La hausse du prix du riz en 2008 a contribué au déclenchement de mouvements sociaux importants contre la hausse des prix de biens vitaux et remis le développement rizicole en haut de l’agenda politique. Cet article interroge les implications de cette dynamique en termes de politiques et d’émergence d’acteurs.
L’Afrique de l’Ouest importe la moitié de sa consommation de riz (14 % de la ration alimentaire en calories). Le triplement du prix du riz sur le marché international en 2008, et le prix de la brisure de riz thaïlandaise (de 720 $/t à 251 $ neuf mois auparavant) ont contribué au déclenchement de mouvements sociaux importants. Au-delà de mesures de court terme (suspension des droits de douanes, facilitations financières pour les importateurs), cette flambée des prix a remis le développement rizicole en haut de l’agenda politique pour réduire la dépendance des pays ouest-africains aux importations.
Relancer la production de riz par une Révolution verte ? La compétitivité du riz ouest-africain est un enjeu récurrent qui structure les débats autour de la formulation des politiques agricoles et alimentaires dans la sous-région. La stratégie de relance mise en oeuvre après 2008 par les pouvoirs publics avec l’appui des bailleurs de fonds repose d’abord sur le triptyque de la Révolution verte des années 1970 : diffusion de variétés améliorées, subvention et accès aux engrais, irrigation. Mais elle se distingue aussi de ces préceptes : d’une part par l’élargissement des mesures d’appui aux questions de qualité, et d’autre part, par la sollicitation croissante de capitaux privés pour la financer.
La baisse de la part des importations dans la consommation totale amorcée avant 2008 a continué mais semble buter sur le seuil de 40 %. Ce niveau est à relativiser compte tenu des incertitudes inhérentes à l’estimation de la production (riz pluvial dominant) et à la connaissance partielle des niveaux de consommation (en particulier hors domicile) qui limite la fiabilité de la balance alimentaire.
Une baisse des importations à nuancer. Cette baisse limitée s’explique en partie par une croissance de la production qui repose essentiellement sur un accroissement des superficies (pour 2 tiers), alors que la progression des rendements est plus lente (de 1,6 t/ha en 2008 à 2,1 t/ha en 2018). Elle est aussi due à une concurrence plus forte entre exportateurs sur le marché mondial qui se traduit par un retour des prix internationaux à des niveaux proches d’avant 2008. Le consommateur ouest-africain devient plus exigeant en termes de diversité des riz consommés et de conditionnement. Même si les études sur les préférences des consommateurs confirment leur intérêt pour les propriétés organoleptiques des riz africains, les filières qui assurent la distribution des riz locaux ne sont pas encore en mesure d’offrir les mêmes niveaux de service (conditionnement, disponibilité, facilité de paiement) que les distributeurs de riz importés. Ceci explique aussi le faible effet des incitations attendues par le relèvement des tarifs douaniers dans certains pays de la Cédéao.
Dépendance aux importations de riz de l’Afrique de l’Ouest, évolution des prix internationaux Source : Calculs d’après USDA PS&D data, 2018.
Le secteur privé : nouvel acteur de la filière ? À côté des enjeux de financements de l’investissement dans la riziculture, l’implication du secteur privé dans la stratégie mise en oeuvre après 2008 par les pouvoirs publics, a aussi pour objet d’améliorer la qualité du conditionnement et de la distribution des riz locaux (stockage) pour améliorer sa compétitivité hors-prix. L’implication d’un opérateur mondial comme Olam au Nigéria depuis le début des années 2000, vise à intégrer des unités de transformation industrielles dans l’économie rizicole locale. Les résultats mitigés montrent que c’est un défi difficile à relever. Il en va de même en Côte d’Ivoire où les pouvoirs publics ont construit leur plan de développement et d’équipement de la filière sur l’implication de ce type d’opérateur. Mais les effets sont encore faibles, seulement deux unités industrielles de transformation sont opérationnelles sur une trentaine planifiées.
La mise en place de systèmes de contractualisation avec les riziculteurs qui sont très souvent associés à ce type d’investissement, demande également des capacités de gouvernance (pas toujours effectives).
Pour une intégration de tous les opérateurs. À côté de ces stratégies de partenariats public-privé, la crise de 2008 a aussi stimulé l’intérêt des opérateurs privés nationaux de moins grandes tailles avec un certain succès. On constate également des innovations institutionnelles comme les entreprises de service et organisation de producteurs, ou la diffusion d’innovations techniques pour améliorer l’étuvage. Elles concourent toutes à l’amélioration de la qualité et à la compétitivité du riz local. L’histoire récente rappelle que la conquête du marché du riz par la production locale ne peut reposer sur une stratégie privilégiant un seul modèle de développement mais qu’elle doit prendre en compte la complexité et la diversité des opérateurs de l’économie rizicole ouest-africaine.
Frédéric Lançon (frederic.lancon@cirad.fr), est économiste à l’unité « Acteurs, ressources et territoires dans le développement », au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), Université de Montpellier.
Patricio Mendez est économiste à l’unité « Territoires, environnement, télédétection et information spatiale », Cirad, Université de Montpellier.
Guillaume Soullier est économiste à l’unité « Acteurs, ressources et territoires dans le développement », Cirad, Université de Montpellier.