Le foncier est aujourd’hui au coeur des enjeux de développement du pastoralisme. Face à des politiques qui cherchent le plus souvent à sédentariser les éleveurs, des organisations se sont constituées et se mobilisent pour défendre la mobilité pastorale et promouvoir une sécurisation de l’accès à la terre des pasteurs et des éleveurs.
Grain de sel : Quelles sont les principales difficultés foncières auxquelles sont confrontés les pasteurs dans le Sahel aujourd’hui ?
Dodo Boureima : D’abord le foncier a des implications politiques très fortes. Les systèmes de production qui n’ont pas une place de choix sur le plan politique ont souvent des problèmes fonciers. Les éleveurs en particulier sont spécialement éprouvés en matière foncière. La législation moderne ne prend pas suffisamment en compte la question de la mobilité qui caractérise le pastoralisme, système de production pourtant dominant au Sahel. D’autre part même s’il y a des textes, ils sont souvent ambigus. La définition du foncier pastoral n’y est jamais claire. Il n’y a pas de réelle garantie juridique pour sécuriser les éleveurs pasteurs. De plus, depuis la colonisation, les éleveurs ont été écartés des zones périurbaines et ont mis du temps à prendre conscience des enjeux fonciers. Souvent les législations ont été élaborées sans eux. La difficulté c’est d’abord de faire reconnaître nos droits sur un parcours pastoral : il est très difficile de faire reconnaître que des parcours, des lieux d’abreuvement ont une vocation pastorale, c’est pourquoi les éleveurs vivent toujours en insécurité foncière. Actuellement du fait que la terre prend de la valeur, c’est encore sur les pâturages, les zones pastorales que nombre d’acteurs jettent leur dévolu au détriment des éleveurs. Nous faisons donc face à deux difficultés essentielles : la législation qui n’est pas adaptée et qui ne reconnaît pas l’élevage pastoral, et les politiques qui se sont beaucoup inspirées d’un modèle de développement agricole venu de l’extérieur. En effet, toutes les politiques nationales actuelles tendent à sédentariser les éleveurs, et ne font rien pour que le pastoralisme devienne un système de production durable avec des garanties foncières, des garanties de droits de transhumance soit interne au pays soit externe. Enfin, nous relevons que toutes les législations s’arrêtent au niveau national, malgré la volonté politique d’aller vers une intégration régionale.
GDS : Est-ce que cette situation est générale au Sahel ou il existe certains pays où les efforts sont plus visibles pour reconnaître les droits des pasteurs ?
DB : Je me refuse de dire que tel ou tel pays avance plus que l’autre. Il y a des législations qui ne vont pas, comme je vous ai dit. Mais même quand la législation exprime des choses positives, il y a des problèmes d’application. Effectivement dans la plupart des États, on a essayé de changer la législation dans un sens plus ou moins favorable au pastoralisme en tenant compte de certains concepts comme la mise en valeur pastorale, ou en reconnaissant la mobilité comme un droit fondamental. Tout cela existe dans la plupart des pays. Mais le problème c’est l’application des textes qui demeure très limitée.
GDS : Que peut faire une organisation d’éleveurs face à ces problèmes ?
DB : Il y a des raisons objectives et des raisons subjectives au fait que le pastoralisme ne soit pas encore à ce jour réellement accepté. Il faut avoir conscience qu’il existe des préjugés qui sous-tendent certaines politiques, et des perceptions négatives de certaines communautés vis-à-vis du pastoralisme. Une OP peut faire du plaidoyer en essayant de déconstruire ces préjugés qui sont véhiculés sur les éleveurs. Et pour déconstruire, il faut développer des argumentaires qui sont basés sur du concret, qu’on ne peut pas démentir et qui peuvent être démontrés de manière scientifique. Un autre aspect c’est la question économique, qui préoccupe beaucoup nos États aujourd’hui. Une OP peut faire ressortir la contribution du pastoralisme dans l’économie nationale ou dans l’économie d’une commune. Cette dimension économique peut donner du poids à l’élevage aujourd’hui. Si on prend le cas du Niger, il y a des communes dont 80% des recettes proviennent de l’élevage. Mais il n’y a pas de visibilité sur ces apports là. Les OP ont vraiment un rôle pour les faire apparaître. D’autre part, nous pouvons tirer parti des réformes institutionnelles telles que la décentralisation : le Réseau Billital Maroobe, par exemple, cherche à faciliter les alliances entre des communautés qui partagent des ressources communes pour minimiser les conflits et pour que chacun puisse profiter au maximum des retombées du pastoralisme. Il y a un certain nombre d’axes sur lesquels les OP peuvent travailler pour amener les autorités, qu’elles soient locales, nationales ou régionales à revoir leur perception de l’élevage et du pastoralisme.
GDS : Est-ce que le travail que vous menez sur la transhumance transfrontalière s’inscrit dans cette volonté de prendre en compte et tirer parti de la décentralisation ?
DB : Oui, les rencontres transfrontalières que nous organisons tendent à faciliter la mobilité transfrontalière dans un contexte où l’on observe des problèmes d’application des textes de la Cedeao et des problèmes d’inadaptabilité des législations. Par exemple le certificat international de transhumance, cet outil qui permet à l’éleveur d’aller d’un pays à un autre à la recherche des ressources dont il a besoin, est le produit d’une décision de la Cedeao avec laquelle tous les États membres sont censés être d’accord. Et pourtant l’application pose problème. C’est pourquoi nous avons décidé, avant d’aller plus loin au niveau sous-régional, de travailler avec les collectivités territoriales qui partagent les mêmes préoccupations et de les amener à réfléchir à comment résoudre les problèmes liés à la transhumance entre les pays. Entre nos pays du Sahel, il est toujours plus facile de se comprendre qu’avec les autres pays de la région, parce qu’il ya une certaine réciprocité : les animaux passent d’un pays à l’autre. Je pense que ces communes transfrontalières sont vraiment disposées à travailler ensemble pour régler les problèmes des éleveurs. C’est le premier pas que nous voulons faire, avant d’aller plus loin, notamment vers les pays côtiers, les pays d’accueil. Avec eux, c’est parfois plus difficile parce qu’il y a un problème de compréhension. Donc nous voulons amener petit à petit les communes à se concerter et à s’entendre. Pour nous, l’intégration régionale, jusqu’à présent, n’est que politique. Elle n’est pas vraiment populaire, elle n’est pas partie de la base. Or ce sont les gens de la base qui sont en contact les uns avec les autres. Quand on discute au niveau de la base, dans les communes, et qu’on élabore des ententes, on peut surmonter certaines difficultés liées aux textes ou au manque d’application des textes.
GDS : En complément de cette approche « par la base », quels sont les travaux que vous menez au niveau régional avec la Cedeao ?
DB : Nous menons des actions parallèles. Nous discutons aussi au niveau de la Cedeao sur la question de la réactualisation du certificat international de transhumance par exemple. Ce que nous faisons avec les communes, c’est pour gagner du temps et mieux raffermir les relations entre populations agricoles et éleveurs. Et le travail que nous menons sur le terrain alimente ces discussions au niveau régional. Lors d’une rencontre organisée à Tera, nous avons initié un grand chantier qui a eu pour point d’orgue la rencontre de Gogounou où nous avons adopté une nouvelle approche de gestion de la transhumance de proximité avec les acteurs locaux et les organisations pastorales de base (collectivités, OP d’éleveurs et d’agriculteurs, services déconcentrés de l’État). Ceci a permis d’aboutir à une feuille de route à soumettre à la Cedeao, l’UEMOA, le Cilss, pour favoriser la circulation du bétail dans l’enceinte de la Cedeao. On a donc plusieurs axes : rencontres entre communes transfrontalières, législation sous-régionale. Après l’atelier de Gogounou, nous avons entrepris une analyse critique des législations concernant l’élevage dans trois pays : le Mali, le Niger, le Burkina. Cela nous a permis de voir l’incohérence des textes et de proposer des améliorations : nous avons mené des discussions dans ce sens avec la Cedeao et l’UEMOA. La prochaine étape, c’est d’aller vers les pays d’accueil des transhumants, les pays côtiers. Grâce à l’expérience que nous avons de la concertation entre les pays sahéliens, on espère pouvoir avancer sur un plan d’action sur la relation entre les pays de départ et les pays d’accueil des transhumants. Par ailleurs, nous venons d’entamer un travail sur la problématique de l’aliment bétail dans la sous région. Cela s’inscrit dans le cadre des échanges en task force autour de la stratégie de stockage et du projet de réserve alimentaire de la Cedeao. Notre intention est entre autres d’alerter les acteurs sur la nécessité d’intégrer l’aliment bétail comme l’un des produits de la réserve alimentaire régionale.
GDS : Vous disiez que c’est souvent les terres de pâturages qui sont convoitées par les investisseurs étrangers. Quel est l’impact de l’accaparement des terres sur les populations d’éleveurs ?
DB : L’accaparement touche particulièrement les éleveurs parce qu’il n’y a pas de cadre foncier pastoral clair et bien connu de tous. Au niveau politique et pour beaucoup d’acteurs, les terres communes sont perçues comme non appropriées et donc sur lesquelles on peut prélever des ressources et entreprendre des investissements au profit d’intérêts privés. Comme les éleveurs n’ont pas de statut juridique, ils ne peuvent pas faire valoir leurs droits. Ils sont pourtant les premiers occupants. Mais tant que la mise en valeur de ces terres n’est pas reconnue, les pasteurs ne peuvent s’appuyer sur des textes pour demander une sécurité foncière. Si je prends l’exemple du Niger, les premiers à s’accaparer les terres ne sont pas les étrangers (même s’ils sont bien là, venant par exemple de pays arabes) mais les dignitaires. La chefferie traditionnelle, les anciens militaires, tous font la course au foncier parce que la terre a pris une valeur démesurée. Les premières victimes sont les éleveurs pasteurs. D’autre part, ceux-ci sont en position de faiblesse : avec la pauvreté, les sécheresses successives, beaucoup d’éleveurs ont perdu leur bétail et ont dû se reconvertir provisoirement dans d’autres activités. Par conséquent les gens profitent de leur absence pour s’approprier leurs domaines, et par des mesures administratives souvent douteuses, ils parviennent à se doter des documents qui leur donnent la priorité. Enfin, au-delà des espaces c’est surtout les ressources qui préoccupent les éleveurs. De plus en plus, les ressources naturelles communes sont appropriées : par exemple beaucoup d’herbes qui servent aux éleveurs deviennent privées (comme le jujubier).
- Dodo Boureima est un agropasteur Peulh de nationalité nigérienne. Il est le secrétaire technique permanent du Réseau des éleveurs pasteurs « Billital Maroobe ». Il est l’un des membres fondateurs et le secrétaire exécutif de l’Association pour la redynamisation des éleveurs au Niger (AREN).
- Le Réseau des organisations d’éleveurs et pasteurs d’Afrique « Billital Maroobé » a été crée en décembre 2003 à Dori au Burkina Faso. Les organisations pastorales et agropastorales membres sont localisées dans les pays suivants : Bénin, Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Nigéria et Sénégal.