Si les interactions population-environnement-développement font l’objet de nombreuses recherches au Nord, elles sont moins étudiées dans les pays en développement. Un programme de recherche associant 17 pays dont 11 en Afrique subsaharienne s’est attaché à mieux les comprendre.
La forte croissance démographique contemporaine des villes de l’Afrique est un phénomène largement connu et documenté. On sait qu’une part non négligeable de cette croissance est due aux migrations internes issues du monde rural. De nombreux travaux de recherche essaient de mesurer les impacts de cet afflux de population sur l’environnement urbain, que ce soit à travers les questions de traitement des déchets, de pollution de l’eau, de gestion sanitaire ou encore d’occupation des terres incultes périphériques. Il s’avère que les migrants issus du monde rural sont souvent les plus touchés par ces problèmes. Ils constituent en effet les couches les plus pauvres de la population urbaine. Par exemple, à Kampala, en Ouganda, les habitants des quartiers les plus aisés peuvent payer pour faire enlever leurs déchets ou bien peuvent les emmener en voiture loin de chez eux, tandis que les habitants des quartiers pauvres doivent vivre avec leurs déchets ¹. Ce sont ces mêmes populations, issues de l’émigration interne, qui subissent aussi en majorité les épidémies de choléra récurrentes dans la ville.
En revanche, on connaît moins bien les impacts environnementaux de l’émigration sur les zones rurales de départ. Les relations sont loin d’être univoques. Différentes études en montrent la diversité et la complexité. Si le départ d’une partie de la population peut être vu comme un certain relâchement sur le milieu naturel, le fait qu’il s’agisse en général de jeunes actifs peut amener à une déprise de l’activité agricole locale et à un abandon des travaux de protection de l’environnement. C’est le cas dans le nord du Nigeria, où l’émigration crée une pénurie de main-d’oeuvre et un abandon des pratiques de conservation des sols. Si les transferts monétaires des migrants peuvent servir, localement, à des investissements dans la préservation des ressources naturelles (par exemple, acquisition de nouvelles formes d’énergie à la place du bois de feu), ils peuvent aussi aboutir à une situation d’économie de rente et de délaissement du milieu naturel. La pression foncière, le type de production agricole et les modes de gouvernance sont finalement autant de facteurs dont l’influence va être décisive pour l’impact de l’émigration rurale sur la zone de départ. Selon l’équipe de recherche Pripode qui a oeuvré au Niger, les migrations temporaires jouent ainsi un rôle essentiel dans l’adaptation des milieux ruraux à la transition agraire en participant à la modernisation de la production grâce aux transferts monétaires.
Dans l’autre sens, un environnement peu favorable au développement d’activités agricoles régulières se traduit souvent par l’émigration d’une partie de la population. Les populations sahéliennes, par exemple, ont développé depuis longtemps des stratégies migratoires, qui se sont amplifiées à la suite des sécheresses à répétition à partir de la fin des années 1970. En orientant ces migrations vers l’international et en créant des réseaux bien organisés, comme c’est le cas pour la région de Kayes, le volume des transferts monétaires peut devenir suffisamment important pour avoir en retour un impact positif en terme de gestion du territoire et des ressources naturelles. Il est clair que lorsque l’environnement est trop dégradé, les transferts monétaires issus des migrations ne peuvent que rarement améliorer la situation initiale. Le cas extrême est celui où les conditions sont tellement défavorables que toute la population ou une grande partie d’entre elle est amenée à quitter son terroir : on parle alors de « réfugiés environnementaux ». L’échelle de détermination de ces migrations forcées est multiple. Elle dépend des conditions environnementales locales et ce sont souvent des problèmes de désertification, de pénurie d’eau et de diminution des ressources alimentaires qui sont en cause. En Afrique, ce sont surtout les régions sahéliennes et la corne du continent qui sont concernées. Ensuite, que ce soit par la création d’infrastructures ou de grands projets comme des barrages ou des parcs naturels, des populations peuvent être déplacées par le pouvoir politique comme cela se voit en Inde ou en Chine. Enfin, au niveau planétaire, la question du réchauffement climatique et de la montée des océans va générer de nouvelles migrations au cours des prochaines décennies, dont il est encore difficile de prévoir l’ampleur.
Ce qui précède montre bien que l’impact des migrations sur l’environnement en Afrique doit être étudié au niveau local, pour en saisir toute la finesse, mais aussi à des échelles plus vastes. Il faut en effet tenir compte des relations entre l’urbain et le rural au sein des pays, des conditions politiques et économiques des migrations internationales ainsi que des problèmes d’environnement global.