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Ceci est un article de la publication "45 : Economies rurales : au-delà de l’agriculture…", publiée le 5 mars 2009.

Quel avenir pour le coton des pays africains de la zone franc ?

Pierre Henri Texier

CotonAfrique de l’Ouest

“Culture pluviale en petit paysannat”, telle est la spécificité de la production cotonnière d’Afrique de l’Ouest et du Centre. Si cette culture a été jusqu’à un passé récent qualifiée de « success story », depuis quatre années elle traverse la crise la plus grave de son histoire au point que sa disparition peut être sérieusement envisagée.

L’histoire d’une dynamique.
De 100 000 tonnes de coton graine en 1950, la production de coton s’est rapidement développée dans les pays africains de la zone franc avec la création dans les années 70 des sociétés d’économie mixte : Cotontchad au Tchad, CIDT en Côte d’Ivoire, Sodefitex au Sénégal, Sodecoton au Cameroun, CMDT au Mali, Sofitex au Burkina et Socada en République Centrafricaine (RCA), puis des sociétés d’État : Sonapra au Bénin, Sotoco au Togo. Elle est alors passée de 500 000 tonnes de coton graine en 1980 à 2 600 000 tonnes en 2004. L’Afrique de l’Ouest et du Centre, avec 5% de la production mondiale et 13% des exportations, était ainsi devenue au début du XXI siècle, le deuxième exportateur mondial de fibre derrière les États Unis. La productivité a été multipliée par quatre au cours de la période 1960-1985, passant de 100 kg à plus de 400 kg de fibre/ha, soit 25% au-dessus de la moyenne mondiale d’alors en culture pluviale (319 kg fibre/ha). Les meilleurs producteurs africains dépassaient largement leurs homologues texans en culture pluviale, pourtant très subventionnés et utilisant à foison intrants et énergie.
Le modèle de vulgarisation qui a permis cette réussite a été emprunt d’un très grand pragmatisme, et réalisé par tâtonnements successifs, grâce à la maîtrise par une seule structure, dans une zone géographique déterminée, des différentes fonctions de la chaîne de valeur agro-industrielle :

  • en amont, production et mise en place des semences, fourniture des engrais et des insecticides (et plus récemment des herbicides) à un prix fixe et à crédit pour le paysan ;
  • en aval, commercialisation primaire du coton graine, transport, égrenage (c’est à dire séparation physique du coton graine en fibre (42%) et graine (55%)), et commercialisation de la fibre sur les marchés internationaux.

Enfin, dans certaines filières le même opérateur triture les graines, conditionne et commercialise l’huile de coton et l’aliment de bétail obtenu.
Les structures de développement cotonnier, si souvent critiquées, assuraient des fonctions économiques et sociales vitales telles que l’entretien des pistes, les forages, l’alphabétisation, l’embouche bovine, l’appui aux forgerons, et le développement des cultures de mais et de riz. Elles concernaient dans dix pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre, près de 2 millions de familles, 16 millions de ruraux, 60 000 salariés, sans compter les effets induits de cette spéculation sur les secteurs de l’énergie, du transport, des banques, des assurances et de l’élevage.


Évolution de la production cotonnière en milliers de tonnes de coton graine des 10 pays africains de la zone franc
(sources : CFDT/ Dagris)

La crise actuelle.
Si le développement du coton a connu ses « trente glorieuses », la filière connaît aujourd’hui une très grave crise. Depuis 2004, la production du coton a chuté de 1,3 millions de tonnes. Ceci est dû au retournement des cours du coton fibre, mais aussi à la stagnation ou à la baisse des rendements à l’hectare, qui est plus ancienne. Le prix payé aux sociétés cotonnières pour le coton commercialisé à l’exportation souffre également de l’arrimage du franc CFA à l’euro, monnaie en forte appréciation depuis plusieurs années par rapport au dollar ; le cours du coton étant fixé en dollar, plus le dollar est faible par rapport à l’euro, moins la transaction rapportera au final en franc CFA. Cette crise a entraîné une perte globale de 220 millions d’euros pour l’ensemble des sociétés de la zone.
La plupart des bailleurs de fonds se sont contentés de déclarations de principe (juillet 2004 réunion à Paris, novembre 2005 à Goré). Le lobbying contre les subventions américaines et les plaintes du G4 africain auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sont restées lettre morte. Seule l’Europe a diminué notablement sa production cotonnière.
La baisse de la rémunération du coton fibre, mais aussi les libéralisations et privatisations mal conduites ont contribué au dépôt de bilan de plusieurs sociétés en Côte d’Ivoire, au Togo et au Bénin, à la disparition du coton en RCA et en Guinée Bissau, et à la mise sous contrainte de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA) des sociétés les plus importantes au Mali, Burkina Faso et Tchad. Seules la Sodecoton et la Sodefitex, qui étaient dotées de réserves financières, ont pu résister.
La baisse du prix au producteur et l’augmentation du prix des engrais a entraîné la division par 3 des revenus des paysans (la Marge brute après remboursement des intrants est passée de 150 000 à 50 000 FCFA). De plus, les paysans sont payés avec des retards de 5 à 6 mois, voire plus ! Ceux d’entre eux qui ont continué à cultiver le coton ont été plus motivés par la fourniture des engrais pour leurs céréales que par la culture cotonnière elle même; les statistiques cotonnières du Cameroun (baisse des rendements de 1300 à 900 kg) et du Togo (volume de coton graine stable à 40 000 tonnes correspondant à un besoin de 20 000 t d’engrais) sont édifiantes à ce sujet.
Les rendements sont tombés à 360 kg fibre/ha alors que la moyenne mondiale est de 390 kg /ha contre 320 kg/ha il y a dix ans ; l’Afrique a perdu son avance technologique et a même été nettement distancée par le Brésil.

Des atouts à valoriser.
Le coton d’Afrique francophone est à la fois économe en eau (réalisé totalement en culture pluviale), en gas-oil (il a besoin de 60 litres de gas-oil par tonne de fibre contre 350 litres pour le coton américain), et en engrais et en pesticides (ses besoins sont de moitié par rapport à ceux des pays développés). De plus, il n’est pas subventionné (le coton américain reçoit 110 FCFA de subvention par kg de coton graine, le coton chinois en reçoit 35 FCFA). Enfin, il dispose de réserves de compétitivité non exploitées comme la possibilité : i) de généraliser les semences délintées qui diminuent le temps de travail consacré au semis ainsi que la pénibilité de cette opération, ii) d’améliorer les rotations en y introduisant le tournesol, le soja ou le riz pluvial, iii) d’encourager les techniques culturales et les associations agro-sylvo-pastorales permettant d’améliorer la fertilité des sols, iv) de mieux valoriser la graine de coton, la farine de coton alimentaire et les tiges de cotonniers en compost ou en charbon de bois, v) d’utiliser l’aliment du bétail coton pour donner naissance à de véritables filières viande et lait.
Certains pays, comme le Burkina Faso s’oriente vers une solution alternative : le passage à la culture du coton OGM. Bien que suscitant aujourd’hui beaucoup de réactions dans la communauté scientifique nationale, cette option est censée permettre à la culture cotonnière africaine de redevenir plus compétitive et donc lui permettre à terme de survivre. Au terme d’essais engagés depuis 2003, ce passage est devenu réalité en 2008 au Burkina Faso, après l’ensemencement des premières parcelles paysannes en coton génétiquement modifié et la conclusion d’un accord entre les autorités du Burkina Faso et la firme américaine Monsanto, qui a permis la fixation du gêne Bt sur les variétés locales à fort rendement.
Les producteurs peuvent déjà s’appuyer pour préparer l’avenir sur :

  • des associations interprofessionnelles, plus ou moins performantes, au plan national: AIC au Bénin, AICB au Burkina, ASIC au Sénégal, IPC au Mali ;
  • leur présence au conseil d’administration de certaines sociétés cotonnières (au Burkina, ils sont même actionnaires à 30% de la Sofitex re-nationalisée) ;
  • l’association africaine des producteurs de coton (APRoCA) qui regroupe 13 pays ;
  • la création d’un fonds assurantiel au Burkina, appelé fonds de lissage, doté par l’AFD, qui permettra de stabiliser leurs revenus.

S’ils n’ont rien à attendre de l’OMC (la récente Farm Bill en est la démonstration éclatante : le prix garanti de la fibre est passé de 0,72 cents/livre avant 2008 à 0,711 ct/lb pour la période 2008-2013, soit l’équivalent de 215 FCFA/kg de coton graine), ils peuvent continuer à augmenter leur rôle de contrepouvoir et à terme prendre en main les sociétés de développement cotonnier.
Dans le contexte de la crise financière actuelle, ils sont tout à fait motivés et aptes à gérer leur propre développement en s’impliquant dans les plans de sauvetage des filières, qui peuvent nécessiter: i) la scission des sociétés en sociétés de patrimoine et sociétés de gestion et la consolidation des prêts souverains en fonds propres, ii) la prise de participation des organisations paysannes au capital des sociétés de gestion à hauteur de 40%, iii) la garantie des États sur les crédits de campagne.
La formation des agriculteurs, par exemple en favorisant l’apprentissage du conseil de gestion à l’exploitation, et des responsables agricoles africains est un impératif dans ce contexte historique. C’est à cette tâche qu’il convient de mobiliser tous ceux qui ne désespèrent pas de l’agriculture familiale africaine et qui veulent « tuer la pauvreté, pas le coton ».

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