Au Nord-Cameroun, les dispositifs de services agricoles se sont fortement diversifiés ces dernières années. Ils s’efforcent de mettre en oeuvre des démarches de plus en plus participatives. Demeurant fragiles en termes de gouvernance et de financement, la question de leur pérennité reste encore posée.
Depuis vingt ans, le contexte socio-économique de l’agriculture au Nord-Cameroun (désengagement de l’État, libéralisation de l’économie, responsabilisation des agriculteurs) a entraîné l’évolution des dispositifs de services agricoles. En plus de l’offre traditionnelle de services par l’État, au travers des ministères de l’Agriculture et du Développement rural (Minader) et de l’Élevage, des Pêches et des Industries animales (Minepia), et la Société de développement du coton (Sodecoton), ont émergé des services offerts par de nouveaux acteurs (organisations de producteurs (OP), fournisseurs d’intrants, organismes à but non lucratif et prestataires privés). Malgré des résultats indéniables, ces nouveaux dispositifs restent fragiles : difficultés à assurer la pérennité des services, financements irréguliers et insuffisance de ressources humaines compétentes. Cet article analyse un échantillon de six dispositifs de services en termes d’approches, de gouvernance, de financement et de participation des agriculteurs, et questionne les conditions de leur pérennisation. Ce travail a été réalisé en 2007-2008, à l’Institut de recherche agricole pour le développement (Irad) dans le cadre du Pôle régional de recherche appliquée au développement des systèmes agricoles d’Afrique Centrale (Prasac).
Les dispositifs de services agricoles et leurs approches se diversifient. Les organismes publics (Programme national de vulgarisation agricole (PNVA), et la Sodecoton) vulgarisent des thèmes techniques aux agriculteurs selon une approche « descendante », qui a tendance à évoluer du directif (faire appliquer des actions techniques) au participatif (discuter des actions techniques). Ainsi, depuis une dizaine d’années, la Sodecoton transfère progressivement des services aux agriculteurs et à leurs groupements (approvisionnement en intrants, commercialisation du coton), faisant évoluer son dispositif d’appui de la diffusion de messages techniques vers le conseil technico-économique. Les programmes du Minader et du Minepia mettent l’accent sur les services (financement, conseil, organisation) aux agriculteurs et sur le renforcement des capacités de leurs agents (profils de conseillers). Ils favorisent la cogestion entre l’État et la profession à l’exemple du programme d’amélioration de la compétitivité des exploitations familiales agropastorales (ACEFA) mené avec la plate-forme nationale des OP du Cameroun (Planopac).
Les organismes à but non lucratif (Service d’appui aux initiatives locales de développement (Saild), Centre d’éducation rurale de Ngong (CERN)) se sont engagés dans la production de biens et de services marchands (crédits agricoles, approvisionnement en intrants, stockage et commercialisation des produits), et non marchands (alphabétisation, formation, conseil) destinés en priorité aux groupes vulnérables (pauvres, femmes, jeunes). Ces services sont financés avec l’appui de bailleurs de fonds (fondations caritatives, associations internationales) et par une participation des bénéficiaires. Ces dispositifs sont confrontés aux faibles compétences de leurs agents de terrain (animateurs relais) et à des difficultés de financement.
En 1992, la loi sur les groupes d’initiatives communes (GIC) a favorisé la création d’organisations : groupements de producteurs (GP), OP et faîtières (unions, fédérations) autour des filières (coton, oignon, céréales) avec l’appui technique et financier des partenaires nationaux et internationaux (cas de l’Association des producteurs stockeurs de céréales du Diamaré (Aprostoc), et de la Coopérative de producteurs d’oignon de la province du Nord-Cameroun (TIGNERE)). Ces organisations cherchent à responsabiliser les agriculteurs dans la gestion des ressources collectives et à atteindre l’autonomie financière. Mais, peu d’agriculteurs paient leurs cotisations et des anomalies de gestion sont constatées.
© Bourou Mana
Défaillance de la gouvernance et des financements des dispositifs. Ces nouveaux dispositifs de services aux agriculteurs demeurent fragiles. Sur les six étudiés, seule la Sodecoton assure ses services en continu depuis plus de deux décennies auprès d’environ 1 800 GP, soit 300 000 agriculteurs. Pour les cinq autres dispositifs, la durabilité des financements n’est pas assurée pour plusieurs raisons.
Premièrement, la participation des agriculteurs à la vie de ces dispositifs (financement et fonctionnement), bien que croissante, reste encore insuffisante. Responsabiliser davantage les agriculteurs dans la prise en charge de services marchands (crédits, approvisionnement en intrants, stockage et commercialisation des produits, etc.) demande de renforcer leurs capacités en matière de gestion financière, comptable et organisationnelle.
Deuxièmement, les financements pour les services non marchands (formation, conseil, animation, vulgarisation) proviennent surtout de subventions et financements aléatoires de l’État et de bailleurs de fonds ; les contributions des bénéficiaires (cotisations, prélèvements, etc.) sont limitées, voire inexistantes. Il en résulte une offre de services non marchands extrêmement variable, et répondant souvent davantage aux préoccupations des financeurs qu’à celles des agriculteurs. Même si tous les points de vue s’accordent sur la nécessité de la participation des agriculteurs et de leurs OP aux coûts de ces services, les questions du niveau d’autofinancement et du délai pour l’atteindre restent posées.
Difficultés des dispositifs pour mettre en oeuvre les approches participatives. Tous les organismes étudiés ont mis en oeuvre des approches d’intervention centrées sur les projets des bénéficiaires et visant une participation croissante de ces derniers dans la prise de décision.
Un premier frein important à la mise en oeuvre de ces approches participatives est le fort taux d’analphabétisme des agriculteurs et le nombre insuffisant de lettrés pour assurer les fonctions au sein des bureaux des GP. Il en résulte que le savoir de l’agriculteur est souvent placé au-dessous de celui du vulgarisateur et que les agriculteurs ont des difficultés pour contrôler les activités des bureaux des GP et OP.
Un second frein relève des compétences, statuts et identités des conseillers et des responsables de ces dispositifs, car c’est bien sur eux que repose la qualité du travail réalisé. Les responsables chargés de la gestion des dispositifs n’ont pas, pour la plupart, de compétences en animation et en gouvernance de ces dispositifs. Le travail des conseillers repose sur une dimension technique (maîtrise des méthodes et outils), pour laquelle ils ont été formés, et sur une dimension sociale (relation avec le producteur), nouvelle pour eux. Ainsi, former ces conseillers agricoles et ces responsables demande de revoir les parcours de formation initiale en agriculture, pour aller vers l’acquisition de compétences, et pas seulement de connaissances.
Pérenniser les services aux agriculteurs : un défi à relever. Tous les dispositifs analysés rencontrent des difficultés dans le recouvrement des crédits, l’instabilité des GP et le niveau insuffisant des animateurs, conseillers et agents de vulgarisation. Ils sont alors contraints de se restructurer, de revoir leurs stratégies, pour s’adapter aux évolutions rapides de leur environnement économique. La question de leur pérennité à moyen et long terme reste posée.
Malgré ces difficultés, favoriser la création de dispositifs de services agricoles, promus par divers acteurs (publics ou privés) est nécessaire pour les agriculteurs qui peuvent alors mieux orienter leurs attentes et s’adresser à l’offre de services qui leur paraît la plus pertinente. La pérennisation et l’adaptation de ces dispositifs aux besoins des agriculteurs nécessitent l’implication, la contribution et la coordination des acteurs concernés (État, bailleurs, OP, privés, producteurs). L’État doit renforcer son implication dans l’éducation de base, l’alphabétisation et la formation professionnelle des agriculteurs, ainsi que dans la formation et l’élaboration de statuts pour les conseillers agricoles et les agents en charge des dispositifs. Les OP et la chambre d’agriculture, en concertation avec l’État, ont un rôle à jouer dans ces dispositifs (conception, mise en oeuvre, financement, ressources humaines, etc.) et doivent faire la différence entre leurs fonctions sociales (accompagnement de l’organisation des agriculteurs et défense de leurs intérêts), économiques et techniques (offre de services). La recherche d’accompagnement est indispensable pour évaluer, adapter et faire évoluer les services agricoles (méthodes et outils) de telle sorte qu’ils répondent mieux aux besoins des agriculteurs.
Dispositifs de services agricoles : définition
Les services agricoles
En agriculture, les services renvoient à des activités marchandes (approvisionnement en intrants et équipements, crédits, soins vétérinaires, certifications diverses) et non marchandes (vulgarisation, conseil, formation). Ils peuvent être orientés vers la production d’un produit (cas de la filière coton) ou vers l’appui à un processus (cas de l’organisation des agriculteurs).Les dispositifs
Les dispositifs mis en place doivent permettre la rencontre entre des demandes et des offres de services. Ils ont pour objectif de satisfaire les besoins des demandeurs de services (individus ou groupements) par la mise en place d’une offre apportée par des professionnels.
Références :
Bourou M., Havard M., 2010. Recomposition des dispositifs assurant les services aux agriculteurs en zone cotonnière du Nord-Cameroun. Communication au colloque SFER « Conseil en agriculture : acteurs, marchés, mutations », 14 et 15 octobre 2010, Dijon, France, 12p.
http://www.sfer.asso.fr/ content/ download/3619/32627/ version/1/file/1a-Bourou. pdf
Bourou M. 2007. Analyse comparative des expériences d’appui aux exploitations familiales agricoles au Nord- Cameroun. Mémoire d’ingénieur agronome. Dschang, Cameroun : Faculté d’agronomie et des sciences agricoles, Université de Dschang, 88 p.