L’ampleur des mobilisations partout dans le monde et les émeutes dites « de la faim » qui se sont multipliées au printemps 2008, touchant notamment l’Afrique subsaharienne (Sénégal, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Cameroun) ont surpris les observateurs.
Selon la FAO, la hausse des prix en 2007 et 2008 a accru de façon considérable la facture alimentaire des importations céréalières des pays les plus pauvres et aggravé l’insécurité alimentaire des populations. Elle aura eu, toujours selon l’agence onusienne, « un impact dévastateur sur la sécurité de nombreux peuples et sur les droits de l’Homme2».
Si les causes sont multiples, quelles leçons peut-on tirer des réponses qui y ont été apportées depuis dix ans ? La crise a-t-elle réveillé les consciences, des organisations locales à la communauté internationale, en passant par l’implication de nouveaux acteurs comme le secteur privé (fondations et firmes internationales au premier plan), pour se remobiliser autour de la question de la faim qui avait eu tendance à tomber dans l’oubli depuis les années 1970 et les grandes famines en Afrique, en Inde et en Chine ?
Les acteurs ont-ils pris les choses en main comme le soulignerait, en tendance, l’évolution des chiffres relatifs de la sous-alimentation à l’échelle mondiale (3)? En Afrique de l’Ouest, la sécurité alimentaire est revenue au centre des agendas, du moins dans les déclarations. Cette dynamique est moins vraie dans les priorités budgétaires des États. Ces derniers ont privilégié la relance agricole et la facilitation des importations, alors que la Communauté internationale parlait protection sociale et lutte contre la malnutrition.
Alors que le monde produit au-delà des besoins alimentaires d’une population, croissance démographique à venir comprise, la question de la faim est loin d’être réglée en Afrique. Près de la moitié des ménages ruraux vivent en dessous du seuil d’extrême pauvreté et n’ont pratiquement plus de capital productif ! Ils n’ont que faire de la plupart des programmes agricoles et d’adaptation au changement climatique, de renforcement de la résilience, etc. Développer des programmes de protection sociale à cette échelle pose une question de durabilité, quand la mode internationale et les cycles de l’aide auront tourné. S’agissant de l’Afrique subsaharienne, Inter-réseaux s’est efforcé depuis dix ans de mieux comprendre la hausse des prix agricoles, de suivre les politiques agricoles — notamment en Afrique de l’Ouest — ainsi que les initiatives visant à renforcer la souveraineté alimentaire. Les réflexions partagées au sein du réseau se sont aussi intéressées aux politiques et instruments de protection sociale face à la vulnérabilité alimentaire. Ce regard élargi reste plus que nécessaire pour appréhender la question dans sa complexité afin de prendre du recul face aux promesses miraculeuses, qu’il s’agisse des nouvelles technologies (4) ou du nouveau « pétrole vert (5)» de l’agribusiness, quand elles n’occasionnent pas, à l’instar des accaparements fonciers (6), de tardives mais douloureuses prises de conscience.
Les acteurs investis dans les systèmes alimentaires, à commencer par les familles rurales, les organisations qui les représentent et ceux qui les accompagnent, sont les premiers mobilisés autour des réponses à apporter aux réalités nouvelles de la malnutrition en Afrique subsaharienne. C’est en s’intéressant à leurs pratiques que les innovations ou les politiques peuvent renforcer la résilience de sociétés en rien passives face aux risques alimentaires.
C’est de cela que ce numéro souhaite rendre compte avec, en toile de fond, une interrogation sur la capacité future à faire face aux crises alimentaires et la volonté partagée à sortir la sous-région de la sous-alimentation, avec ce qu’elle produit de désespoir, violence ou exodes.
François Doligez, président
Ninon Avezou, équipe technique
Ce numéro est issu d’un travail collectif qui a mobilisé activement plusieurs membres d’Inter-réseaux ou partenaires proches pendant plusieurs mois. Nous tenons à remercier en particulier Arlène Alpha (Cirad), Roger Blein (Bureau Issala), Bio Goura Soulé (Hub rural), Patrick Delmas (Reca Niger), Daouda Diagne, François Doligez (Iram), Stéven Le Faou, Myriam Mackiewicz (AVSF), Imma de Miguel (Oxfam), Yves Martin-Prével (IRD), Ousseini Ouédraogo (Roppa), Liora Stührenberg, Sébastien Subsol (Fida) et Marie-Pauline Voufo (Saild) pour leur implication aux côtés de l’équipe technique d’IR tout au long de la réalisation de ce numéro.
Sources : -# (1) Janin P., 2008 : « Crise alimentaire mondiale, désordre et débats », Hérodote, 2008/4 n°131. -# (2) France agricole. -# (3) Martin-Prével Y. & Maire B., 2018 : La nutrition dans un monde globalisé, Karthala-IRD. -# (4) Voir les communications autour des innovations spatiales d’Airbus ou de la NASA dans le bulletin de veille de DEMETER. -# (5) « Agribusiness expected to becom the ‘oil’ of Africa“. -# (6) Grain, 2018 : « L’échec des transactions foncières agricoles laisse des séquelles de plus en plus désastreuses et pénibles », A contre-courant, 13 p.