En Mauritanie, face à un environnement climatique aléatoire et à des conditions de production contraignantes, les producteurs de sorgho cherchent avant tout à préserver une certaine hétérogénéité du matériel végétal pour garantir une récolte au moindre coût, fut-elle de faible niveau.
Si la Mauritanie est très largement excédentaire en viande rouge, elle importe en revanche 70 % de sa consommation céréalière. Pourtant, suite au déficit pluviométrique des années 1970-1980, l’État a consenti de très importants moyens pour le développement de la riziculture irriguée. L’ouverture du pays aux importations de céréales disponibles à des coûts toujours plus bas et les problèmes fonciers découlant des aménagements, expliquent en partie le succès mitigé de cette politique : la moitié des 40 000 hectares aménagés est aujourd’hui abandonnée et les niveaux de production varient fortement, finalement autant que la production obtenue en zones non irriguées, au gré des dispositions prises par l’État pour inciter à la production.
Aussi, et cela en dépit de fortes contraintes environnementales (aléas pluviométriques, risque acridien et aviaire) et politiques (tensions autour de l’accès à la terre, concurrence des importations de blé et riz), la production de céréales obtenue en pluvial ou en zones de décrue, largement dominée par le sorgho, contribue toujours à 50 % de la production céréalière nationale.
De plus, la production de sorgho, peu exigeante en capitaux, concerne quasiment tous les actifs ruraux, contrairement à la riziculture irriguée qui est surtout le fait d’une minorité de producteurs aisés. On peut enfin noter qu’il existe un réel marché du sorgho en Mauritanie, les prix de vente variant selon l’écotype* considéré.
Au regard de ces éléments, la culture du sorgho en Mauritanie apparaît finalement comme aussi stratégique que celle du riz.
Conserver l’hétérogénéité du matériel végétal cultivé : une stratégie centrale dans la gestion des risques agricoles, cohérente avec les contraintes de production. En partenariat avec le Centre national de recherche agricole et de développement agricole (CNRADA), le GRDR a pu confirmer que les producteurs du sud mauritanien cultivent divers écotypes dans les différentes parties de l’écosystème (cf. encadré). Ce procédé leur permet d’étaler les périodes de récolte et de pointes de travail tout en minimisant les risques.
Le sorgho est généralement cultivé en association avec des légumineuses (haricot niébé), courges et/ou hibiscus (bissap). Avec un outillage manuel, un actif adulte peut cultiver entre ⅓ et ½ hectare et obtenir un rendement fluctuant entre 100 kg et 1 000 kg par hectare, selon les années et le système de culture considéré. La productivité du travail de ces systèmes de culture varie en conséquence (entre 1 et 10 euros par homme jour).
Le milieu étant peu artificialisé (généralement on n’apporte pas d’engrais chimique ou organique, on n’applique pas de traitement chimique préventif ou curatif et le travail du sol reste souvent superficiel), une parcelle cultivée donnée est généralement très hétérogène tant sur le plan de la fertilité, que de la charge hydrique ou de la pression parasitaire. Les producteurs ont donc intérêt à conserver une certaine hétérogénéité au sein de l’écotype qu’ils y sèment pour garantir un niveau de récolte minimal.
Ces systèmes de culture, conçus pour minimiser les coûts de production, s’accommodent d’un marché peu favorable (le blé est disponible partout dans les villages à des prix toujours plus bas que le sorgho, auquel il se substitue souvent) et d’un contexte foncier très inégalitaire (de nombreux producteurs détiennent des droits précaires, quelquefois même non garantis, sur les terres qu’ils exploitent).
La sélection paysanne, un processus progressif, reposant sur une connaissance fine du cycle végétal et l’observation in situ des épis et jeunes plants. Les enquêtes conduites par le GRDR et le CNRADA montrent que les paysans mauritaniens auto produisent leurs semences de sorgho. Pour cela, ils repèrent sur les parcelles les épis les plus sains, portant des grains de grand diamètre et remplis. Ces épis, coupés à la maturité juste avant que les panicules ne soient complètement sèches, sont stockés, suspendus au plafond des greniers, durant toute la saison sèche. Lors de la manipulation de ce matériel végétal, les producteurs prennent soin de limiter les risques de contamination par le charbon (champignon s’attaquant aux grains).
Lors des premières pluies, les épis sont battus et, après préparation du sol, le sorgho est semé en poquet d’une dizaine de graines, quelquefois mélangées à des cendres, et souvent en association avec d’autres plantes. Après la levée, le producteur conserve les 3-4 plants les plus vigoureux : cette opération de démariage vient clôturer le cycle de sélection.
Ces pratiques, reposant sur une sélection progressive et in situ du matériel végétal le plus adapté, garantissent presque systématiquement un niveau minimal de récolte.
Il est rare que les producteurs soient à cours de semences car seulement 5 kg de semences par hectare sont nécessaires, second semis compris. En cas de crise exceptionnelle, les échanges entre paysans ou l’achat sur les marchés constituent des réponses courantes.
Dans ce dernier cas, le producteur achète souvent du « tout venant » (sorgho de consommation) et doit reprendre, sur plusieurs années, le processus de sélection.
On comprend dans ce contexte, l’utilité de constituer des banques de semences décentralisées pour gérer ces situations de crise.
Pourtant, la recherche agronomique sous-régionale reste toujours largement focalisée sur un travail d’homogénéisation du matériel végétal.
« Semences améliorées » : exigeantes en intrants, elles requièrent des coûts de production élevés au regard de la valeur de la céréale sur le marché
« Semences adaptées » : pratiques paysannes de sélection et de culture : peu ou pas d’intrants, outillage manuel : la diversité des écotypes assure un rendement minimal à moindre coût
Les différents ateliers organisés par le GRDR et ses partenaires en Mauritanie et en région de Kayes (Mali) en 2009 et 2010 suggèrent en effet que la recherche travaille encore largement à la sélection de variétés homogènes à « haut potentiel de rendement » mais exigeantes en intrants et n’exprimant leur potentiel que dans un environnement contrôlé. En dépit de multiples tentatives d’introduction, ces variétés restent peu ou pas cultivées en milieu paysan car elles s’y révèlent fragiles et finalement moins performantes que les écotypes paysans. Si certains centres de recherche ont récemment entrepris de conserver le patrimoine, en Mauritanie, le catalogue semencier national ne compte toujours que 1 écotype paysan de semence de sorgho alors que le CNRADA en a identifié 54.
Un rapprochement nécessaire de la recherche et des producteurs pour garantir la préservation du patrimoine semencier in situ. Cette expérience montre qu’il n’y a pas de « bonne semence » dans l’absolu. La recherche ne peut faire l’économie d’une analyse approfondie, avec les producteurs, des contraintes pesant sur la production pour effectivement contribuer à l’approvisionnement en semences adaptées.
Un travail d’appui à la gestion de stocks semenciers décentralisés et d’encouragement des échanges entre producteurs pourrait, dans un premier temps, s’avérer très utile. La constitution d’un « réseau semencier transfrontalier » dans le bassin du fleuve Sénégal (Mali, Mauritanie et Sénégal) sur lequel le GRDR et ses partenaires (services déconcentrés, élus locaux, réseaux d’organisations paysannes, centres de recherche) réfléchissent actuellement a ainsi pour ambition de favoriser la préservation et l’enrichissement de la diversité de semences de sorgho adaptées à différents contextes économiques et à des situations climatiques en forte évolution.
Ceci serait un élément à l’émergence de conditions de production plus incitatives et sécurisées.
Encadré: Les principaux écotypes de sorgho cultivés en Mauritanie
Dans les zones non inondables, où la pression foncière est faible, on rencontre essentiellement des écotypes à panicule lâche ou semi lâche dont le cycle n’excède pas 3 mois : « nienico », « chouettra », « hanini », « sidi nieleba », « mamouma », « ndabiri ». Moyennement appréciés par les consommateurs, ils s’accommodent de sols sablo limoneux, supportent relativement bien les périodes de déficit hydrique qui surviennent régulièrement, mais s’avèrent souvent plus appétés par les oiseaux que les variétés de bas-fonds (cf. ci-dessous). Leur rendement n’excède généralement pas 600 kg/ha. Ces écotypes sont surtout cultivés pour gérer la soudure.
Dans les zones inondables, le long des oueds, où la pression foncière est la plus importante, on cultive essentiellement des types variétaux à panicule compacte dont le cycle s’étend de 4 à 6 mois en fonction de l’écotype considéré : « fella », « taghalit », « bougedra », « gadiaba ». Il s’agit des variétés les plus appréciées par les consommateurs. Elles supportent les excès d’eau, fréquents dans cette partie de l’écosystème, et préfèrent les sols à dominante argilo limoneuse. La fertilité est à ce niveau renouvelée par les apports de limons transportés par les oueds. Leur rendement peut dépasser 1 tonne/hectare.