L’organisation panafricaine des producteurs agricoles (PAFO, de l’anglais Pan African Farmers Organisation) a été créée en octobre 2010 à Lilongwe au Malawi. Mme Atangana, présidente fondatrice, explique le processus qui a engendré la constitution de cette plateforme continentale et indique les grands défis à relever.
Grain de sel : Pourriez-vous nous parler de la genèse de la PAFO, que vous présidez depuis fin octobre dernier ?
Elisabeth Atangana : Je voudrais d’abord souligner que la création de la PAFO est l’aboutissement d’un long processus. Les organisations paysannes (OP) ont commencé à discuter ensemble d’abord au niveau local, au sein des pays, puis aux niveaux national et régional. Dans les années 1980, nos pays se sont ouverts à la vie associative en créant des lois et des cadres réglementaires qui ont permis aux communautés de s’organiser pour se prendre en main. Nous étions alors dans le contexte de désengagement économique des États, rendu obligatoire par les Plans d’ajustements structurels prônés par le FMI et la Banque mondiale. Nous avons vu naître des organisations au niveau local pour la production, les intrants, la commercialisation des produits, etc.
Malgré tous les efforts que nous faisions, il y avait toujours un besoin d’améliorer l’environnement même de la production agricole. Nous nous sommes donc engagés à mettre en place des organisations qui ne s’occupent plus seulement de la production, mais aussi des questions stratégiques et politiques. Notre but était d’attirer l’attention des décideurs et d’influencer si possible les politiques en faveur du développement agricole et rural. Nous avons ainsi créé des espaces de concertation, aux échelles des pays et des sous-régions, ce qui nous a permis d’être de plus en plus entendus. Aujourd’hui, les OP participent à l’élaboration des politiques, pour que soient pris en compte les préoccupations des agriculteurs en particulier et des ruraux en général.
GDS : Comment a été constituée la PAFO ?
EA : Grâce à nos efforts de plaidoyer, nous avons été impliqués en 2003 dans la formulation du Programme détaillé de développement de l’agriculture en Afrique (PDDAA) du Nepad et de l’Union africaine. Nous avons alors pensé qu’il fallait élaborer un certain nombre de principes concernant le développement de l’agriculture familiale, le renforcement des capacités des leaders paysans, la formation agricole des producteurs, le lien avec la recherche, etc.
À partir du moment où les OP ont senti la nécessité de s’impliquer dans les décisions concernant les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et les Accords de partenariats économiques (APE), il nous est apparu important de ne pas rester cloîtrer chacun dans son pays ou dans sa sousrégion, mais de créer une plateforme plus large au côté de l’Union africaine, pour mieux faire prendre en compte les préoccupations communes des organisations paysannes africaines. Cette position a été renforcée par la crise alimentaire de 2008.
Le PDDAA fut donc notre première expérience de collaboration et de partenariat entre les quatre organisations régionales de l’Afrique de l’Ouest (le Roppa), du Centre (la Propac), de l’Est (l’EAFF) et du Sud (le SACAU) [[Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (Roppa), Fédération des agriculteurs est africains (EAFF), Plateforme sousrégionale des organisations paysannes d’Afrique Centrale (Propac), Confédération des syndicats agricoles d’Afrique Australe (Sacau).]].
En février 2004, nous avons organisé à Pretoria une rencontre qui a débouché sur la définition d’une vision du développement de l’Afrique basée sur l’agriculture familiale. Seule l’agriculture familiale peut permettre de garantir de manière durable l’alimentation, l’emploi et les revenus des paysans, de fournir et d’ajouter de la valeur aux productions agricoles destinées à l’industrie, de générer la sécurité sociale et la solidarité dans les campagnes, de valoriser les savoirs-faire traditionnels et les expériences innovantes, et d’assurer un accès équitable aux ressources productives et une gestion durable des ressources naturelles.
Nous avons ensuite construit une position commune dans le cadre de la négociation des APE, qui touchent beaucoup de pays. De fil en aiguille, nous avons vu l’intérêt de créer un espace formalisé qui soit reconnu et qui permette de parler au nom de tous les paysans africains.
En mai 2008, nous nous sommes rencontrés à Addis Abeba pour proposer le cadre général de l’organisation. Nous avons également nommé un facilitateur, M. Mamadou Cissokho, président d’honneur du Roppa, pour coordonner avec les représentants des cinq grandes régions africaines (car l’Umagri [[Union maghrébine des agriculteurs (Umagri).]] nous a rejoint comme représentant de l’Afrique du Nord) les réflexions sur les modalités d’organisation de notre plateforme, sur notre vision et notre mission, ainsi que sur le rôle et la participation des décideurs politiques et des bailleurs. En février 2010 à Tunis, nous avons décidé du lieu du siège et des orientations de la gouvernance.
L’Union africaine, toujours intéressée à soutenir notre démarche, nous a conseillé de tenir notre assemblée constitutive en marge de la conférence des ministres de l’Agriculture à Lilongwe au Malawi en octobre 2010. Nous y avons discuté des divergences et des convergences dans les positions des cinq grandes régions, finalisé et validé les statuts, et élu le bureau qui va assurer la gouvernance de la PAFO.
Concernant la vie institutionnelle de la PAFO, nous avons mis en place deux organes dirigeants : un Conseil continental qui est l’équivalent d’une assemblée générale et qui se réunira tous les deux ans ; un Conseil de coordination qui est composé des présidents et vice-présidents de chaque région, donc de dix personnes, et qui agira comme conseil d’administration avec des réunions tous les six mois. Nous pensons également mettre en place un bureau permanent pour assurer la gestion au quotidien de l’organisation.
GDS : Quels sont les grands défis de la PAFO?
EA : Il y en a deux à l’échelle du continent : le premier est de contribuer au côté de nos États et de nos régions à la maîtrise de la sécurité et de la souveraineté alimentaire ; le deuxième est d’augmenter le pouvoir économique des agriculteurs pour qu’ils soient à même d’assurer leurs besoins vitaux : la santé, l’éducation des enfants, la formation, avoir un logement décent, bref, qu’ils puissent vivre convenablement de leur travail. Ce qui est encore très loin d’être le cas, car bien des producteurs et des productrices ne parviennent pas à nourrir suffisamment leur famille.
GDS : Quelles sont les priorités des agriculteurs à l’échelle du continent ?
EA : Je pense que la grande priorité aujourd’hui est de sensibiliser nos décideurs sur l’importance de l’agriculture familiale dans les économies de nos pays. Il est important que nos gouvernants accroissent les budgets qui concernent l’agriculture et que cela aille en renforcement des investissements agricoles. Il ne s’agit pas d’accroître les budgets de fonctionnement des ministères, mais bien d’améliorer l’environnement de travail des petits producteurs, leur accès au marché, la création de valeur ajoutée, et bien évidemment la formation professionnelle. Ceci est très important pour nous tant au niveau local, que national et sous-régional. Le travail et le savoir des paysans et des paysannes qui sont pourtant la plus grande force de la nation, qui constituent le capital humain comme disent les économistes, ne sont pas assez valorisés.
© I. Besson
L’intégration de l’agriculture aux marchés au niveau régional est également fondamentale. Nous n’excluons pas et ne négligeons pas les marchés extérieurs, mais nous pensons que les priorités aujourd’hui sont d’abord l’accès aux marchés locaux, nationaux et régionaux. Nous pouvons faire des échanges au sein et entre régions africaines car cela permet à la fois de renforcer la sécurité alimentaire et de respecter les habitudes alimentaires des pays et des régions.
Enfin, je voudrais ajouter un dernier point très important : le renforcement de l’entreprenariat et du leadership des femmes et des jeunes. Il est nécessaire de soutenir les femmes pour favoriser leur créativité, car ce sont elles qui sont les plus impliquées dans les cultures vivrières et la transformation en produits alimentaires. Il est également important d’intéresser les jeunes au secteur agricole, mais pour cela il faut rendre l’agriculture attrayante. Les jeunes sont découragés car l’agriculture ne paye pas son homme, et même, l’agriculture ne nourrit souvent pas encore bien son homme. Il est donc crucial d’une part d’améliorer l’environnement socio-économique rural pour que les agricultrices contribuent pleinement à l’économie nationale, et d’autre part de former les jeunes pour qu’ils assurent la relève dans le développement des territoires ruraux et ne gagnent pas les villes où ils sont livrés à des métiers sans avenir. Finalement, c’est la continuité de la préservation des campagnes par les agriculteurs qui est en jeu : l’environnement, la société, la culture, l’économie…
Concernant « l’agribusiness », nos États ont un certain nombre de politiques mais ce que nous souhaitons, c’est qu’ils encouragent une agriculture familiale entreprenante, c’est-à-dire une agriculture qui assure la sécurité alimentaire et qui crée des richesses. On ne peut pas se contenter de laisser les agriculteurs dans des productions principalement de subsistance. Il faut qu’ils génèrent également de la valeur ajoutée et pour cela, il y a un besoin d’investissement en termes de foncier, de capitaux, de formation et de technologies. De plus, les secteurs de l’agriculture familiale et de l’agribusiness ne sont pas étanches, et on doit améliorer le lien entre les deux pour que les productions des exploitations familiales soient utilisées par les agro-industries et les industries agro-alimentaires. Nous ne pouvons pas livrer nos pays à la production de l’agribusiness, car c’est l’agriculture familiale qui a toujours nourri nos pays jusqu’à ce jour et c’est elle qui crée la stabilité sociale et politique. Il faut préserver l’agriculture familiale et la rendre plus entreprenante.
Cette interview a été réalisée par Souleymane Traoré (Intre-réseaux) et Igor Besson (Réseau Far) lors de l’atelier international d’échanges « Organisations professionnelles et formation des populations agricoles et rurales », organisé par le réseau international Formation agricole et rurale (Far), les 25-27 novembre 2010 à Bamako (Mali). L’intégralité de l’interview est disponible sur le site d’Inter-réseaux.