LE RIZ a pris une place considérable dans l’alimentation des sahéliens, notamment en milieu urbain. Ce phénomène est beaucoup plus marqué au Sénégal et au Mali. Le riz, essentiellement brisé, est ancré dans les habitudes alimentaires du Sénégal urbain comme rural (70 kg par personne et par an). Il est aussi très présent dans l’alimentation des Maliens (environ 38 % des céréales consommées). Différence de taille, le Mali produit de l’ordre de 75-80 % de sa consommation de riz alors que le Sénégal ne couvre que 20 % de ses besoins. Le riz est moins présent au Burkina Faso avec une consommation de l’ordre de 20 kg par habitant, dont le quart est couvert par la production. Les importations de riz ont augmenté dans tous les pays au cours des dernières années et le riz représente une part importante des dépenses des ménages.
Les bas prix du riz sur le marché mondial au cours des quarante dernières années ont rendu les filières locales moins compétitives. Ils ont permis un accroissement rapide et continu des importations au détriment du riz local et des producteurs locaux. La hausse actuelle des prix des produits agricoles sur le marché international (cf. page 12-13) peut redonner de l’espoir aux producteurs africains, constituer une chance historique de relancer la production locale et asseoir une véritable base de développement économique pour ces pays essentiellement agricoles.
Une amélioration générale des marges des producteurs. Le coût moyen de production dans la vallée du fleuve au Sénégal a augmenté de 12,5 % en passant de 343 430 FCFA/ ha (environ 523,5 euros) à 385 500 (environ 587,6 euros) entre 2005/06 et 2007/08. Cette hausse modérée résulte de l’augmentation des services mécanisés (labours, battage), et de la maîtrise du prix des intrants en raison de la subvention de 50 % allouée par l’État. Le coût moyen de production par kilogramme de riz a quant à lui progressé de 12,7 % passant de 69 à 77 FCFA/kg. Le léger écart entre les deux progressions s’explique essentiellement par une faible baisse du rendement moyen dans les exploitations enquêtées. Au Mali, à l’Office du Niger, le coût moyen de production a paradoxalement chuté de 2,5 %, en passant de 360 305 FCFA/ha (environ 549 euros) à 351 245 FCFA/ha (environ 536,7 euros) suite à la baisse du prix des intrants. Cette baisse est en partie due à l’entrée frauduleuse d’engrais qui seraient de mauvaise qualité et à l’existence de stocks constitués avant la hausse des prix. Par contre, l’augmentation de 8,6 % du coût moyen de production au kilogramme (passant de 80 à 87 FCFA/kg) est la conséquence directe de la baisse des rendements moyens au battage (de 4,5 à 4,05 t/ha) dans les exploitations enquêtées.
La hausse du prix du riz au producteur a été respectivement de 14 % et 34 % au Mali et au Sénégal. La marge des producteurs des zones enquêtées s’est améliorée de 19 % au Mali et de 76 % au Sénégal au cours des trois dernières années en dépit de l’augmentation des coûts de production.
Au Burkina Faso, la production de paddy a oscillé entre 66 000 et 115 000 tonnes dans la période 2000- 07 et représenté moins de 3,5 % de la production céréalière nationale. Les rendements varient fortement et se situent en moyenne à 1,3 tonne de riz/ha. Le manque de compétitivité et la faible rentabilité de la filière riz local expliquent la stagnation de la production locale de paddy. Cependant, le prix du riz local – influencé par celui du riz importé – enregistre une tendance à la hausse depuis 2004 (cf. tableau). De son côté, le prix à la consommation est passé de 250 FCFA en 2004 à 275 FCFA en 2005-06 avant d’atteindre 300 FCFA au dernier trimestre de 2007 et surtout 400 FCFA dès le deuxième trimestre de 2008.
L’analyse des coûts de production entre 2004 et 2007 pour les principaux systèmes rizicoles dans le pays ¹ a montré que les coûts de certains postes de dépenses de production ont sensiblement augmenté : en moyenne, 20 % pour l’emballage, le transport, la main-d’œuvre ou les engrais, 10 % pour le labour, 17 % pour le battage, le vannage ou les semences, les herbicides, et 50 % pour le décorticage du riz paddy.
Evolution du prix du riz local et de la répartition des marges le long le la filière rizicole
L’analyse du compte d’exploitation du riziculteur a révélé que la hausse du coût de production a été modeste sur les grands périmètres au fil de l’eau et plus élevée sur les périmètres par pompage soit respectivement 3 FCFA et 11 FCFA/Kg ². Excepté le système d’irrigation par double pompage, on peut affirmer que l’augmentation du coût unitaire de production du riz a été modérée au cours de la période 2004-07. Comparée à la hausse du prix d’achat du paddy, elle apparaît relativement limitée.
La part du producteur dans la répartition de la marge au sein de la filière, n’a pas sensiblement évolué. Par contre, le fait marquant a été la dégradation de la situation de l’importateur dont la part a été divisée par deux en 2007. sur le plan du revenu, la croissance des prix a profité au riziculteur. L’une des conséquences majeures de cette amélioration de revenu est l’extension des superficies rizicoles dans certaines zones de production pour la campagne 2008-09 ³.
Mais une minorité de producteurs sont vendeurs nets de céréales. Les producteurs, en attendant les résultats de la présente campagne agricole 2008/2009, gèrent mieux les stocks de céréales, en limitant les pertes. Ils sont plus enclins à emprunter pour investir dans la production. Ils souhaitent produire plus par l’agrandissement des parcelles et/ou par l’utilisation accrue d’intrants. Les producteurs sont également des consommateurs, 80 % d’entre eux sont confrontés à la soudure. Les producteurs dont les récoltes ne suffisent pas pour nourrir les familles, achètent des céréales sur le marché local, à un prix qui, suite aux fluctuations saisonnières (plus prononcées cette année), augmente par rapport à la période des récoltes, quand les productions sont bradées pour faire face aux besoins monétaires et pour rembourser les crédits contractés durant l’année. Ainsi, dans ce cas, ils subissent les impacts de la hausse des prix des céréales plutôt que d’en profiter. La conjoncture internationale des marchés agricoles peut aggraver les inégalités entre les producteurs au sein du même pays. Seuls les grands bassins de production (par exemple le sud et la zone office du Niger au Mali et la vallée du fleuve Sénégal et la Casamance au Sénégal) pourront tirer partie de la hausse des prix à court terme.
Le riz ouest africain peut-il redevenir durablement compétitif par rapport aux importations ? L’augmentation des prix internationaux et le contexte de « vie chère » ont contraint à réexaminer l’orientation des politiques agricoles inspirées par les politiques d’ajustement structurel. Les décideurs publics semblent avoir pris conscience des risques induits par la forte dépendance de la région aux importations et de la nécessité de développer la riziculture locale (cf. page 24-25). Cependant, il convient de signaler que les pays ont déjà connu des périodes de hausse des prix céréaliers, notamment après la dévaluation du Franc CFA en 1994. Mais ce contexte n’avait pas engendré les changements permettant de mettre le pays à l’abri de l’insécurité alimentaire.
Marge (FCFA/kg) et répartition de la marge au sein de la filièrer riz au Burkina Faso.
Dans les trois pays, le nouveau contexte de 2008 qui semble avoir stimulé la production rizicole locale dans le court terme peut être à la base d’une croissance durable sous plusieurs hypothèses : (i) la répercussion effective de l’augmentation internationale sur le prix local ; (ii) l’augmentation du prix du paddy est synonyme d’une rentabilité accrue, (iii) les institutions financières adoptent des outils financiers adaptés pour octroyer des crédits aux exploitants, (iv) la sécurisation foncière est une réalité, (v) les producteurs ont accès à des services d’appui-conseil et aux paquets technologiques appropriés, (vi) les filières se structurent et les producteurs s’organisent notamment pour l’approvisionnement en intrants et la commercialisation. En outre, une hypothèse majeure est l’absence d’un retournement du marché international dans le court et moyen terme et la maîtrise de la volatilité des prix.
Pour être durablement compétitif face au riz importé, il est indispensable de développer la production locale d’intrants notamment d’engrais chimiques et organiques ainsi que de semences améliorées à des coûts compétitifs. Par ailleurs, le développement de la maîtrise de l’eau est primordial à travers la promotion de nouveaux schémas adaptés d’aménagement et de mise en valeur des terres.
Le riz local peut redevenir compétitif mais la maîtrise des coûts de production devient un enjeu majeur pour limiter la hausse des prix à la consommation et faciliter l’accès à l’alimentation des consommateurs, et donc contribuer à une véritable sécurité alimentaire.
1. Grand périmètre au fil de l’eau – GPFE – et Grand Périmètre par pompage – GPPP
2. Il convient de souligner que ces deux systèmes rizicoles ont des coûts de production supérieurs à ceux du système pluvial ou en encore de la riziculture de bas-fond.
3. Les résultats prévisionnels de la campagne 2008-09 publiés en novembre 2008 indiquent que l’on s’acheminerait vers une production record de riz avec 235 810 tonnes soit une croissance de 242 % par rapport à la campagne précédente.
Cet article est basé sur les résultats de deux études réalisées sur base d’enquêtes dans les exploitations et auprès des principaux opérateurs des filières riz. La première, commanditée par la Fondation FARM (www.fondationfarm. org) portait sur l’impact de la hausse des prix sur les producteurs dans les zones rizicoles (office du Niger au Mali avec le système d’irrigation gravitaire et la vallée du fleuve Sénégal au Sénégal avec les stations de pompage). Elle a été conduite par Mamadou Diarra entre mars et août 2008. La deuxième, commanditée par Oxfam International et Intermon Oxfam, porte sur l’impact de la hausse des prix mondiaux sur les filières maïs, riz et niébé du Burkina Faso. Elle a été conduite par Salifou Konaté en août 2008.