Quelles sont les difficultés des jeunes en termes d’accès au crédit ? Comment les institutions de microfinance peuvent-elles répondre aux besoins des jeunes en milieu rural ? Entretien avec le Directeur général du Crédit rural de Guinée.
Gilles Goldstein (GG) : Pouvez-vous présenter en quelques phrases le Crédit rural de Guinée (CRG) ?
Lamarana Sadio Diallo (LSD) : La réorganisation bancaire intervenue en décembre 1985 a entraîné la suppression de l’unique Banque nationale de développement agricole du pays. Face au vide institutionnel ainsi créé, une mission d’études, financée par l’Agence française de développement (AFD) et réalisée par l’Institut de recherches et d’applications des méthodes de développement (Iram), a été demandée par le ministère de l’Agriculture pour aider le gouvernement guinéen à définir une politique et une stratégie en matière de distribution de crédits. Les recherches ont permis d’identifier l’offre et la demande de financement de l’agriculture. Les conclusions de cette mission ont, entre autres, recommandé la mise en place d’un programme expérimental de crédit agricole en 1989 qui est devenu le Crédit rural de Guinée (CRG).
Depuis cette époque, le CRG a bénéficié d’un accompagnement de l’AFD ainsi que, de manière plus limitée, de l’Union européenne, de l’Agence des États-Unis pour le développement international, de la Banque africaine de développement et de la Banque islamique de développement. Ces appuis ont fortement contribué au développement du CRG qui est devenu le principal dispositif de crédit et d’épargne implanté sur tout le territoire guinéen. Le CRG est institutionnalisé depuis 2001 sous le statut de société anonyme dont les actionnaires sont les caisses locales (elles-mêmes institutionnalisées sous forme d’Associations locales d’épargne et de crédit), les salariés, l’État guinéen et deux partenaires étrangers (Solidarité internationale pour le développement et l’investissement et Iram). Aujourd’hui, le CRG ne reçoit plus d’appui financier de ces bailleurs.
Fin 2014, le CRG représente : 250 000 membres actifs (emprunteurs et épargnants) dont près de 30 % sont jeunes, 120 caisses locales, environ 500 salariés, 11 millions d’euros d’encours de crédit et 12 millions d’euros d’encours d’épargne.
Le CRG propose à ses membres des produits de crédit pour le financement des activités agricoles, de commerce et d’artisanat, le crédit pour les fonctionnaires et le crédit d’équipement. L’institution a également développé des produits d’épargne à vue et à terme ainsi qu’un service de transfert de fonds domestique.
GG : Qu’est-ce qu’un jeune dans la société guinéenne ?
LSD : Pour cerner cette notion, le ministère en charge de la Jeunesse et de l’Emploi des jeunes en Guinée s’appuie sur la charte africaine de la jeunesse qui considère les jeunes comme la couche de la population comprise entre 15-35 ans. Cette classification concerne aussi bien les jeunes femmes que les jeunes hommes.
Dans la société guinéenne, la vision est un peu différente car une personne est considérée comme jeune tant qu’elle n’a pas acquis son autonomie financière et qu’elle est toujours à la charge de sa famille ou de son tuteur. Une personne âgée de 40 à 42 ans peut ainsi entrer dans cette catégorie. Les programmes dédiés aux jeunes, même ceux mis en œuvre par l’État, intègrent cette vision.
GG : Cette question de savoir qui est un jeune se pose- elle au CRG ?
LSD : Dans l’absolu, non, car les personnes dont l’âge est compris entre 18 et 65 sont éligibles aux financements du CRG, à condition de répondre aux critères de sélection demandés et ont donc accès à la gamme diversifiée de produits proposée par le CRG. En revanche, cette question est prise en compte dans le cas de programmes dédiés à cette catégorie de la population mis en œuvre par l’État ou les bailleurs de fonds. C’est le cas par exemple du Fonds national de micro-crédit en faveur des femmes et des jeunes, qui accorde des prêts bonifiés aux institutions de micro-finance pour le financement des jeunes et des femmes et dont le CRG est un opérateur. D’autres fonds et programmes, comme le Fonds national d’insertion des jeunes ou le Programme d’appui à l’emploi des jeunes, financent aussi par l’intermédiaire d’institutions de micro-finance des projets d’entreprises et des formations à destination des jeunes.
GG : D’une manière générale, quelles sont les contraintes qui empêchent les jeunes d’avoir accès au financement ?
LSD : La principale contrainte qui empêche les jeunes d’avoir accès à des financements touche à la question de leur stabilité. En effet, une personne mariée, avec des enfants et possédant son domicile aura plus de facilité à obtenir un financement auprès d’une institution financière ou même d’un préteur informel qu’un jeune sans attache qui pourra à tout moment partir en fonction des opportunités qui se présentent. On retrouve cette même contrainte dans les processus de cooptation lors des demandes de crédit nécessitant une caution solidaire.
En plus de cette contrainte, on note aussi que les jeunes ont des difficultés pour présenter des garanties matérielles ou des apports financiers lors des demandes de crédit importants et également des difficultés d’accès à la terre pour les jeunes agriculteurs dans certains milieux.
C’est pour ces raisons que nous considérons qu’il est plus risqué d’accorder des crédits à un jeune qu’à une personne plus âgée. Par exemple, un groupement de jeunes financé par la Caisse de Mamou avait enregistré beaucoup de retards dans les remboursements. La sensibilisation doit être accrue pour ces jeunes car certains pensent que ces fonds représentent leur part due par le gouvernement.
GG : Les jeunes sollicitent-ils plus ou moins des services financiers que leurs aînés ?
LSD : Les jeunes ont tendance à solliciter davantage de services financiers à cause de leur manque de moyens financiers personnels pour démarrer leurs activités. Ils se tournent plutôt vers les institutions de micro finance car elles offrent proximité, facilité d’accès, et demandent moins de formalisme, ce qui n’est pas le cas des banques.
GG : Le CRG propose-t-il un (des) produit (s) à destination des jeunes ?
LSD : Le CRG ne propose pas de produits spécifiques aux jeunes mais finance ces derniers à travers les produits diversifiés qu’il offre à sa clientèle. En revanche dans le cadre de programmes menés par des partenaires pour promouvoir l’emploi des jeunes, le CRG s’implique dans l’accompagnement de ces derniers pour faciliter leur insertion socio-économique. Ainsi, une réflexion est engagée pour adapter les produits du CRG aux besoins spécifiques des jeunes, qui sont de plus en plus exprimés par nos partenaires et membres.
GG : Comment les jeunes sont-ils intégrés dans la gouvernance du CRG ?
LSD : Concernant les instances, il n’y a pas de règle particulière pour promouvoir les jeunes. Cependant, en raison de leur dynamisme, de leur disponibilité et de leur engagement on retrouve souvent des jeunes exerçant des responsabilités dans les différents comités ou même à la présidence des caisses. A noter que trois directeurs centraux du CRG sur cinq sont des jeunes. Ils sont aussi présents au sein du conseil d’administration.
GG : Le CRG a-t-il pour objectif de développer cette catégorie de membres ?
LSD : Le CRG a l’objectif de cibler cette couche de la population dans le cadre du développement de sa clientèle. Il le fait en lien avec ses partenaires y compris l’État au travers des programmes à destination des couches vulnérables que sont les jeunes et les femmes. Il y a un intérêt pour le CRG à cibler les jeunes, afin de renouveler son portefeuille. C’est un vivier pour de futurs membres et clients. Cibler les jeunes c’est à la fois leur offrir des produits adaptés (notamment en ce qui concerne la durée du crédit, les modalités de remboursement, les taux d’intérêts) mais aussi assurer leur participation à la gouvernance des différentes structures. Pour que l’on soit en mesure de bien répondre à leurs besoins, il est nécessaire que les jeunes participent à la prise de décisions.
Lamarana Sadio Diallo (lamaranasd@yahoo.fr) est Directeur général du Crédit rural de Guinée (CRG) et Président de l’Association professionnelle des institutions de microfinance de Guinée (APIM-G).
Gilles Goldstein (g.goldstein@iram-fr.org) travaille à l’Institut de recherches et d’applications des méthodes de développement (Iram) au sein du pôle « Acteurs, Politiques publiques et Évaluation ».
Le Fonds international pour le développement agricole a réalisé une série de produits (« boîte à outils ») sur l’accès des jeunes au financement en milieu rural, disponible en anglais sur leur site.