Les politiques de sécurité alimentaire mises en œuvre en Afrique de l’Ouest parviennent-elles à toucher les plus pauvres ? Comment les approches de ciblage ont-elles évolué ces dernières années ? Dans cet entretien, Dr Bakari Seidou témoigne des enjeux du ciblage des interventions en faveur de la sécurité alimentaire.
GDS : Les politiques de sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest sont-elles ciblées sur les plus pauvres ?
Bakari Seidou : Très peu, même si la situation commence à changer. Par exemple au Niger jusqu’en 2005, toutes les interventions visant à apporter une assistance aux ménages étaient généralisées à tous les ménages au sein de zones touchées par des crises. Dans des pays où la pauvreté est généralisée et où la construction de l’unité nationale demeure inachevée, il était politiquement et socialement délicat de faire une discrimination parmi les ménages compris dans une zone d’intervention donnée. Toutefois, dès le milieu des années 2000, la nécessité de cibler les interventions sur des critères de vulnérabilité des ménages s’est progressivement imposée.
GDS : Pourquoi ?
BS : Avec la crise alimentaire de 2005, et surtout l’émergence de la question de la malnutrition, on s’est rendu compte qu’il y avait de graves problèmes d’insécurité alimentaire dans la zone agricole, alors que l’essentiel des interventions au Niger avait lieu en zone agro-pastorale. Avec l’accompagnement des partenaires techniques et financiers, les États comme le Niger ont engagé des enquêtes auprès des ménages (enquêtes VAM) pour identifier les indicateurs pertinents en vue de mesurer et de suivre la vulnérabilité à laquelle ces ménages sont exposés. Parallèlement, le développement des enquêtes HEA ont beaucoup amélioré les méthodes de ciblage dans tout le Sahel. Elles identifient, avec la participation des communautés, des critères permettant de catégoriser les ménages (très pauvres, pauvres, moyens et nantis) et de déterminer et suivre leurs sources de revenus ainsi que leurs possibilités d’accès à la nourriture. Cette méthode de ciblage fait globalement l’unanimité de tous les acteurs impliqués, même s’il existe encore quelques problèmes (Lire l’article Les transferts monétaires au Niger : des conditionnalités mal perçues et contournées).
GDS : Comment améliorer les méthodes de ciblage ?
BS : Il est important d’avoir une validation plus neutre de la liste des bénéficiaires des programmes, par exemple en faisant intervenir à un moment du processus un organisme indépendant, extérieur à la communauté. Ensuite, les systèmes d’alerte précoce des pays de la région ont encore trop tendance à s’appuyer sur des critères de disponibilité alimentaire et pas assez sur l’accès des ménages à la nourriture. Il serait enfin utile de procéder à un recensement exhaustif des ménages vulnérables sur tout le territoire, ce qui permettra lors d’un choc de pouvoir d’une part identifier ceux affectés par le phénomène conjoncturel et d’autre part mettre en œuvre rapidement les opérations d’assistance. Cette liste pourrait être réactualisée tous les 5 ans et permettrait d’éviter de refaire des opérations de ciblage pour chaque intervention puisque globalement ce sont les mêmes ménages qui ont besoin d’assistance tous les ans lors de la soudure. Avec le développement de filets sociaux mis en place sur plusieurs années, cette liste devient essentielle (Lire l’article Vers des filets sociaux « prévisibles » en Afrique de l’Ouest ?). Le Burkina y réfléchit déjà. Au Niger, la question est d’actualité.
GDS : N’est-ce pas difficile de cibler lorsque la majorité de la population a besoin d’aide ?
BS : Au Niger, plus de 60 % des ménages sont pauvres ou très pauvres. Mais il n’y a pas de différence fondamentale entre ces 2 groupes, notamment en termes de revenus. Il arrive ainsi que l’on cible des ménages moins pauvres que d’autres. C’est pourquoi, certains questionnent la plus-value d’un ciblage qui prend du temps et des ressources, lorsque 60 % des ménages ont besoin d’une assistance. Mais avec des ressources de plus en plus limitées, on doit cibler si on veut mettre en place des actions durables.
GDS : Le ciblage concerne-t-il aussi les actions de long-terme en faveur de la sécurité alimentaire ?
BS : À l’heure actuelle, seules les interventions d’urgence sont vraiment ciblées. Les actions de long terme ne bénéficient pas aux ménages qui en ont le plus besoin. Malgré les évolutions récentes, les politiques de sécurité alimentaire de la région restent fondées sur des aspects de production, en particulier végétale. L’agriculture est certes une source importante de nourriture et de revenus dans certaines régions sahéliennes. Mais il existe d’autres sources de revenus (migration de certains membres de la famille, salariat agricole, élevage, petit commerce, etc.), qui sont désormais prépondérantes dans la région, et pourtant largement ignorées des stratégies de sécurité alimentaire des États. Même la nouvelle politique du Niger (initiative 3N) reste trop axée sur la production agricole, quand bien même le pays dispose de 37 millions de têtes de bétail. Cette importance ressource permet d’ailleurs aux ménages de sécuriser des revenus et d’améliorer leurs conditions de vie. Mais on veut absolument pousser les ménages à produire pour manger, même là où les conditions de production ne sont pas réunies.