L’onchocercose ou « cécité des rivières » est une maladie répandue en Afrique de l’Ouest. La simulie, une mouche vecteur de la maladie vivant dans les bassins des cours d’eau a longtemps chassé les populations de ces régions. Des programmes d’assainissement ont permis la libération de ces terres fertiles, entraînant de nombreuses migrations.
L’onchocercose ou « cécité des rivières » est une maladie répandue en Afrique de l’Ouest notamment dans la zone soudano-sahélienne couvrant le Nord des pays côtiers et le Sud des pays sahéliens. Les zones relativement bien arrosées de l’Afrique de l’Ouest constituées de plusieurs bassins hydrographiques ¹ ainsi que des cours d’eau de moindre importance qui leur sont rattachés, constituent les foyers de la maladie.
La région concernée par l’onchocercose en Afrique de l’Ouest couvre ainsi neuf pays : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Guinée, Mali, Niger, Sénégal, Togo. L’ensemble de la zone touchée constitue une superficie de 741612 km2. À l’intérieur des pays touchés, les espaces géographiques exposés aux vecteurs de la maladie sont de superficie variable et rassemblent des densités inégales.
Plus de 12 millions de personnes sont exposées à ce fléau dans la région. Le peuplement de la zone est relativement ancien. Il s’est fait par vagues successives de mouvements migratoires engendrant un important brassage de populations. Ainsi se retrouvent sur ce territoire une diversité de groupes ethniques apparentés plus ou moins aux grands groupes que sont les Manding, les Gur, les Poular, les Wolof, les Akan, etc. Ces différents groupes ont des comportements religieux distincts, populations à dominance musulmane (Sénégal, Guinée, Mali), populations animistes et chrétiennes (Côte d’Ivoire, Ghana, Togo). La population de la région est caractérisée par une croissance relativement contrastée ; celle-ci est liée à une fécondité élevée et à des mouvements migratoires d’ampleur intense en fonction des opportunités économiques des pays.
La lutte contre la maladie, libération des zones infectées. Les modes de transmissions de la maladies à l’être humain par les mouches vivant dans les bassins à courant rapide de l’Afrique de l’Ouest ont fait l’objet d’études approfondies par les chercheurs de l’IRD. C’est sur la base des conclusions et recommandations de leurs travaux que la communauté internationale prit conscience de ce grave problème de santé publique, auquel les populations riveraines des cours d’eau de cette région étaient confrontées.
Le Programme de lutte contre l’onchocercose ou Onchocerciasis Control Programme (OCP) fut ainsi créé en 1974. Ce programme bénéficiait des financements obtenus auprès des bailleurs internationaux notamment la Banque mondiale, les agences des Nations unies et des bailleurs bilatéraux. Le siège de l’OCP se trouve à Ouagadougou au Burkina Faso, pays où le bassin de la Volta était un foyer important de la maladie.
Les recherches et les programmes de lutte contre la maladie ont favorisé la compréhension du mode opératoire de la transmission de la maladie et facilité l’organisation des actions de lutte pour libérer les zones infectées.
Profils agricole et économique des régions concernées. La région ouest africaine exposée à l’onchocercose présente une économie dominée par une agriculture basée initialement sur les cultures vivrières notamment les céréales (mil, riz, sorgho) et les tubercules (manioc, ignames). Les opportunités agricoles se sont développées en fonction des potentialités pédologiques et écologiques. Progressivement la culture du coton, du tabac, de la canne à sucre et de l’arachide a été introduite et pratiquée dans une certaine mesure de façon industrielle. Des pôles agroindustriels ont été créés pour intensifier la culture de la canne à sucre et surtout celle du coton.
Ces cultures industrielles ont contribué à attirer une main d’oeuvre relativement jeune et immigrée. C’est l’exemple des complexes sucriers ouverts sur les bassins des fleuves Bandama et Comoé dans le nord de la Côte d’Ivoire ou celui des Sociétés de production du coton au Burkina Faso, au Mali et au Togo. Les régions relativement arrosées comme le sud du Burkina Faso et la Guinée sont marquées, dans une moindre mesure, par la culture de la banane.
En définitive, la région se caractérise par une diversité de cultures vivrières et industrielles qui ont suscité la création d’usines de taille relativement modestes destinées à la transformation des produits agricoles. Les activités agricoles sont accompagnées le plus souvent par une intensification progressive de l’élevage.
Les déplacements des éleveurs des zones sèches vers les régions plus humides au Sud engendrent des conflits permanents avec les agriculteurs, notamment les producteurs de vivriers. La traversée des exploitations endommage les cultures, ce qui cause des conflits plus ou moins violents entre les groupes concernés. En outre, la croissance démographique a eu pour conséquence une augmentation des densités de population. Ceci a exacerbé les conflits latents dont les raisons principales sont liées à l’insuffisance des terres cultivables. Pour être complet, ce panorama de la région doit dire qu’elle regorge de ressources minières (or, diamant) dont l’exploitation, jusqu’à une date récente est restée artisanale. Celle-ci, qui a nécessité l’utilisation des eaux, a peut-être favorisé le contact permanent des populations avec les mouches. Durant ces dernières années, les sites diamantifères et aurifères ont attiré des populations des autres régions en quête d’emploi et de ressources financières. Ces migrations récentes ont aussi contribué à augmenter les densités de la population dans ces zones.
La victoire contre la maladie, source de migrations aux impacts variables. L’éradication de l’onchocercose dans les vallées a eu des conséquences variables. Le repeuplement des régions crée de nouvelles opportunités économiques sociales ; celles-ci, conjuguées aux densités de population en évolution constante, engendrent des problèmes plus ou moins sérieux dont les conflits fonciers en sont une expression inquiétante.
Dans le nord des pays côtiers de la zone (Bénin, Côte d’Ivoire, Ghana et dans une moindre mesure au Togo), cette situation ne s’est pas accompagnée d’une densification très prononcée des terres libérées. Dans chaque pays, des contrastes ont été relevés : les sous-régions à fortes potentialités économiques ont exercé un attrait sur les actifs d’autres régions.
En revanche, dans le sud des pays sahéliens (Burkina Faso, Mali, Niger), les taux de croissance démographique des zones libérées ont été relativement importants engendrant une densification très significative des zones. La croissance de ces régions mieux drainées est surtout liée à une immigration relativement intense. Cette dynamique du peuplement visait à une colonisation des terres rendues disponible grâce aux actions de l’OCP. Il faut signaler que la course à la terre a abouti très rapidement dans certains pays à la saturation foncière, source de conflits voire menace pour la stabilité de la région.
Maintenir les efforts pour réduire les risques de recrudescence. Les programmes de lutte contre la maladie ont abouti à des résultats très prometteurs. En effet, les Programmes de lutte contre l’onchocercose (OCP) en Afrique de l’Ouest et l’African Programme for Onchocerciasis Contrôle (APOC) qui ont bénéficié des soutiens de nombreux partenaires dont l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont contribué à réduire de manière sensible la propagation de la maladie.
Ces succès ont été concrétisés par une recolonisation des terres autrefois infectées par la mouche et un développement spectaculaire de nombreuses activités agricoles, commerciales et quelquefois industrielles.
L’éradication de la maladie a créé de nombreuses opportunités dont l’une des conséquences se traduit par la réorganisation des mouvements migratoires dans la région. En effet, dans chacun des pays, les zones devenues habitables ont attiré des populations des autres régions puisque celles-ci sont mieux arrosées. Les cours d’eau autrefois peu exploités, sont devenus une source d’activité de pêche, le plus souvent tenue par les pêcheurs maliens aguerris dans ce domaine. Ceux-ci sont progressivement descendus jusqu’aux zones lagunaires des pays côtiers. Les éleveurs ont, eux aussi, exploité la nouvelle situation en parcourant toute la région avec leurs troupeaux.
Les possibilités de cultures offertes dans les pays sahéliens, plus secs, ont semble-t-il modifié le comportement des actifs agricoles. Leurs migrations en direction des pays côtiers sont devenues plus saisonnières ; ce qui leur donne des opportunités d’exploitation des interfluves pour les cultures maraîchères dont la commercialisation s’étend progressivement à tous les pays de la région. En définitive, les succès enregistrés dans la lutte contre l’onchocercose ont créé un nouvel équilibre démographique en Afrique de l’Ouest.
Ces programmes ayant nécessité des moyens scientifiques, matériels et financiers importants méritent d’être poursuivis car, leur interruption pourrait être préjudiciable dans la mesure où celle-ci compromettrait les efforts fournis des décennies durant ; l’émergence de la maladie causerait tant de dommages si elle rendait inactives toutes ces populations qui se sont installées sur les terres relativement propices au développement d’une agriculture nécessaire pour lutter contre la famine dans des pays où les sols sont souvent asséchés par manque de pluies. Le développement agricole en cours sur la terre de l’onchocercose est ainsi un gage de la sédentarisation des populations.