Grain de sel : Quel est selon vous le principal objectif d’une politique agricole ?
Estrella Penunia Banzuela : Pour ce qui concerne les Philippines – car je viens de ce pays – il est difficile de définir l’objectif principal d’une politique agricole. Nos agriculteurs ont tendance à dire que nous n’avons pas du tout de politique agricole. Il faut dire que celle-ci est tellement incohérente que nous ne savons pas si elle existe réellement. Je pense que le but d’une politique agricole devrait être de développer le secteur agricole afin qu’il soit source d’emplois, de revenus, de sécurité alimentaire pour les populations, particulièrement pour les petits paysans, les producteurs et les entrepreneurs. Une politique agricole devrait tracer la voie vers un monde rural sain et moderne où l’agroindustrialisation se produit, avec et au bénéfice des petits producteurs.
GDS : Y a-t-il un texte qui rassemble les éléments incohérents ?
EPB : Nous avons un plan de développement à moyen terme. Ce plan de développement spécifie, par exemple, quels sont les objectifs à atteindre dans l’agriculture. Il s’agit principalement d’augmenter les rendements, d’augmenter les récoltes, et d’augmenter les emplois dans les exploitations.
GDS : Il n’y a donc pas une seule vision qui tente de promouvoir un type d’agriculture ?
EPB : On n’en est pas encore là. Nous savons que le gouvernement aimerait augmenter la production, donc nous voyons que les programmes vont dans ce sens. Des fonds sont investis dans les semences hybrides ou des tests sur des cultures génétiquement modifiées. Nous savons donc que c’est cela leur politique puisque c’est ce qu’ils font.
GDS : Les organisations paysannes n’ont-elles jamais été associées à l’élaboration d’une politique agricole nationale ?
EPB : Il y a des consultations, mais au fond, jamais la possibilité de parvenir aux résultats de ces dernières ne nous a été donnée. Pourtant le gouvernement philippin dispose d’institutions pour que les organisations paysannes s’engagent dans l’élaboration de politiques. Il existe par exemple le Conseil national agricole des agriculteurs (National Agricultural Farmers’ Council, NAFC), qui est une sorte d’organe consultatif. Mais nous n’apercevons pas l’impact positif des politiques agricoles sur les petits paysans. Nous constatons que beaucoup de ceux qui en profitent sont les gros agriculteurs, les propriétaires des plantations, etc. Quand des fonds sont alloués à l’agriculture, ils sont destinés aux gros agriculteurs et aux planteurs. Je pense que nous pouvons beaucoup apprendre de nos homologues coréens, japonais taiwanais. Les agriculteurs sont fortement impliqués dans les politiques et stratégies agricoles nationales. La plupart d’entre nous sont au même niveau agricole que dans les années 50 ou 60, à la différence qu’aujourd’hui, nous sommes très à la traîne.
GDS : Que se passe-t-il au niveau sous-régional sur le plan des politiques agricoles ?
EPB : En Asie du Sud-Est, au plan régional, il existe l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean), organisme intergouvernemental. Actuellement, dans un contexte où le libre-échange domine, avec la multiplication d’accords de libre échange, nous constatons que l’agriculture est une marchandise échangée au même titre que n’importe quelle autre. Les petits paysans sont énormément affectés par ce type d’accords. Nous exigeons une politique agricole stratégique qui puisse promouvoir les intérêts des petits agriculteurs et agricultrices et leur développement. Nous réclamons une politique agricole saine qui régule le commerce et permette le développement des petits agriculteurs et agricultrices. Le dialogue est insuffisant au niveau régional, mais c’est un point sur lequel nous travaillons.
GDS : Sur ce point les OP d’Afrique de l’Ouest ont beaucoup travaillé, avez-vous pu échanger avec elles ?
EPB : Oui, j’étais au forum social mondial l’an dernier, en juillet 2007, et j’ai pris connaissance de la lutte contre les Accords de partenariat économique (APE). Il existe actuellement des discussions pour des accords de libre échange entre l’Europe et l’Asean. J’ai donc dit aux paysans africains: « Nous avons beaucoup à apprendre de vous et de votre lutte contre les APE car nous-mêmes sommes confrontés à l’UE. Nous devons prendre connaissance de la façon dont vous avez pu vous associer aux négociations, et de la façon dont vous êtes parvenus à vous faire entendre ».
GDS : Quelle est votre vision de l’agriculture?
EPB : L’agriculture est quelque chose qui doit être durable. Nous avons besoin d’un type d’agriculture qui prenne soin des populations. Il faut une agriculture qui permette aux paysans d’avoir une vie juste et digne, une agriculture aux mains des petits agriculteurs et agricultrices et non aux mains des corporations et de l’agrobusiness.
L’Afa est une alliance régionale qui regroupe 9 organisations paysannes dans 8 pays d’Asie, ce qui représente environ 10 millions d’agriculteurs. Plus d’informations : http://www.asianfarmers.org