Au regard des expériences et témoignages rapportés dans ce dossier, quels éléments clés retenir, quels autres aspects du sujet convient-il d’explorer et quelles pistes pour une évolution durable et constructive des systèmes agricoles au Sud, dans un contexte où l’agriculture demeure au centre de tous les débats ?
Sélection variétale et biodiversité cultivée : le rôle central des agriculteurs. Comme le constate Didier Bazile, « pour de nombreuses raisons, les champs paysans constituent une “mine d’or” pour la diversité génétique, et les savoirs traditionnels des paysans permettent d’exploiter ce potentiel génétique en le valorisant sous tous ses aspects économique, social et culturel. » La mise en place de programmes de conservation de l’agrobiodiversité devient donc urgente. Tout comme la reconnaissance du rôle fondamental des paysans dans le maintient de la biodiversité cultivée par une conservation intelligente rapprochant les modes in et ex situ.
D’autre part, les liens entre agriculteurs et les sélectionneurs sont à créer ou à renforcer. Plusieurs programmes de sélection participative ont ainsi été mis en oeuvre. Ils associent des chercheurs et des OP et concernent des cultures vivrières comme le riz, le sorgho et le mil, cultures longtemps délaissées par les centres publics de recherche. Il convient de capitaliser largement sur ces partenariats prometteurs qui peuvent associer astucieusement les savoirs et pratiques paysannes avec les techniques modernes de sélection.
Organiser l’accès aux semences : quels systèmes semenciers pour demain ? Il est maintenant admis que les filières semencières centralisées copiant celles du Nord et ignorant les systèmes semenciers paysans ont souvent échoué. Les échecs ou difficultés des programmes de multiplication de semences certifiées mis en oeuvre révèlent également la nécessité de partir des pratiques et besoins semenciers diversifiés des paysans afin de mieux répondre à leurs demandes. On observe aussi que les prix trop élevés des semences certifiées limitent leur accès aux paysans ayant peu de ressources.
Face à ces constats, des « systèmes semencier communautaires ¹ » (ou décentralisés) sont promus avec des formations de paysans multiplicateurs par des agents des services publics mais aussi des processus de certification allégés ² sachant que, dans une société d’interconnaissance, le paysan multiplicateur qui fournit des semences de mauvaise qualité à ses voisins sera discrédité.
PGM : il faut poursuivre les débats ! L’introduction des PGM* sur le continent africain avance. Certains pays tel que le Burkina Faso les expérimentent à grande échelle mais sans publier d’analyses technico-économiques détaillées présentant leurs avantages et inconvénients pour les paysans et les filières concernées. Le manque de données sur leur adaptation aux contextes de ces pays, lié au manque de recul sur les conséquences environnementales et économiques de leur introduction dans des contextes paysans où elles n’ont jamais été testées nous appelle à rester vigilant, ce qui est d’ailleurs la position du secrétaire exécutif du Roppa qui s’exprime dans ce dossier (p. 32). Des recherches indépendantes sont indispensables pour alimenter un débat qui doit se poursuivre, et au plus près des acteurs du terrain.
Une menace croissante, les DPI. En parallèle de ces évolutions, une menace s’amplifie : les Droits de propriété intellectuelle* (DPI). Depuis la création de l’OMC en 1995 avec la définition des accords sur les Aspects de droits de propriété intellectuelle touchant au commerce (Adpic), tous les pays membres de l’OMC doivent adopter une législation sur la propriété intellectuelle et en ce qui concerne les variétés végétales : système de brevet, et/ou un régime sui generis* efficace pour la protection des obtentions végétales (par exemple, celui de l’Upov*). Or concernant les semences, il semblerait que ces DPI aient été conçus pour privilégier les firmes semencières des pays les plus riches (pays du Nord et pays émergents) et les protections juridiques sont actuellement beaucoup trop coûteuses pour les centres publics de recherche et les communautés et OP des pays pauvres. Ces DPI permettent actuellement aux grandes firmes semencières de protéger leurs variétés et de puiser, sans contrepartie financière, dans les variétés paysannes et les variétés publiques. Au-delà du libre accès aux semences menacé par ce cadre juridique contraignant, c’est l’avenir des agricultures familiales qui peut être remis en question.
Pourtant, en matière de protection des variétés végétales en Afrique de l’Ouest, les pays africains ont surpris en créant, à la fin des années 90, la loimodèle OUA (Organisation de l’union africaine), un système « sui generis » de protection des droits des communautés locales, des agriculteurs et des sélectionneurs et de réglementation de l’accès aux ressources biologiques. Ce modèle de législation ambitionne de reconnaître et défendre les droits des agriculteurs, dans un continent où ils assurent 90 % de la production de semences. Il intègre les préoccupations des agriculteurs et des sélectionneurs. On ne peut que souscrire aux recommandations d’Omar Niangado de tout faire pour mettre en oeuvre ce système qui, pour l’instant, n’a jamais été mis en place.
Et le rôle des États dans tout ça ? De nombreux chercheurs des instituts de recherche publics en Afrique se retrouvent aujourd’hui financés par des programmes d’acteurs privés dont les intérêts sont loin d’être reconnus d’utilité publique. Les États ne devraient-ils pas réinvestir dans la recherche publique, notamment via des dispositifs performants de sélection végétale associant étroitement des OP représentatives et permettant aux paysans d’accéder à des semences libres de royalties ? Ces États devraient également conserver un rôle dans la certification des semences, lorsque celle-ci s’avère indispensable.