La France a développé depuis les années 1950 une politique visant à accompagner l’installation des jeunes en agriculture. Les deux articles suivants soulignent les acquis et les limites de cette politique. Le premier article est un entretien avec le vice Président des Jeunes Agriculteurs. Le second a été réalisé par l’association Terre de liens.
Grain de sel (GDS) : Quelles sont les principales difficultés auxquelles les jeunes agriculteurs sont aujourd’hui confrontés en France ?
Jérémy Decerle (JD) : Je dirais que c’est l’accès aux moyens de production et notamment au financement du capital d’exploitation. Le coût du capital d’exploitation est de plus en plus élevé, avec une rentabilité difficile. Les exploitations aujourd’hui sont devenues relativement grandes (85 hectares en moyenne en 2013). Pour un jeune, mettre sur la table l’argent nécessaire pour s’installer s’avère difficile : l’investissement de départ peut varier entre 100000 et 1 million d’euros.
Jusqu’à maintenant, la grande partie des besoins de financement était comblée par les prêts bonifiés et la « dotation jeune agriculteur » (DJA). Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ce sont toujours des outils indispensables, mais qui doivent être complétés par d’autres. Nous essayons de trouver des moyens de diversifier les sources financières et de personnaliser le financement en fonction du projet des jeunes. Nous commençons à trouver des sources de financement nouvelles, comme des filières ou des coopératives qui investissent dans l’installation. Les collectivités locales comme les communautés de commune peuvent également accompagner le financement de l’installation.
GDS : Comment le dispositif d’aide à l’installation des jeunes a-t-il évolué ces dernières années ?
JD : Jusqu’il y a quelques années, un jeune, pour pouvoir bénéficier des aides à l’installation, devait réaliser un stage de 6 mois minimum à plus de 50 kilomètres de l’exploitation familiale pour quelqu’un qui était dans le cadre familial. Il devait aussi faire un stage préparatoire à l’installation d’une durée de 40 heures.
En 2006, nous avons commencé à réfléchir en profondeur à ce dispositif. Ces dernières années le profil des candidats à l’installation a en effet beaucoup évolué. De plus en plus de jeunes non issus du milieu agricole veulent s’installer (cf. graphique).
Il s’agissait de trouver un dispositif plus en adéquation avec les besoins et les attentes des futurs porteurs de projet. Dans le nouveau dispositif d’accompagnement spécialisé, il y a d’abord le « point info installation » : le jeune qui réfléchit à une installation en agriculture rencontre un conseiller qui lui donne un certain nombre d’informations et l’oriente en fonction de l’état d’avancement de son projet. Lors de la deuxième étape, le conseiller propose au jeune un plan de formation personnalisé, fondé sur les compétences acquises par le jeune et sur celles qu’il devra encore acquérir par rapport à son projet.
C’est un dispositif lourd puisque chaque jeune est accompagné de manière individualisée. Mais les taux de réussite sont élevés : 95 % des jeunes qui passent par ce dispositif sont encore en activité cinq voire dix années après leur installation. L’argent public n’est pas gaspillé. Pour prétendre aujourd’hui au prêt bonifié et à la DJA, il faut être passé par ce dispositif.
GDS : Ce dispositif est-il payant pour le jeune ?
JD : Non, sauf pour l’étude économique qui est réalisée soit par les chambres d’agriculture soit par des centres de gestion. Les aides à l’installation sont des aides européennes, nationales et régionales, conditionnées en partie par la viabilité économique du projet du jeune. Cette étude économique, appelée Plan d’entreprise, vise à évaluer la viabilité du projet sur les quatre années suivant l’installation.
GDS : Quels sont les principaux éléments qui ont permis aux JA de jouer un rôle dans l’élaboration de la politique d’installation en France ?
JD : Je pense que c’est tout d’abord notre base solide. Aujourd’hui, les JA représentent environ 50000 adhérents, répartis sur l’ensemble du territoire. Nous avons 2500 échelons locaux qui ont eux aussi des interlocuteurs à leur niveau. Parvenir à formuler des idées qui viennent de la base, puis à les « épandre » sur tout le territoire, nous permet d’avoir un impact démultiplié sur nos interlocuteurs politiques. Cette organisation et ce maillage sur l’ensemble du territoire est un élément de notre capacité d’influence sur la politique agricole et notamment la politique d’installation. Les liens forts que l’on a avec l’enseignement agricole nous permettent aussi de mieux anticiper et connaître les attentes des jeunes et donc d’essayer d’y répondre au maximum.
GDS : Comment le dispositif d’installation pourrait-il être amélioré ?
JD : Nous avons beaucoup avancé ces dernières an- nées sur l’aide à l’installation mais nous avons encore du mal à généraliser le suivi post-installation. La société a changé, de même que les attentes en matière de vie quotidienne, que ce soit sur l’exploitation ou en milieu rural. On ne pourra pas rendre le métier d’agriculteur attractif si on ne fait pas évoluer en permanence l’aspect « vie privée » en milieu rural. Il y a par exemple de nombreux jeunes qui ont envie de s’installer tout de suite après l’école et ils travaillent énormément au départ. Il n’est alors pas évident pour ces jeunes de trouver une compagne ou un compagnon prêt(e) à accepter ce rythme de vie. Il faut savoir adapter son système d’exploitation en essayant d’allier tout, à la fois la viabilité économique certes, mais aussi les aspects « vie privée ».
Dans la loi d’avenir et dans les décrets d’application, il est désormais obligatoire dans chaque département de mettre en place une formation post installation pour tous les jeunes, qui peut permettre de réfléchir à ces aspects.
Définitions
Safer : les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural on été créées en 1960 pour réguler les marchés fonciers agricoles. Pour éviter les accaparements et la spéculation, les Safer achètent des terres agricoles et des sièges d’exploitation pour favoriser l’installation de jeunes agriculteurs. Elles assurent la restructuration parcellaire et l’agrandissement d’exploitations trop petites pour être rentables.
DJA : la « dotation jeune agriculteur » vise à compléter les fonds nécessaires au démarrage de l’activité agricole. Son montant est de l’ordre de 15000 € en moyenne et varie selon la zone d’installation entre 8000 et 35900 €.
Prêts bonifiés : Les prêts aux jeunes agriculteurs sont destinés au financement des investissements d’installation et à la mise en état de l’exploitation (acquisition ou construction de bâtiments d’exploitation, acquisition de cheptel et de matériel, foncier…). L’État prend en charge une partie des intérêts pour diminuer le taux d’emprunt, qui varient ainsi entre 1 % et 2.50 % selon les zones.
Jeunes Agriculteurs est un syndicat qui a été créé en 1957 pour défendre les intérêts des jeunes installés en agriculture et de ceux qui souhaitent s’installer. Jérémy Decerle (jdecerle@jeunes-agriculteurs.fr) est vice Président des Jeunes Agriculteurs (JA).
Terre de Liens (w.loveluck@terredeliens.org et v.rioufol@terredeliens.org) est une structure implantée dans toute la France métropolitaine qui travaille sur la question de l’accès au foncier agricole pour des personnes souhaitant s’installer en agriculture biologique et paysanne. Terre de Liens accompagne de nombreuses personnes extérieures au monde agricole (mais pas exclusivement) souhaitant accéder à du foncier agricole pour démarrer leur activité. Terre de Liens a développé deux outils de finance solidaire, la Foncière et la Fondation Terre de Liens, permettant d’acheter via de l’épargne solidaire et du don (ou de recevoir en don dans certains cas pour la Fondation) des terres et du bâti agricole qui seront loués aux nouveaux agriculteurs via un bail rural comprenant des clauses environnementales.
Si la France a développé une politique d’installation qui s’appuie sur plusieurs outils, le renouvellement des générations en agriculture est rendu difficile par une série de contraintes. Les aides proposées sont peu adaptées aux installations des personnes non issues du milieu agricole, pourtant de plus en plus nombreuses.
Une évolution du foncier défavorable au renouvellement des générations. Partout en Europe, le foncier agricole traverse des temps difficiles. Les terres agricoles diminuent en raison de l’artificialisation des sols et elles se concentrent au sein de structures de moins en moins nombreuses dont le capital global d’exploitation représente des sommes de plus en plus importantes. La France a ainsi perdu 7 millions d’hectares de terres agricoles en 50 ans, pour une surface agricole utile actuelle de 28 millions d’hectare. Et en 2010, elle comptait 26 % de fermes en moins qu’en 2000 (chiffres Agreste).
Les prix du foncier agricoles ont considérablement augmenté, entraînant une déconnection entre le prix des terres et les revenus que l’agriculture peut en espérer : entre 1992 et 2006, les prix du foncier agricole ont augmenté de 80 % en Suède ou encore 150 % en Irlande. En France, les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) ont permis une certaine maîtrise du marché foncier.
Ces éléments concourent aux difficultés de renouvellement des générations en agriculture et de transmission des fermes. En 2010 en France, moins de 5 % des chefs d’exploitation ont moins de 30 ans et 52 % ont plus de 50 ans (Agreste). Beaucoup n’ont pas de successeur dans leur famille.
Des aides inadaptées à toutes les installations agricoles. Face à cet enjeu, la Politique agricole commune est peu ambitieuse : sur la période 2007-2013, elle ne prévoyait d’aider que 185000 installations sur l’ensemble de la zone UE. Et même cet objectif, pourtant trop faible, n’a pas été atteint.
Si nous prenons le cas de la France, il existe un dispositif financier d’aide à l’installation permettant de bénéficier d’une dotation initiale (la DJA) associée à des dispositifs de bonification des prêts à l’installation et différentes formes de subventions à l’investissement. Ces dispositifs sont toutefois relativement inadaptés aux installations de personnes extérieures au cadre agricole, pourtant de plus en plus nombreuses.
En effet, étant donné les difficultés d’accès au foncier et les coûts de démarrage de l’activité agricole, la majorité des personnes qui s’installent en dehors du cadre agricole suivent des logiques d’installations « progressives » (impliquant souvent l’association d’activités non agricoles aux activités agricoles les premières années). Or, les cadres d’analyse des structures qui statuent sur l’octroi des aides à l’installation (DJA et prêts bonifiés notamment) et des établissements bancaires qui attribuent des crédits ne permettent pas de prendre en compte ces logiques d’installations progressives.
De plus, parmi les personnes extérieures au monde agricole, certaines changent le système de production et de commercialisation (conversion en agriculture biologique, circuits courts, transformation à la ferme…), souvent sur de petites structures situées dans les marges des plus gros bassins de production (vallées plus difficilement mécanisables, zones de montagne, anciennes pâtures, etc.). Or les partenaires classiques du financement de l’activité agricole n’ont pas toujours la capacité de financer des modes de productions se démarquant de l’agriculture conventionnelle pour lesquels ils disposent de moins de références économiques et techniques.
Une transmission de l’activité agricole difficile. Du côté des cédants, pour ceux qui ne transmettent pas leur ferme à leurs enfants ou à leur voisin, les obstacles restent multiples. Il existe notamment une difficulté à établir la confiance entre le repreneur et le cédant, sur les aspects humains (confiance du cédant dans la maîtrise de l’activité agricole par le repreneur notamment) comme sur les aspects économiques (capacité à pouvoir se positionner financièrement sur l’acquisition de la ferme, foncier comme matériel).
Par ailleurs, la moyenne des montants des retraites en agriculture en France (784 euros/mois pour les agriculteurs et 552 euros/mois pour les agricultrices) est plus de deux fois inférieure au montant de la moyenne de l’ensemble des retraites, tous régimes confondus (1835 euros pour les hommes et 1325 euros pour les femmes). La faiblesse de ces retraites incitent parfois les agriculteurs à maximiser le montant de la vente de leur ferme, notamment s’ils finissent leur carrière avec un endettement encore élevé.
Faciliter les installations « hors cadre familial ». Terre de Liens se trouve ainsi confronté au constat suivant : le changement de modèle agricole — vers une agriculture biologique et paysanne — ainsi que le renouvellement des générations passe en partie par des personnes qui s’installent en dehors du cadre agricole, c’est-à-dire sans le patrimoine foncier ou l’appui structurel des réseaux agricoles locaux permettant d’accéder au foncier.
Plusieurs mesures permettraient de favoriser ces installations. Dans certaines régions françaises, la Safer acquiert du foncier et le stocke temporairement, avec l’appui financier des conseils régionaux, le temps que le projet d’installation soit finalisé. Ce système pourrait être étendu à l’ensemble du territoire. Il fait durer plus longtemps le processus de vente ce qui facilite le montage financier généralement plus long et complexe du repreneur en dehors du cadre familial. Les cas de reprise de fermes via Terre de Liens en sont des exemples : les acquisitions citoyennes, via des appels publics à épargne et don, et nécessitant un temps long de formalisation du projet d’installation de la part du porteur de projet, prennent un temps incompressible, déconnecté de la vitesse du marché foncier.
Terre de Liens achète des terres agricoles pour les extraire du marché agricole et garantir leur usage en agriculture biologique et paysanne sur le long terme. Ce schéma permet de faciliter l’installation de personnes non issues du milieu agricole mais il peut amener certaines difficultés d’accès au crédit pour ces agriculteurs qui ne peuvent alors pas présenter les terres en caution pour garantir leur prêt (le foncier fait souvent usage de garantie dans le financement de l’activité agricole). Dans les zones où les terres sont majoritairement en fermage, comme dans le Nord de la France, l’accès à l’outil de production se fait principalement par l’accès à des baux ruraux. Les agriculteurs ne venant pas du milieu agricole qui s’installent ne disposent là encore souvent d’aucune garantie matérielle (foncier) à présenter à la banque dans le cadre du financement de leur projet, à moins de disposer d’une maison en propriété par ailleurs.
Dans ces conditions, la mise en place de dispositifs de garanties pour les hors cadre agricole permettrait de faciliter leur installation : garanties bancaires, garantie auprès de la Safer qu’elle retrouvera la somme engagée dans les opérations de stockage du foncier, voire garanties sur le paiement des fermages auprès des propriétaires frileux sur les changements de modes d’agriculture.
Enfin, la sensibilisation des cédants à la transmission, la généralisation des cadres de rencontres entre cédants et repreneurs potentiels ou encore l’aménagement du régime des retraites en agriculture sont des éléments essentiels pour améliorer la politique d’installation française.