Au Bénin, le conseil agricole a connu bien des évolutions au cours du temps. Après le désengagement de l’État, un paysage nouveau s’est mis en place… Aujourd’hui, si l’État revient sur le devant de la scène et si de nouveaux acteurs sont désormais incontournables, le conseil demeure un élément clé de politique agricole. Éclairages.
Le Conseil Agricole constitue un volet important des politiques agricoles. En effet, les choix de types de conseil à développer et de types d’agricultures à promouvoir ne sont pas neutres.
Du « Training and Visit » à la récession, au Bénin aussi. En matière de conseil agricole, comme la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, le Bénin a connu dans les années 80 le développement de services publics pratiquant la méthode « Training and Visit » (littéralement « formation et visite »). Cette période faste (au moins en termes de moyens disponibles pour la vulgarisation) a été brutalement interrompue par les Programmes d’ajustements structurels et le désengagement de l’État dès la fin des années 80. Au Bénin, si ce désengagement ne s’est pas traduit par de grands changements dans la façon de « penser » les dispositifs de conseil agricole, dans la pratique par contre, les moindres ressources allouées aux services agricoles se sont fait ressentir : réduction budgétaire, baisse du personnel des services publics, etc. Ce retrait n’a pu être compensé qu’en partie par l’apparition de nouveaux acteurs (organisations de producteurs, ONG, secteur privé, etc.).
En parallèle, de multiples acteurs, projets et programmes ont développé sur le terrain différents services de conseil, selon diverses approches, pas toujours bien articulées les unes aux autres : approche participative au niveau village (APNV), conseil de gestion / conseil à l’exploitation familiale (CDG/CEF ¹), approches « farmers to farmers » ²… Ces types de conseils se veulent résolument plus participatifs et centrés sur la demande des producteurs.
Le retour récent de l’État, mais pour quels types de conseil ? Ces dernières années cependant, l’État béninois revient sur le devant de la scène, avec des changements perceptibles sur le conseil agricole et les dispositifs associés, dans un contexte nouveau où il n’est plus le seul interlocuteur des producteurs.
Suite à la rédaction d’un Schéma national directeur de développement agricole et rural, l’État élabore en 2001 un Plan stratégique opérationnel ³ décliné en 15 plans d’action dont celui intitulé « Vulgarisation et Formation ». Trois ans après la rédaction de ce dernier plan d’action, en 2004, le ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche (Maep) s’engage dans une démarche de conseil agricole « plus globale ». Il affiche une volonté de passer d’un dispositif de « vulgarisation agricole » orienté surtout sur l’appui à la production végétale, à un dispositif de conseils où il serait désormais question d’accompagner l’exploitant dans la prise de décisions et la mise en oeuvre de ces décisions avec l’appui de services-conseils plus nombreux (conseil de gestion, conseil à la commercialisation, conseil à l’élevage, etc.).
Cette volonté se traduit par la création de la direction du Conseil agricole et de la Formation opérationnelle (Dicaf). Les structures déconcentrées du Maep sont aussi restructurées: les nouveaux centres régionaux et communaux pour la promotion de l’agriculture (CeRPA et CeCPA) doivent développer une gamme plus élargie de conseils. Entre 2006-2007 enfin, l’État recrute environ 2000 agents de terrain, techniciens spécialisés et conseillers. Mais le dispositif n’est pas encore opérationnel puisque le Maep tente de construire petit à petit une stratégie nationale sur le conseil agricole pour faciliter sa mise en oeuvre.
Ouverture sur un processus de réflexion multi-acteurs. C’est dans ce contexte, et afin d’élaborer la nouvelle stratégie nationale de conseil, que le Maep, au travers de sa nouvelle Dicaf ⁴ a lancé un processus innovant d’études concertations (novembre 2006). Ce processus d’échange et de construction de réflexion participative devait être mené par et avec des Béninois acteurs du développement agricole et rural, sur un long pas de temps. Il devait déboucher sur la production d’un document appelé « Livre blanc » ⁵ qui rassemblerait un ensemble argumenté de propositions. En effet, le Maep faisait un constat mitigé des résultats de travaux antérieurs ⁶ : faible appropriation par les acteurs béninois des études menées par des experts « extérieurs » et faibles articulations entre les multiples études menées par des experts nationaux (non-valorisation et segmentation des résultats).
Au Bénin, le processus devant aboutir au Livre blanc sur le conseil avait trois objectifs majeurs : évaluer et apprécier les approches des projets/ programmes de conseil agricole développés par le passé (depuis l’indépendance) ; dresser un tableau de la situation actuelle des conseils agricoles disponibles, des « offreurs » et de la demande des agriculteurs ; afin d’argumenter des positions relatives aux dispositifs de conseil à développer. Le processus devait être long (étalé sur 9 mois) et itératif (de façon répétée) avec des espaces de discussions multipliés sous différentes formes (groupes de travail, réunions intermédiaires, ateliers, réunions du Comité de pilotage). Il devait également refléter la diversité des acteurs béninois (cadres du ministère, recherche, Chambre d’agriculture, représentants d’OP, d’ONG, de projets et programmes, bailleurs de fonds, etc.).
Un processus collectif, interactif, inscrit dans la durée. Le processus a commencé en 2006 par le recueil de l’information existante sur le conseil agricole au Bénin (importante même si peu utilisée). Il a été complété et confronté avec des informations de terrain. Des groupes de travail réunissant OP, cadres de projets, recherche ont ainsi été créés dans 2 départements afin de faire un état des lieux des approches et de se prononcer sur leurs impacts. Pour renforcer la réflexion, des enquêtes, puis de nouvelles rencontres avec les acteurs (mai-juin 2007) ont été conduites au niveau des villages, arrondissements et communes. Au cours de ce processus, de nombreux témoignages ont soulevé des points essentiels à aborder dans le Livre blanc : nécessité de repositionner les producteurs au centre du dispositif de conseil, de repartir de leurs demandes ; nécessité de travailler sur la durée, etc.
En juillet 2007, un atelier interrégional s’est tenu pour partager tous ces travaux ⁷. Une cinquantaine de participants (OP, MAEP/DICAF, recherche, ONG, etc.) ont réfléchi ensemble sur des grandes orientations de stratégie nationale de conseil agricole. Ces propositions ont été rassemblées dans le « Livre blanc » présentant la « voie béninoise » en la matière.
Parmi les axes stratégiques du conseil agricole à développer, une place centrale est accordée au Conseil à l’exploitation familiale (CEF), qui devrait aider les agriculteurs à la prise de décisions et à leur mise en oeuvre. D’autres services-conseils accompagneront aussi les producteurs selon leurs demandes. Puis, en cohérence avec le choix de la contractualisation, de la recherche de complémentarité des acteurs et d’application du principe de subsidiarité, le Bénin met en avant les opérateurs privés (bureau d’études, ONG) et les centres communaux dans la mise en oeuvre du dispositif. Les OP sont écartées si elles ne créent pas de structures indépendantes. Par contre, elles devront aider les producteurs à formuler leurs demandes et à contracter auprès des « offreurs ». Elles deviendront, à terme, maîtres d’ouvrage du dispositif.
Des difficultés instructives…. La démarche participative s’est heurtée à des difficultés. D’abord, l’ampleur du sujet : « Quels dispositifs de conseil mettre en place et comment ? ». Les réponses sont complexes, car de multiples acteurs et secteurs sont à articuler, pour opérationnaliser les dispositifs en lien avec la formation des conseillers, le financement du conseil, l’alphabétisation des producteurs, etc. En outre, le jeu d’acteurs est aussi très complexe : les OP, l’État, les ONG ont du mal à trouver leurs places respectives. À cela s’ajoutent l’influence toujours importante d’une approche descendante face à de nouvelles visions plus participatives et englobantes, et une perception encore floue des nouveaux métiers de conseillers. Il en découle une coordination fragile et parfois un mélange des compétences et rôles de chaque acteur.
Pour autant, un résultat du processus est que les travaux ont rendu plus évidents des jeux d’acteurs différenciés. Ils rappellent la nécessité de se donner les moyens de prendre en compte cette diversité : avancer lentement certes, mais ensemble !
Et après ? Quelles suites seront données à cette dynamique ? Si le Livre blanc décrit des grandes orientations stratégiques du conseil agricole, il ne donne pas de clés quant au schéma opérationnel. Comment passer à l’action sur le terrain ? Ce long processus de construction collective déjà réalisé a montré que le « participatif » n’est ni instantané, ni spontané, ni évident. Il nécessite du temps pour une réelle implication des acteurs d’organisations différentes. C’est par la multiplication des frottements à l’autre que l’on apprend à se connaître, se reconnaître, à communiquer, et co-naître : de la relation réelle peut naître du nouveau ! Un processus à poursuivre … et à suivre donc.