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Ceci est un article de la publication "N°76 – Dix ans après 2008, l’Afrique de l’Ouest est-elle mieux préparée face aux crises alimentaires ?", publiée le 18 janvier 2019.

Ce que la crise de 2008 a changé pour les paysans en Afrique

Deogratias Niyonkuru

Crise alimentaireDroit à l’alimentationOrganisations de producteurs et de productricesAnalyse, synthèse

La crise alimentaire de 2008 a touché les populations les plus vulnérables d’Afrique. Cet entretien donne la parole à un acteur de terrain pour interroger les facteurs, les incidences et les spécificités de cette crise, notamment pour l’Afrique centrale.

Grain de Sel (GDS) : Dans votre ouvrage, vous analysez les causes de la pauvreté rurale en Afrique. Comment peut-on expliquer la récurrence des crises alimentaires ?

Déogratias Niyonkuru (DN) : Les facteurs de crise n’ont pas beaucoup changé. Le contrôle de l’alimentation par les multinationales est toujours aussi prégnant, il y a une volonté de mettre en bourse les cultures essentielles à l’alimentation (riz, lait, viande, maïs). Des organisations comme l’Alliance pour une Révolution verte en Afrique (Agra) ont affirmé que la crise de 2008 était due à un déficit alimentaire alors que c’est faux : la crise était liée à de mauvaises orientations politiques.

Néanmoins, la crise de 2008 a été une opportunité pour l’Afrique, au moins de façade. Certains pays (Sénégal, Côte d’Ivoire) ont pris conscience de l’importance de la souveraineté alimentaire. Les discours de la société civile ont progressé en ce sens. Mais les chefs d’État se sont trouvés face à une situation délicate : nourrir des villes dans lesquelles l’explosion démographique est inquiétante. Or, les villes, malgré leur poids électoral limité, peuvent plus facilement faire tomber un régime politique que les campagnes désorganisées. Les organisations paysannes (OP) doivent encore se renforcer pour changer cette situation.

GDS : Quels ont été les impacts de la crise alimentaire de 2008 en Afrique centrale ?

DN : L’Afrique centrale est constituée de zones forestières bien irriguées, puis de savanes. La nourriture de base des populations se compose de tubercules. Ainsi, les produits essentiels à la consommation (manioc, patate douce…) n’étaient pas faciles à mettre en bourse. Les campagnes ont donc réussi à survivre, ce sont les villes qui ont subi des changements dans leur alimentation.

Association de femmes récoltant de la patate douce

Et puis malheureusement, c’est dans cette région que la gouvernance politique laisse le plus à désirer et que la crise a été la moins bien gérée, avec des déclarations de principes des gouvernements. À part le Cameroun, où la contestation de la société civile posait clairement la question des importations sur la table, les autres pays ont avalé les prescriptions d’Agra et de la Banque mondiale (BM) et ont lancé de vastes programmes dits de modernisation de l’agriculture par la mécanisation et l’usage massif d’intrants externes. Ceci a abouti à des catastrophes comme les parcs agro-industriels de la République démocratique du Congo (RDC) où on a investi 80 millions de dollars pour rien.

GDS : Certains auteurs considèrent que la crise alimentaire de 2008 a été une opportunité pour les paysans. Qu’en pensez-vous ?

DN : La crise, en montrant les limites d’une agriculture basée sur les marchés, a permis aux OP de se faire entendre. Avant cela, au Burundi notamment, les OP étaient quasiment invisibles. C’est à ce moment là que le Forum des producteurs agricoles du Burundi (FOPABU) s’est structuré et que les organisations régionales ont émergé. La plateforme régionale des OP d’Afrique centrale (PROPAC) a alors commencé à structurer de façon très artificielle les faitières nationales ; le Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles d’Afrique de l’Ouest (Roppa) s’est développé, etc.

Par ailleurs, la déclaration de Malabo de 2013 stipule que la société civile, dont les OP, doit assurer le suivi des politiques agricoles mises en place dans le cadre des programmes nationaux d’investissements agricoles (PNIA). Les gouvernements devaient donc associer les OP dans la formulation de leurs politiques.

Et puis l’argent qui est arrivé de façon plus importante après 2008 avec l’implication d’acteurs internationaux, a accru la dépendance des OP à l’aide extérieure.

GDS : Est-ce que 2008 constitue une rupture dans les approches de développement rural ?

DN : Quelque peu. La crise, mais surtout l’année de l’agriculture familiale (AF) en 2014 ont permis une nouvelle prise de conscience des politiques, des Nations unies : l’AF et les produits locaux sont primordiaux pour la sécurité alimentaire ! Et puis, de grands projets agro-industriels comme ceux de la BM ou de la RDC, se sont révélés inopérants. Ces systèmes proposaient aux États de développer une agriculture commerciale en vue d’augmenter les revenus des populations plutôt que de les nourrir. Les discours selon lesquels c’est l’accès au marché, les filières commerciales, qui devraient être privilégiés sans se renier ont du revêtir de nouveaux gants.

Déogratias Niyonkuru (deontimaniyonk@ yahoo.fr) est ingénieur agronome, ancien secrétaire général adjoint du Saild au Cameroun, et fondateur de l’association burundaise Adisco (Association d’appui au développement intégral et à la solidarité sur les collines). Il a publié Pour la dignité paysanne : Expériences et témoignages d’Afrique, réflexions, pistes méthodologiques, Grip Éditions, 2018.

Déogratias Niyonkuru était l’invité d’Inter-réseaux à Paris le 15 novembre 2018, réécoutez son intervention.

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