Le réseau SOA à Madagascar a récemment décidé d’accompagner les jeunes agriculteurs pour leur permettre d’être davantage pris en compte dans les politiques publiques. Accompagner les jeunes soulève une série de questionnements sur la définition de l’installation.
À Madagascar, les jeunes ruraux sont peu intégrés dans l’élaboration des politiques publiques. Face à ce constat, le réseau SOA a décidé en 2014 de les aider à faire entendre leur voix dans les programmes de développement agricole. Pour cela, SOA a démarré, en partenariat avec Afdi (Agriculteurs français et développement international), un travail sur la formation initiale, l’aide à l’installation, et l’animation d’espaces de concertation pour les jeunes.
Dans le cadre de leur action sur l’installation, le réseau SOA et quatre organisations agricoles ont cherché à définir un profil type de jeunes à accompagner. Cette étape n’a pas été sans soulever un certain nombre de questions.
Peut-on aider un jeune, encore célibataire, qui vit chez ses parents, à s’installer ? Cette question peut paraitre insignifiante. Néanmoins, il est nécessaire de rappeler que les sociétés malgaches ont conservé des systèmes de hiérarchies, notamment dans la place accordée aux anciens (Ray aman-dreny) et aux aînés (Zokiolona). Culturellement, les jeunes sont exclus des sphères de décisions et ont beaucoup de mal à partager leur point de vue avec leurs ainés. Dans les organisations paysannes, les jeunes n’accèdent que très rarement à des postes « clé » à un niveau régional. Même constat dans l’exploitation familiale : traditionnellement, les jeunes qui ne sont pas encore mariés vivent sous le toit de leurs parents et ne sont pas intégrés dans les prises de décisions. Le réseau SOA s’est donc interrogé sur la capacité des jeunes célibataires à participer à la gestion de l’exploitation familiale.
Faut-il accompagner en priorité les jeunes avec une formation professionnelle ? Le réseau SOA considère que la formation initiale est essentielle pour une meilleure professionnalisation des exploitations. Cependant, le nombre de centres de formation initiale est faible et leur capacité d’accueil limitée. Les enquêtes de SOA ont montré que moins de 1 % des jeunes agriculteurs bénéficient d’une formation professionnelle, et que seulement 50 % d’entre eux ont dépassé le niveau scolaire primaire. Ces chiffres confirment ceux du ministère de l’Agriculture : au niveau national, seuls 2 % des jeunes sur les 250000 agriculteurs entrant dans la vie active chaque année ont eu une formation professionnelle. Il est impossible aujourd’hui, pour l’État, de proposer une offre de formation initiale à tous les jeunes. Les organisations paysannes ont donc un rôle à jouer en matière de formation des jeunes pendant leur installation.
Mais dans ce cas, sans formation initiale, comment s’assurer des compétences du jeune à recevoir les services que va lui offrir son organisation ? Est-ce que les services de l’organisation paysanne seront efficients et suffisants pour avoir un véritable effet levier (temps de formation nécessaires, etc.) ? Comment mesurer la motivation des jeunes à rester paysan et s’impliquer dans les organisations paysannes ?
SOA a, pour sa part, fait le choix d’accompagner des jeunes avec ou sans formation professionnelle initiale mais qui sont identifiés et soutenus par un groupement de producteurs de base.
Quels critères les organisations de producteurs ont-elles finalement défini ?
Pour le profil des jeunes :
- être membre de l’organisation
- être identifié et cautionné par son groupement de base
- faire preuve d’une initiative/activité agricole préalable réussie dans l’exploitation familiale ou dans le démarrage de sa propre exploitation
- si le jeune est encore dans l’exploitation de ses parents, que ceux-ci lui laissent un terrain et/ou l’équipement pour mener son projet
- avoir entre 18 et 35 ans : cette tranche d’âge, selon les paysans, assure une certaine maturité et exclut des exploitations déjà bien installées,
- être responsable dans une association pour montrer sa volonté d’engagement (dans un club de football ou une association d’œuvre sociale)
- avoir un niveau scolaire de niveau certificat d’étude élémentaire au minimum (priorité d’accompagnement pour les sortants de formation professionnelle).
- la situation matrimoniale est un critère retenu uniquement par certaines OP.
Pour les projets d’exploitations :
- la zone géographique, pour assurer une proximité des services ainsi qu’un accès aux routes, au réseau de téléphone, aux marchés et à l’information
- des filières prioritaires : les organisation de producteurs ont préféré soutenir des projets qui s’inscrivent dans leurs filières prioritaires pour assurer des services adéquats et une bonne intégration des jeunes dans l’organisation (qualité du conseil technique, vente en commun, accès aux intrants, etc.).
- La pertinence du projet en lui-même tant au niveau technique que financier (moyen de production existants, investissements, compétences, environnement de l’exploitation, résultats attendus, etc.).
Quels types de projets d’exploitation accompagner ? Le réseau SOA s’est interrogé sur les moyens de production nécessaires à l’installation. Par exemple, sur le foncier, il paraissait évident qu’il ne fallait soutenir que des projets qui pouvaient justifier d’une surface de terre suffisante pour les cultures envisagées. Le véritable débat des paysans concernait plus le mode de faire valoir des terres, compte tenu des problèmes d’accès au foncier à Madagascar. Il s’agissait de savoir s’il était envisageable de privilégier les jeunes qui pouvaient justifier d’un titre de propriété, d’évaluer les risques d’accompagner des projets avec des terres en fermage ou en métayage.
Les enquêtes de SOA montraient par ailleurs que la totalité des jeunes nouvellement installés diversifiaient leurs systèmes de production. Les paysans se sont donc demandés s’il fallait encourager des projets favorisant un certain degré de diversification contribuant à une meilleure sécurité alimentaire des jeunes familles ou s’il valait mieux accompagner des projets de spécialisation, en culture ou en élevage, avec un certain niveau d’intensification.
Les débats ont enfin amené les organisations à faire des choix dans les productions à soutenir. Certaines productions (production de foie gras, élevage de porcs, etc.) sont connues pour être rapidement génératrices de revenus, mais leur pertinence pour une phase d’installation dépend aussi de l’organisation de la filière. En effet, le jeune doit avoir accès aux intrants, aux infrastructures, aux marchés, mais aussi à un conseil de qualité.
Le premier défi que SOA relève est donc de définir un profil type de jeunes et de projets à soutenir, en veillant à ce que les services des organisations puissent effectivement répondre à leurs besoins, en termes de formation et d’accès au capital de production.
Actuellement, SOA teste, dans le Menabe et le Bongolava, avec 3 organisations agricoles différents parcours d’installation : chacune a dressé un profil de jeunes et de projets à accompagner en fonction des spécificités de son territoire, tant économiques que sociales. Les services qu’elles développent pour aider les jeunes dans le démarrage de leur activité sont d’ordre financier et technique.
À partir de son expérience, le réseau SOA entend inviter les jeunes agriculteurs et les autres OP à définir de manière plus précise des parcours « types » d’installation à Madagascar. Il s’agira alors de répondre aux questions suivantes : Quels types de services doivent mettre en œuvre les organisations paysannes pour accompagner au mieux les jeunes ? Quels types d’exploitations les organisations doivent-elles accompagner aujourd’hui pour une agriculture performante demain ?
Les services d’aide à l’installation par les OP
Le réseau SOA accompagne 4 organisations paysannes à développer des services d’aide à l’installation, avec un objectif de 180 jeunes installés sur trois ans, de 2014 à 2016. En juillet 2015, 3 organisations accompagnaient déjà 82 jeunes, de 26 ans en moyenne, sur différentes filières, principalement l’élevage de poulets et la riziculture.
Dans chaque organisation, un groupe de jeunes sélectionnés par leurs groupements de base bénéficie d’un conseil individuel pour l’élaboration de leur projet professionnel. Ils sont sélectionnés par les paysans à la base pour leur motivation, leur engagement et la place que leur confie leur parent dans l’exploitation. Le conseil est réalisé par un technicien de l’organisation, c’est le début de leur parcours. Une commission interne de responsables paysans octroie à chacun des jeunes dont les dossiers sont les plus pertinents, une dotation d’une valeur moyenne de 200 euros. Sur les 161 jeunes accompagnés pour monter leur projet professionnel en juillet 2015, 82 ont été sélectionnés.
Les organisations paysannes suivent alors chaque jeune sélectionné et leur offrent différents services de conseil : gestion d’exploitation, techniques de production, rapprochement avec les institutions financières pour développer une épargne ou réaliser d’éventuels crédits sur des campagnes ultérieures. Ce conseil est porté par un technicien de l’organisation, via des formations de groupes ou des visites mensuelles dans chaque exploitation, ainsi qu’un paysan, parrain du jeune, bénévole, identifié par l’organisation et membre du groupement de base du jeune.
Dans cette expérience pilote, la majeure partie des dépenses est subventionnée. Le réseau SOA soutient donc les organisations dans la prise en charge des techniciens et des commissions « installation ». SOA crée du lien entre les organisations paysannes, les institutions de microfinance, les banques et les jeunes. Il travaille également avec les fonds régionaux de développement agricole, dispositifs financiers qui soutiennent notamment des actions de conseil.
Gérard Andriamandiby (reseausoa@moov.mg) est le directeur du Réseau SOA, basé à Antananarivo (Madagasca r). Julie Lecomte (afdimada.partenariats@moov.mg) est chargée de mission au sein d’Afdi nationale. Elle est en poste à Madagascar.
Le réseau SOA, Syndicat des organisations paysannes malgaches, est une organisation paysanne née en 2003, fédérant aujourd’hui plus de 20 000 paysans. SOA se donne pour mission de promouvoir l’organisation paysanne comme partenaire des autorités publiques pour l’élaboration et le suivi des politiques de développement rural et comme acteur économique, capable de peser dans les filières. Pour cela, il travaille selon 3 grands axes : l’information des paysans, la formation des responsables des organisations paysannes, la défense des intérêts des paysans dans les différentes stratégies nationales.