut réguler pour que seuls les pays développés exportateurs n’en profitent. Avec les hausses des prix des matières premières agricoles, il y a des chances pour que les revenus des producteurs augmentent, mais encore faut-il faire en sorte que ces augmentations se fassent en faveur des agriculteurs des pays en développement. Les prix sont trop bas depuis trop longtemps, à l’échelle mondiale. En effet, en termes réels ils ont baissé au détriment des revenus des agriculteurs ces dernières décennies. Aussi, cette hausse des prix n’est pas une mauvaise chose pour nous agriculteurs européens, comme pour les agriculteurs partout dans le monde. Le problème c’est plus la question de la volatilité des prix. Nous, agriculteurs, avons été toujours en faveur des mesures qui assurent une certaine stabilité des prix mais en Europe, on continue à démanteler les outils de régulation et de stabilisation. Or l’heure est grave parce qu’il s’agit de sécurité alimentaire, cela risque d’être un réel problème. Nous pensons que les agrocarburants sont une bonne chose, à deux conditions : qu’ils contribuent aux réductions de gaz à effet de serre, et qu’ils soient produits de façon durable.