Le financement du conseil agricole est globalement insuffisant, non durable et non vertueux. Or, ces trois conditions doivent être satisfaites afin d’assurer la pérennité du service. Des mécanismes de financement dits innovants ont été élaborés, dont certains pilotés par la demande, s’appuient sur la contribution des producteurs et des filières.
Le conseil coûte cher. Il faut financer les dispositifs de terrain, les salaires, les moyens logistiques, les investissements mais aussi les fonctions support aux niveaux national et régional (recherche appliquée, formation des conseillers, matériel pédagogique, instances de gouvernance, réseaux de partage de connaissances, suivi-évaluation, etc.). Dans un contexte de rationalisation des dépenses publiques, le financement des services de conseil agricole est donc un enjeu majeur, d’autant que sa nature et son contenu, et donc l’adéquation du conseil aux besoins des agriculteurs, dépendent fortement des modalités de son financement.
Un conseil gratuit dominant mais inefficace. En Afrique subsaharienne, le modèle d’affaire dominant pour le conseil est celui du service gratuit financé par l’État et des bailleurs de fonds internationaux. En dehors du Maroc et du Cameroun, ce modèle est plutôt exsangue et inefficace par manque de moyens mais aussi par un trop faible sentiment de redevabilité des conseillers vis-à-vis des producteurs, ce qui conduit à une qualité de conseil peu satisfaisante.
De rares services de conseil payants. Quelques organisations paysannes (OP) ou centres de services (CGER au Sénégal, Fédération Faranfasiso au Mali, centre de prestation de services de Tillabéri au Niger) ont développé des services de conseil spécifiques et ciblés, avec des contributions financières significatives des producteurs ou des OP de base pouvant aller jusqu’à 70% du coût du service, le reste étant subventionné. Dans ces cas, redevabilité et qualité du service sont des valeurs intégrées par les conseillers et les producteurs. Mais ces cas sont encore rares, peu de structures privées ou associatives de conseil ont développé des modèles économiques durables ou des outils de gestion fiables, de sorte que le versement des contributions financières, même modestes, est souvent difficile. D’autres OP, souvent appuyées par des projets, mobilisent des paysans-animateurs bénévoles ou simplement indemnisés par l’OP ce qui est une façon de faire porter le coût du conseil aux producteurs.
Les dispositifs de conseil privé fourni par des opérateurs aux fonctions plus larges (fournisseurs d’intrants (p. 19-20), OP dans le cadre de filières structurées, bureaux d’études, compagnie de téléphonie mobile, etc.) ont contourné ce problème en intégrant le coût du conseil dans le prix de vente du produit agricole ou dans un autre service comme la vente d’intrants, les actes vétérinaires, le montage de dossiers de demande de financement ou dans les abonnements aux services de téléphonie mobile souscrits par les agriculteurs (SMS, prévision météorologique, etc.). Cependant, seuls les producteurs et productrices déjà suffisamment intégrées aux filières ont accès à ces services. De plus, le conseil est orienté davantage par les objectifs spécifiques de ces opérateurs et moins par les besoins du producteur ou par des questions d’intérêt général comme l’environnement. Par ailleurs, ce modèle d’affaire n’est pas toujours viable : par exemple, celui des compagnies de téléphonie mobile n’est pas rentable et dépend aussi fortement des subventions (p. 8-9).
Un conseil financé par les filières. Des mécanismes institutionnalisés de financement par la filière existent. La Compagnie Malienne pour le Développement du Textile (CMDT), publique à 99,5%, fournit le conseil aux producteurs de coton. Quand il est porté par la profession agricole (OP et centres de gestion), ce conseil est financé selon un mécanisme de prélèvement sur chaque tonne de coton commercialisée. En Côte d’Ivoire, le conseil pour la production certifiée « cacao durable » repose sur la contractualisation entre acteurs exclusivement privés.
Des fonds mixtes État-bailleurs-filières. À ce jour, des expériences de financement innovantes correspondent à la mise en place de fonds alimentés par les filières, l’État et les bailleurs. Ils incitent en général les organisations de producteurs à définir leurs besoins en conseil, à identifier un prestataire, à contrôler et à évaluer les services rendus par les dispositifs de conseil. L’exemple le plus connu est celui du FIRCA en Côte d’Ivoire avec une contribution réelle des filières et une cogestion du fonds. Toutefois, l’hégémonie des filières exportatrices les plus contributrices et une certaine déresponsabilisation de l’État, même pour le financement des fonctions support (formation, recherche, etc.), est à noter.
Le défi actuel est l’alimentation régulière de ces fonds, notamment par des prélèvements parafiscaux sur les marchés, à l’export, ou lors du transport. Ensuite, leur viabilité suppose une gestion transparente, rigoureuse, équitable et inclusive basée sur une véritable cogestion impliquant non seulement les filières mais aussi l’État et la profession agricole.
Des OP au coeur des dispositifs de conseil au Sénégal. En matière d’acteurs agricoles et ruraux, le Sénégal est un cas à part. La création des deux organisations paysannes principales du pays, la Fédération des ONG du Sénégal (FONGS) en 1976 et celle du Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR) en 1993, ont révélé le renforcement d’un mouvement paysan autonome, se positionnant comme interlocuteurs et partenaires de l’État et des bailleurs de fonds. Au Sénégal, le passage de la vulgarisation au conseil agricole s’est inscrit dans cette dynamique et résulte d’un combat identitaire s’inscrivant en faux par rapport aux démarches d’encadrement.
La Lettre de politique du développement institutionnel du secteur agricole (LDPI) de 1998 est basée sur le principe selon lequel « le développement de services de conseil agricole et rural répond aux priorités des producteurs et devant lesquels ils sont comptables ; les décisions relatives aux programmes de conseil agricole et rural doivent être prises par les organisations de producteurs auxquelles incomberaient une part substantielle du coût des services ».
L’approche « par la demande » de l’appui conseil est donc censée replacer le producteur au centre des préoccupations des différents acteurs de développement. Cela s’est matérialisé par la création en 2000 d’une Agence Nationale du Conseil Agricole et Rural (ANCAR) gérée conjointement par le gouvernement (51% du capital), les OP (28%), le secteur privé (14%) et les collectivités locales (7%). Cette structure du capital devait évoluer vers une part majoritaire des OP pour plus de poids dans la prise de décision. A ce jour, l’État avec 42% des actions reste majoritaire et nomme le Directeur Général. L’agence contribue au financement du conseil, de même que les OP qui sollicitent le service. Celui-ci est basé sur un diagnostic partagé entre l’ANCAR, l’OP, et la recherche qui permet d’aboutir à un programme de conseil ciblé dont le financement fait l’objet d’un contrat entre l’OP et l’agence. C’est dans ce contrat qu’est fixé le montant de la contribution financière de l’OP.
Le bilan de l’ANCAR est malgré tout mitigé : selon une enquête, l’objectif d’au moins un agent par communauté rurale fixé au départ est loin d’être atteint ou a même régressé, et une grande majorité des OP se déclarent non satisfaites des prestations de l’ANCAR. De plus, les OP comptent quatre représentants au Conseil d’administration mais ne sont pas en mesure d’influencer significativement la gestion de l’Agence. C’est pourquoi cette structure de l’actionnariat devrait évoluer vers une majorité absolue des OP pour garantir son efficacité. L’agence reste également dépendante du budget de l’État et connaît des contraintes financières qui l’empêchent d’exécuter toutes les activités jugées pertinentes par les OP et le ministère de tutelle.
Pour un financement pérenne du conseil : le rôle pivot des OP. Un financement pérenne du conseil passe sans doute par des mécanismes de financement mixte associant les différents acteurs du développement agricole. Les mécanismes régis par la demande ont par exemple favorisé l’émergence de services privés de conseil. Le secteur privé agro-industriel pourrait alors davantage être mis à contribution en contrepartie d’avantages fiscaux.
L’approche par la demande montre aussi l’importance de mettre en place un système de conseil de proximité, redevable. Ce sentiment de redevabilité découle pour beaucoup de la contribution financière des producteurs. Toutefois, le risque serait de laisser au bord de la route les petits producteurs ne pouvant apporter qu’une contribution très modeste. Ce risque interroge alors le rôle de l’État dans le financement des dispositifs de conseil de terrain mais aussi des fonctions de coordination, de contrôle et autres fonctions support nécessaires à un système de conseil diversifié et de qualité.
Mais pour que le conseil aille dans le sens des producteurs et réponde à leurs besoins, la participation des OP à son organisation et à son financement est un défi de taille à relever.
Cheikh Oumar Ba est sociologue et directeur exécutif de l’IPAR.
Ninon Avezou (ninon.avezou@inter-reseaux.org) et Mélanie Moussours sont membres de l’équipe technique d’Inter-réseaux.
Cet article a bénéficié de l’expertise de nombreux contributeurs : Valérie Danto, François Doligez, Patrick Dugué, Guy Faure, Abdourahmane Faye et Claude Torre. Nous les en remercions.
Cet article se fonde essentiellement sur les ressources suivantes:
BA, C.O., Faye, A., Diagne, D. Les mécanismes financiers relatifs aux services de conseil agricole pilotés par la demande – De la vulgarisation à l’appuiconseil au Sénégal. Rome, FAO. pp. 60, 2018.
AFD, Note technique n°55. Relancer le conseil et la vulgarisation agricoles en Afrique subsaharienne : pour de nouvelles politiques en cohérence avec les réalités de terrain, juillet 2019.