Le Nigeria est un acteur incontournable des échanges de produits agro-pastoraux avec les pays de la sous-région. Présentation et analyse de ce commerce intra-régional en Afrique de l’Ouest.
Les échanges commerciaux entre le Nigeria et ses voisins, de l’Afrique de l’Ouest (Niger et Bénin) et du Centre (Cameroun, Tchad et Guinée équatoriale) sont intenses et anciens. Du fait de son poids économique (plus de 50 % du Produit intérieur brut de la Cedeao), démographique (un ouest africain sur deux est nigérian) et des contrastes de niveau de développement avec les pays voisins, le Nigeria contribue à plus de 90 % au commerce intra régional en Afrique de l’Ouest
Ces échanges portent principalement sur des produits agricoles et des articles manufacturés au rang desquels les hydrocarbures occupent une place prépondérante. Plus de 50 % des besoins pétroliers du Bénin et du Niger sont ainsi satisfaits par des approvisionnements nigérians. Les échanges de produits agricoles, notamment de ceux qui participent à l’alimentation des populations n’en restent pas moins un enjeu important.
Les transactions de produits agricoles entre le Nigeria et ses voisins se sont fortement développées ces trente dernières années, au point de revêtir une forme structurelle, alliant le formel à l’informel. En effet, à des échanges de complémentarité obéissant pour partie aux réglementations en vigueur, se sont greffés des trafics opportunistes fondés sur l’exploitation de multiples fragmentations commerciales, fiscales et monétaires qui existent entre la Fédération nigériane et ses voisins de la zone Franc
De multiples exportations du Nigeria vers ses voisins. En contribuant à hauteur de 75 % à la production des céréales sèches de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, le Nigeria s’est positionné comme le fournisseur net du Niger, du Tchad et occasionnellement du Nord Cameroun, en mil, sorgho et maïs. Le volume des transactions en direction de ces trois voisins se situe autour des 500 000 tonnes par an, et constitue une soupape de sécurité alimentaire pour le Niger et le Tchad, régulièrement confrontés à des crises alimentaires plus ou moins sévères.
La seconde catégorie de produits que le Nigeria exporte vers ses voisins comprend les tubercules et racines, notamment les ignames et les dérivés du manioc (le gari principalement). Créditées d’une production qui avoisine 80 millions de tonnes, les exportations nigérianes d’ignames et de dérivés du manioc sont cependant moins importantes que celles des céréales.
La troisième catégorie de produits agricoles exportés par le Nigeria regroupe les produits de contre saison : pomme de terre et tomates. Le cas de la pomme de terre, qui arrive à concurrencer les importations extra africaines sur les marchés du Bénin, est révélateur de la capacité des produits locaux à conquérir les débouchés régionaux, si leur production bénéficie de politiques incitatives adéquates, notamment un meilleur accès aux facteurs de production (intrants, irrigation). La pomme de terre est en effet produite dans certains périmètres irrigués des États du Nord de la Fédération nigériane (Kano, Jigawa) initialement destinés à la production du riz ou du blé.
Des importations en provenance de la région. Ces dernières années, la gamme des produits agricoles et d’élevage exportés par les pays voisins vers le Nigeria est bien mince. Il s’agit prncipalement du niébé et du souchet, dont le Niger est le principal fournisseur. Les exportations nigériennes de niébé ont évolué en dents de scie. Elles avoisinaient les 300 000 tonnes par an au cours des années 70 et 80, avant de chuter à moins de 100 000 tonnes au cours des années 90. La politique de relance de cette culture, déployée par le gouvernement nigérien au cours des années 2000 (meilleur encadrement des producteurs, prix incitatifs, organisation de la collecte) a permis de doubler le volume de la production, estimée en 2008 à plus d’un million de tonnes. La moitié de cette production est exportée vers le Nigeria qui soutient ainsi implicitement la promotion de cette légumineuse au Niger, en lui offrant un débouché sûr et permanent.
Le marché des produits animaux sur pied est également en pleine expansion. Aux exportations nigériennes, tchadiennes et centrafricaines, via le Tchad et le Nord Cameroun en direction du Nigeria, se sont greffées celles du Burkina Faso, via le Bénin. L’effectif des bovins échangés est estimé à près d’un million de têtes par an.
Des échanges informels dopés par le « protectionnisme » nigérian. Les échanges des produits agricoles et pastoraux contribuent à l’animation d’un commerce mutuellement avantageux pour les États et les acteurs privés. Leur développement se heurte cependant à l’imprévisibilité de la politique commerciale nigériane et à de multiples obstacles (mesures périodiques d’interdiction d’importations et d’exportations de certains produits, rackets des forces de contrôle) qui contribuent à confiner une partie des transactions dans l’informel, voire dans le trafic illicite.
En effet, la singularité des relations commerciales entre le Nigeria et ses voisins est la prévalence du trafic informel (c’est-à-dire non enregistré) d’un certain nombre de produits. Ce trafic a probablement été inauguré avec les transactions de cacao à la fin des années 60 et au début des années 70. En désorganisant les circuits commerciaux au Nigeria, la guerre civile nigériane a facilité la contrebande du cacao, dont une bonne partie transitait par le Bénin à destination du marché international. Le trafic du cacao, produit dont le Bénin ne disposait d’aucune plantation sur son territoire, représentait 40 % des exportations totales officielles du pays entre 1968 et 1970.
Les dessous du commerce intra-Cedeao
Les mesures déployées par le gouvernement nigérian pour juguler les effets du second choc pétrolier, notamment le contingentement, voire l’embargo sur les importations de certains produits de grande consommation (riz, blé et farine de blé) ont donné naissance à une autre forme de contrebande quasi officielle : le commerce de réexportation. Cette forme de transactions consiste pour un pays à importer en régime de consommation, des quantités de produits au delà de ses besoins internes et à exporter le surplus en direction d’un pays voisin tiers, exploitant les différences de taux de protection des marchés. La réexportation se différencie du commerce de transit (qui permet aux pays enclavés d’être régulièrement approvisionnés à partir des pays côtiers) par son caractère frauduleux. En effet elle porte sur des produits soit interdits, soit fortement taxés à l’importation par le pays de destination finale.
Ce trafic est resté dynamique et a été favorisé par les mesures de protection du marché prises par le gouvernement nigérian. À titre d’exemple, le taux de protection du marché du riz au Nigeria est passé de la pure interdiction d’importation à 300 % de taxation en 1994 , puis à 100 % en 1998, avant de se stabiliser autour de 50 % depuis le début des années 2000. Depuis la mise en œuvre du Tarif extérieur commun (Tec) de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA), ce taux de protection est par contre de 30 % pour le Bénin et de 31 % pour le Niger, pays qui se sont positionnés comme les plus gros ré-exportateurs de la zone. Le volume du trafic est estimé à plus d’un demi-million de tonnes par an. Après le riz, suivent les abats, notamment les découpes de volaille (dont le volume de transaction porte sur plus de 50 000 tonnes) et les pommes golden.
Des échanges nourris par des opportunités et des opportunismes. Organisés et mis en œuvre par des réseaux marchands structurés parfois à l’échelle régionale, les échanges de produits agro-pastoraux représentent d’importants enjeux économiques, fi- nanciers et stratégiques pour lesquels les différentes parties — États, opérateurs économiques et consommateurs — ne sont pas toutes gagnantes. En effet, on estime à plus d’un milliard de dollars US le chiffre d’affaire global des transactions de produits agro-alimentaires entre le Nigeria et ses voisins, dont environ : 350 millions de dollars US d’exportation d’animaux sur pieds et 300 millions de réexportation des pays voisins vers le Nigeria (riz, découpes de volailles et pomme) ; et 200 millions de dollars US pour les céréales locales et quelques 100 millions pour le trafic des autres produits (niébé, igname et farine de manioc, pomme de terre, tomate, oignon et autres épices), dont la majeure partie part du Nigeria vers les pays voisins.
La majeure partie des plus-values de ces échanges va aux opérateurs économiques, dont certains se sont structurés en réseaux ayant de très fortes complicités avec les pouvoirs publics. Ils ont surtout permis l’épanouissement d’une caste d’hommes d’affaires fortunés, dont les stratégies d’intervention défient en permanence les règles édictées par les organisations d’intégration régionales et les États.
Les pays en présence (Nigeria, Bénin, Niger, Cameroun et Tchad) n’ont pas la même appréciation des effets et impacts de ces transactions, même si tous admettent qu’elles contribuent à consolider le processus d’intégration régionale en cours. Pour le Nigeria, la réexportation constitue moins un facteur d’atténuation des effets de la crise économique et financière ayant entraîné la perte du pouvoir d’achat des consommateurs urbains, qu’un phénomène annihilant les efforts de relance de sa production agricole et industrielle domestique. Par contre, pour le Bénin et le Niger, cette forme de transaction procure d’importantes ressources financières et sa suppression mettrait à mal le financement de leurs budgets, alimentés par les diverses taxes perçues sur les produits réexportés. La récente crise entre le Bénin et le Niger à propos du contingentement des importations nigériennes d’huile végétale, dont une partie alimente la réexportation en direction du Nigeria, illustre bien à quel point les deux pays ont internalisé les enjeux économiques de cette contrebande quasi-officielle.
La création de l’union douanière de la Cedeao, avec l’instauration d’un Tec à cinq bandes, se traduira par une restructuration du marché régional et une meilleure fluidité des échanges intra-communautaires. Il faudra cependant qu’elle soit accompagnée d’une harmonisation de la fiscalité intérieure (actuellement la TVA est à 18 % au Niger et au Bénin, contre 5 % au Nigeria) pour espérer réduire de façon significative la contrebande et promouvoir un marché zonal incitatif. Les atermoiements qui président aux négociations sur le Tec ne laissent cependant pas envisager une issue heureuse dans le court terme.