UNE SEMAINE INTENSIVE de négociations, «mini-ministérielle» rassemblant au Secrétariat de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Genève les ministres de l’Agriculture d’une trentaine de pays, s’est tenue du 21 au 28 juillet 2008. Pour mieux comprendre quels étaient les objectifs de cette rencontre, il importe de la resituer dans une perspective plus large : l’Accord agricole de l’OMC, qui fixe le cadre réglementaire des échanges mondiaux de produits agricoles et agro-alimentaires, est en renégociation depuis janvier 2000. À l’issue de la conférence ministérielle de Hong-Kong en décembre 2005, les États sont parvenus à l’adoption d’un compromis qui fixe le cadre du nouvel Accord agricole. Une proposition de texte d’Accord agricole a été diffusée le 10 juillet 2008, dans le but de compiler l’ensemble des progrès accomplis et d’identifier les points décisifs qui n’ont pu être tranchés. Ce sont ces points qui ont été à l’ordre du jour de la rencontre de Genève.
Retour sur l’échec de la mini-ministérielle de la fin juillet. Présentée comme l’initiative de la dernière chance, la mini-ministérielle de la fin juillet devait s’attaquer à un ordre du jour chargé.
Afin de mesurer l’ampleur de la tâche qui attendait les délégués, rappelons que les avancées sur le dossier agricole sont conditionnées à de nouvelles offres par les différents États membres dans les trois grands domaines couverts par l’Accord agricole – l’accès au marché, les soutiens internes et la concurrence à l’exportation. En outre, selon le principe fondamental de l’engagement unique, qui implique qu’un État membre s’engage à endosser l’ensemble des accords sectoriels de l’OMC, les avancées de l’Accord agricole sont également conditionnées par les résultats des autres dossiers, notamment l’accès au marché pour les biens non agricoles (AMNA) et les services. Or, rien que pour le dossier agricole, de sérieuses divergences persistaient entre les États membres, en particulier dans les domaines de l’accès au marché et de l’encadrement des soutiens internes. La rencontre de la fin juillet n’a pu en venir à bout.
Encadrement des soutiens internes. Concernant l’encadrement des soutiens internes, l’enjeu majeur de la rencontre était de parvenir à un accord sur le montant des réductions de l’ensemble des soutiens internes distorsifs (1).
Sur ce dossier, ce sont les États-Unis qui se sont retrouvés dans la ligne de mire de la communauté des membres de l’OMC, un effort supplémentaire étant attendu de leur part. Or, si les États-Unis ont bien soumis, dès le début de la semaine de négociation, une nouvelle offre de réduction de leurs soutiens internes, ils l’ont néanmoins assortie de conditions jugées inacceptables par les autres pays. D’une part, ils ont demandé l’instauration d’une « clause de paix » (qui les mettrait à l’abri, en cas de non-respect de leurs engagements, de toute plainte devant l’Organe de règlement des différends de l’OMC). En outre, les États-Unis ont conditionné cette offre à des efforts supplémentaires de la part les autres membres en termes d’ouverture de leurs marchés pour les produits agricoles et non-agricoles.
Accès au marché. Dans le domaine de l’accès au marché, l’un des enjeux clés de la mini-ministérielle était de parvenir à un accord sur la réduction des droits de douane les plus élevés, afin de limiter les pics tarifaires (2) que de nombreux pays développés continuent de maintenir sur certains produits stratégiques. Sur ce point, la demande d’efforts additionnels visait particulièrement l’Union européenne, mais aussi des pays émergents tels le Brésil et l’Inde. Mais surtout, ce sont les deux outils permettant aux pays en développement (PED) – rassemblés autour du « Groupe des 33 » (G33) – de se doter de garde-fous pour l’ouverture de leurs marchés agricoles à la concurrence des importations, à savoir les produits spéciaux (PS) et le mécanisme de sauvegarde spéciale (MSS), qui ont cristallisé les oppositions. Concernant les produits spéciaux (cf. encadré ci-contre), dans le texte du 10 juillet, il était prévu que les PED membres pourraient désigner comme « spéciaux » de 10 à 18 % de leurs produits. S’agissant du traitement de ces produits, deux options étaient laissées ouvertes, dont l’une consistait à dire qu’aucun produit ne serait totalement exempté de réduction tarifaire – seule serait permise une réduction tarifaire plus faible que celle prévue par la formule générale de réduction des droits de douane (3). Cette proposition a été jugée inacceptable par le G33, pour qui il est essentiel qu’un nombre suffi- sant de produits spéciaux puissent être exemptés de réduction tarifaire.
Concernant le mécanisme de sauvegarde spécial, là aussi, la proposition du texte du 10 juillet a été jugée inacceptable par le G33. Ce mécanisme a été conçu pour permettre aux pays en développement membres une protection conjoncturelle de leurs filières agricoles, sous la forme d’un droit de douane additionnel temporaire, des chocs du marché mondial – baisse du cours mondial d’un produit, augmentation brutale des importations ou risque lié au change. Il a toutefois, comme le déplore le G33, progressivement été vidé de son sens à force d’en abaisser les seuils de déclenchement, et de limiter les droits de douane additionnels auquel il doit pouvoir donner droit. Le texte du 10 juillet introduisait une autre restriction de taille, à savoir l’inéligibilité au MSS des produits entrant dans le champ d’un accord commercial préférentiel – ce qui revenait, par exemple, à priver de l’éligibilité au MSS les produits couverts par les Accords de partenariat économique (APE) entre l’Union européenne (UE) et les pays Afrique Caraïbes Pacifique (ACP). C’est l’impossibilité de se mettre d’accord au sujet du MSS qui a précipité l’échec des négociations en mini-ministérielle, les membres ayant tenté jusqu’à la dernière nuit de trouver un terrain d’entente, sans succès.
Il est important de souligner le rôle qu’a joué le G33, alliance de pays en développement rassemblés autour de l’Inde, avec le soutien de nombreux pays africains, dont le Sénégal. Le message porté par ce groupe au cours de la négociation a été déterminant pour tenter de parvenir à un accord plus favorable aux agricultures des pays en développement. Sans succès, malheureusement.
Un rendez-vous manqué pour les agricultures africaines. Les perspectives de relance des négociations demeurent incertaines. Si l’OMC met en avant les progrès récemment accomplis, l’échec de la mini-ministérielle de juillet con- firme que les membres font face à des points de divergence majeurs par rapport aux sujets sur la table des négociations, sans compter les questions épineuses qui n’ont pu être réellement abordées, tel le dossier coton. Le vote de la loi américaine sur l’agriculture en mai et l’expiration du fast track (4) en novembre viennent compliquer la donne. Difficile à ce stade donc de se prononcer sur la suite des négociations.
La première conséquence de cet échec pour les pays africains, c’est que les négociations bilatérales vont prendre encore davantage d’importance, à l’image de la négociation des APE avec l’UE. Un rendezvous important a bel et bien été manqué pour tenter de mettre en place un cadre réglementaire au niveau multilatéral, qui soit plus adapté aux enjeux auxquels font face les agricultures africaines.
En particulier, lorsqu’un pays d’Afrique de l’Ouest réfléchit actuellement aux outils de politique commerciale disponibles qui lui permettent de moduler l’ouverture de ses marchés agricoles, au moins de façon conjoncturelle, il se retrouve démuni. L’espoir placé par les pays africains dans le MSS était de taille, surtout qu’au niveau régional, de tels outils manquent cruellement. Les clauses de sauvegardes de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) en sont à un stade transitoire, sans que des mesures précises n’aient pris le relais au niveau de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Dans le cadre des APE, les seuils et conditions de déclenchement de la mesure de sauvegarde prévue restent flous et diffi- cilement opérationnels. Il ne faudra donc surtout pas manquer les rendez-vous des négociations de l’APE et du Tarif extérieur commun de la Cedeao pour avancer, entres autres, sur ce sujet.
Remettre à plat le cadre multilatéral. La fluidification des échanges, qui passe par la libéralisation la plus complète possible des marchés mondiaux de produits agricoles, est présentée comme la réponse à l’augmentation du cours des denrées alimentaires de base qui frappe depuis quelques mois la communauté internationale. En particulier, on demande aux pays importateurs de lever les taxes sur les importations restantes, pour limiter l’impact de la hausse des cours mondiaux sur les consommateurs.
Or, la levée des barrières à l’importation de la part des importateurs ne peut être qu’une réponse de très court terme, qui vise à atténuer l’impact de la hausse des cours mondiaux sur les consommateurs. À moyen terme, le remède pour les pays africains frappés par la flambée des prix des importations réside dans la limitation de leur dépendance au marché mondial. On ne peut que se réjouir de la volonté de certains pays africains, à l’image du Sénégal, de remettre le vivrier à l’ordre du jour avec l’objectif de produire pour assurer la sécurité alimentaire de ses populations. Les pays africains ont donc entièrement raison de vouloir se donner le plus de marge de manœuvre possible pour protéger leur production agricole des fluctuations du marché mondial, surtout lorsqu’il s’agit de produits à la base de l’alimentation de leurs populations. Vu la tournure qu’ont pris les négociations, on peut se demander si c’est encore possible de se donner une telle marge de manœuvre au niveau de l’OMC.
1. Distorsif : empêchant le marché de tendre vers une situation optimale de libre concurrence. Le texte du 10 juillet avait confirmé le principe d’une réduction de ces soutiens internes distorsifs selon une formule étagée, avec des efforts proportionnellement plus importants attendus des pays dont les niveaux de soutiens internes sont les plus élevés – à savoir l’UE, suivi des États-Unis et du Japon. Restait à en fixer le montant.
2. « Droits atypiquement élevés pouvant devenir délibérémment prohibitifs. »
3. Le texte dispose en effet que soit 6 %, soit 0 % des PS seraient exemptés de réductions, avec une obligation de réduction moyenne de 10-14 % (§ 121).
4. Aux États-Unis, l’administration négocie les accords commerciaux mais ceux-ci doivent ensuite être validés par le Congrès. Une procédure permet toutefois de simplifier cette procédure : la « Trade Promotion Authority » ou « Fast Track » permet à l’administration de négocier un accord qui sera approuvé ou rejeté par le congrès de manière globale, et non article par article. Cet acte est indispensable aux négociateurs américains pour avancer dans la négociation de façon crédible avec les autres pays.
Encadré 1 : Les « boîtes » de l’accord agricole.
L’ENSEMBLE DES DEPENSES accordées par un pays à son agriculture est régulé selon le degré de distorsion sur les échanges agricoles. Boîte orange : soutiens couplés aux prix ou à la production. Parce qu’ayant des effets stimulants sur la production, ces mesures sont jugées nocives et les pays s’engagent à les diminuer. Boîtes bleues : soutiens versés à l’hectare ou à la tête de bétail liés à des engagements de réduction de la production. Niveau plafonné par pays. Boite verte : toutes autres dépenses publiques à l’agriculture (formation, recherche, services vétérinaires, etc.). Source : GDS 33, pages 10 et 14
Encadré 2 : Les notions de produits spéciaux et produits sensibles.
LA NOTION de « produits spéciaux » est utilisée dans le cadre de la négociation à l’OMC. Ce sont des produits que les PED auront la possibilité de protéger pour des raisons liées à la sécurité alimentaire, à la garantie des moyens d’existence et au développement rural. Le terme de « produits sensibles » renvoie à des notions un peu différentes dans les négociations OMC et dans celles des APE, ce qui peut entraîner une certaine confusion. Dans le cadre de l’OMC, la notion de « produits sensibles » est utilisée pour désigner des produits sensibles à la libéralisation des échanges dans tous les pays, y compris les pays développés. Ces produits, en nombre plus réduit que les « produits spéciaux », bénéficient d’une certaine flexibilité et les pays peuvent limiter les réductions tarifaires. Source : Zoom de Rosa nº9