The content bellow is available only in French.

publié dans Ressources le 26 octobre 2010

Entretien avec Gérard Andriamandimby, Directeur du Réseau Syndicat des organisations agricoles (Soa) à Madagascar

Gérard Andriamandimby/Nathalie Boquien/Voninandro Harrivel-Pelon

Leaders paysan.ne.sOrganisations de producteurs et de productricesMadagascar

Entretiens téléphoniques réalisés par Voninandro Harrivel-Pelon et Nathalie Boquien les 17 février et 15 juin 2010.

Grain de sel (GDS) : Pouvez-vous vous présenter et présenter votre parcours ?
Gérard Andriamandimby (GA) :
J’ai une formation universitaire en histoire et en sciences sociale du développement. J’ai beaucoup apprécié dans cette dernière formation l’intégration de la dimension humaine dans le développement qui est, à mon avis, essentielle dans le contexte économique et social de notre pays. En parallèle, j’ai également suivi une formation en journalisme en 2004. J’ai commencé ma carrière professionnelle en étant à la fois journaliste dans un magasine économique et enseignant vacataire à l’Université. En 2006, j’ai été sélectionné pour suivre un programme de formation des jeunes leaders, le « Youth Leadership Training Program », dispensée par la Fondation Friedricht Edbert. Cette formation de jeunes leaders permet avant tout de construire sa personnalité, de réfléchir sur son identité, et sur l’influence qu’on peut avoir dans le domaine où on travaille. Il ne s’agit en effet pas seulement d’avoir une identité propre, et de pourvoir dire qu’on existe mais il s’agit aussi d’agir. C’est suite à ces multiples formations que j’ai réalisé que je souhaitais m’investir dans l’action même et ne pas rester seulement au niveau de la réflexion. J’ai alors décidé de m’investir dans le domaine du développement rural plutôt que dans le domaine universitaire. C’est ce qui m’a conduit au niveau du Réseau Soa. J’ai en effet un ancien collègue de la Fac qui travaille à Manjakandriana et qui m’a proposé un jour de passer un entretien. Je n’étais pas vraiment prêt mais au cours de l’entretien, j’ai été vite séduit par les organisations paysannes (OP), leur philosophie, leurs actions, les attentes des membres… Ce qui m’a convaincu c’est qu’il y avait une volonté forte de laisser l’OP évoluer par elle même. il y a avait dès le départ, de la part des élus une philosophie de laisser l’OP grandir seule. Cette détermination des élus est nécessaire pour le développement d’une organisation qui est vouée sinon, à disparaître dès la fin de l’appui du partenaire. C’est donc un peu grâce au hasard que je me suis retrouvé au réseau Soa. Cela fait 4 ans actuellement que j’y suis et j’y ai découvert beaucoup de choses que je n’avais pas apprises à l’université, aussi bien avec les partenaires qu’avec les autres collègues travaillant aussi dans les organisations paysannes faîtières.

GDS : Quel est votre rôle en tant que directeur du Réseau Soa ?
GA :
Je suis responsable de la gestion du budget, des relations avec les partenaires techniques et financiers et de la mise en oeuvre du plan d’action, en particulier tout ce qui concerne le volet syndical. Mais ma principale responsabilité est de fournir le maximum d’informations aux élus pour qu’ils soient en mesure de prendre position, c’est-à-dire leur expliquer les enjeux, les scénarios, leur apporter des informations sur un thème précis et, après leurs choix ou prises de position, discuter avec eux de ce que ce choix va entraîner.
Ces responsabilités sont parfois difficiles à gérer. Le contexte évolue très vite et souvent on est devant plusieurs thèmes à la fois, comme la mise en œuvre de la politique de services (Centres de services agricoles – CSA – et Fonds régionaux de développement agricole – FRDA), le foncier, les demandes syndicales venant de la base. Je suis en plus le seul technicien sur le volet syndical dans le réseau. La difficulté n’est pas seulement en terme de charge de travail mais aussi en terme plus technique, concernant l’adaptation des documents académiques trop administratifs pour qu’ils soient à la portée des paysans. Cela consiste à concevoir des outils adaptés comme des fiches simples.
On est aussi très souvent sollicité pour les urgences, les petites demandes de services, comme des demandes d’informations à la base, des demandes de petites notes, de rendez vous, et on est très souvent obligé de travailler le samedi voire le dimanche. D’un autre côté, je pense aussi qu’un réseau ne doit justement pas être prisonnier de son timing et doit savoir être flexible par rapport aux demandes des membres.

GDS : Comment les salariés participent-ils aux prises de décisions du Réseau Soa ?
GA :
Le Réseau Soa dispose d’un projet professionnel, ce qui est une force pour les salariés qui connaissent ainsi ses grands axes stratégiques. Cela les aide dans la réflexion et la prise de positions. Par exemple, sur l’accès des paysans aux services du CSA et FRDA, le fait d’avoir une vision claire de défense de l’agriculture familiale nous permet de nous positionner en temps que représentants des petits et moyens producteurs et cela nous aide à prendre position sur les types de service à demander et également sur les modalités d’élections à mettre en place pour que les paysans puissent effectivement co-piloter ces outils. Mais être technicien, c’est aussi avant tout connaître quelles décisions on peut prendre seul, et pour quelles décisions il est nécessaire de se référer aux élus.

GDS : Vous n’avez donc pas à vous référer aux élus pour chaque prise de décision ?
GA :
Vous savez, dans un réseau national comme le nôtre, les réunions de concertation sont difficiles à organiser ! À Madagascar, c’est compliqué de communiquer car il faut parfois faire 3 jours de route entre 2 villes. Au niveau national, il n’y a que 4 réunions de CA et 6 réunions de bureau par an. Si on attendait ces réunions pour échanger et décider, la communication serait très réduite. Ce que l’on fait c’est de prévenir le président par téléphone. Mais souvent la communication téléphonique est limitée par les moyens, le niveau de connexion. Les élus ayant des calendriers souvent surchargés, il y a donc des décisions que le directeur peut prendre seul. Il s’agit surtout de celles qui sont dans la suite logique des réflexions menées auparavant, ou tout ce qui concerne les aspects « pratiques ». Par contre, quand il s’agit d’une décision importante qui concerne la vie du réseau, comme une prise de position sur le foncier, il faut se concerter avec l’ensemble des élus. D’une façon plus générale, les décisions politiques reviennent aux élus et les décisions techniques aux techniciens. Nous échangeons aussi beaucoup par téléphone avec les élus. Je pense d’ailleurs qu’il faudrait doter les élus de davantage d’outils de communication. Au niveau du réseau Soa, on a doublé le budget de communication téléphonique des élus car c’est la seule manière pour nous d’être en communication avec eux. Cela a un lien avec la délégation de responsabilités. Car souvent, on est handicapé par la distance, et même s’il y a une volonté de la part des leaders de déléguer, c’est compliqué de faire venir quelqu’un pour une seule réunion alors qu’il a plusieurs jours de déplacement. En terme de coût et de temps, ce n’est pas rentable.

GDS : Vous organisez tout de même des réunions particulières lorsqu’il y a une position à prendre par exemple sur un sujet important ?
GA :
Sur quelques thématiques, comme sur la mise en œuvre des programmes CSA / FRDA, nous avons mis en place des espaces des dialogues – les Regards paysans – dans lesquels on a associé non seulement des leaders du réseau Soa mais aussi d’autres leaders au niveau régional. Cette rencontre nous permet de faire le bilan des services déjà en cours (CSA et FRDA) et d’élaborer des propositions. Mais pour que les propositions soient plus réalistes, le Regard paysan est un regard croisé entre les organismes d’appui, les bailleurs, l’État et les paysans. Par exemple, dans la mise en place des CSA c’est grâce à cet espace de dialogue que des procédures allégées d’élection des collèges de paysans dans les CSA ont été mis en place, ce qui leur a permis aussi d’être plus représentatifs.

GDS : Est-ce difficile pour vous de savoir quelles décisions vous pouvez prendre seuls sans les élus ?
GA :
Je pense que c’est difficile de trancher, cela se fait surtout à partir de l’expérience. Quand il s’agit d’une décision importante qui concerne la vie du réseau, par exemple les questions de relations avec les partenaires, ou la prise de position sur le foncier, il faut se concerter avec les élus, non seulement avec le président mais aussi avec l’OP qui est concerné par le thème. Les décisions que peut prendre seul le Directeur, sont celles qui sont dans la suite logique des réflexions déjà menées auparavant. Concernant aussi les relations avec l’administration, on a souvent peu de temps pour se concerter. Même par téléphone, cela demande du temps d’appeler tout le monde. Dans ce cas, on se réfère uniquement à la décision du Président. Les décisions qui peuvent revenir au directeur sont des décisions pratiques qui sont dans la gestion des ressources humaines, dans la recherche d’opportunités de financements. Pour toutes ces questions, on ne va pas attendre que le bureau ou le conseil d’administration (CA) se réunisse pour décider.

GDS : Pensez-vous influencer la prise de décision des élus ?
GA :
Je pense que le directeur, quel que soit le type de support qu’il utilise, influence directement ou indirectement la décision des élus de par sa position stratégique au coeur de l’information. L’idéal est que le directeur partage la vision de son organisation et ses valeurs. Car à mon avis, plus de 40% des décisions sont influencées par le directeur. Les élus ont parfois des difficultés à débattre sur certaines propositions, parce qu’ils ne suivent pas les dossiers d’aussi près que le directeur, et que les informations leurs arrivent en cascade. Ils ne vivent pas au cœur des informations, sauf sur les sujets qui leur tiennent à cœur et sur lesquels ils travaillent de manière journalière. Par exemple, pour le miel, je pense que pour se positionner par rapport à l’État, le mieux est de faire appel à des apiculteurs professionnels plutôt qu’au conseil d’administration, même si c’est lui qui est la seule entité en mesure de prendre des décisions. Le point de vue du directeur pèse donc beaucoup. Il n’y a donc pas véritablement de frontière entre le rôle d’informateur et celui de décideur. C’est à partir des informations fournies que le décideur peut trancher. C’est pour cela qu’il est indispensable que le directeur d’une OP partage la vision et les valeurs de son organisation !

GDS : Concrètement, comment faites-vous pour informer vos élus ?
GA :
En étant à la capitale, j’ai accès à toutes les informations. À partir de la lecture de documents, je transmets les informations aux élus sous forme d’un schéma ou d’un graphique, en leur expliquant bien la place des OP et celle des autres acteurs. J’essaie d’adapter les documents trop administratifs sous forme de fiches ou de résumés pour qu’ils soient à la portée des paysans. Pour avoir accès aux mails, les élus doivent également faire appel à moi ou à la secrétaire. En tant que directeur, j’ai accès sur la plupart des informations et des relations, ce sont les élus qui sont légitimes pour les décisions.

GDS : Ne pensez-vous pas qu’il peut être risqué pour une OP de centraliser les informations au niveau des salariés ?
GA :
Il y a certainement un effort à faire à ce niveau là, car si le directeur a de mauvaises intentions, il sera difficile pour les élus de le contourner. Pour que l’OP soit plus ouverte aux évolutions et aux nouvelles idées, il faudrait que les élus, surtout au niveau national, maîtrisent les nouvelles technologies comme internet. Le décalage actuel laisse trop de place aux techniciens, même s’ils ne prennent pas la décision à la place des élus.

GDS : Est-ce que cela vous est déjà arrivé d’être en désaccord avec les décisions prises par les élus ?
GA :
Oui, cela m’est arrivé plusieurs fois. J’ai été un peu frustré, mais je me suis vite rendu compte qu’élus et techniciens ont le droit de ne pas être d’accord. Et c’est grâce à cela, qu’au fil du temps, on devient plus ouvert aux critiques et qu’on est en mesure d’écouter ses propres défauts. Quand je ne suis pas d’accord, j’ai du mal à le cacher. Les élus savent qu’il faut revenir sur certains points. Le directeur n’a pas qu’un rôle d’exécutant, il prend part aux décisions et partage les risques avec son organisation Si de mauvaises propositions sont formulées, cela veut dire que le directeur n’est pas bon. C’est à mon avis une échappatoire que de dire que le directeur n’a aucune responsabilité si de mauvaises propositions sont formulées, sous prétexte que ce sont les élus qui décident !

GDS : De façon plus générale, comment se passent les relations « élus/salariés » ?
GA :
Être directeur d’une OP ou directeur d’une entreprise, c’est très différent. Les dimensions humaine et relationnelle prennent beaucoup d’importance par rapport aux dimensions technique et économique. Le mouvement paysan malgache est jeune, et très peu d’élus ont suivi des formations universitaires et intellectuelles de haut niveau. Le poids de la tradition et de la convivialité prédomine donc dans la gestion de l’OP et de l’équipe technique. Le directeur doit aussi prendre en compte cela. Par exemple, à Madagascar, à cause de la tradition, il n’y a pas de « conflits ouverts » entre leaders. On respecte l’aîné et on ne peut pas être en contradiction avec lui.

GDS : Est ce que vous recevez des critiques des leaders ? Leur formulez vous des critiques ?
GA :
Très peu de leader osent critiquer leur technicien, même si ce n’est pas de manière méchante mais de manière constructive. Et vis versa, très peu de techniciens osent fournir des conseils qui contredisent les élus. Sauf peut être entre certaines personnes, qui sont plus à l’aise au fil du temps. C’est quand cela se passe dans les 2 sens que cela peut apporter véritablement des fruits. Par exemple, j’ai conseille à mon Président de faire un entretien annuel de tous les techniciens. L’objectif n’est pas de les juger mais c’est de les laisser exprimer les résultats qu’ils ont obtenus, leurs difficultés et leurs motivations. Il s’agit d’entretenir une relation professionnelle entre Président et techniciens et pourquoi pas modifier les fiches de postes en fonction de l’évolution des missions et activités de l’OP. A mon avis, il ne faut pas laisser les techniciens revendiquer la légitimité d’ancienneté parce que cela empêche la culture du résultat, cela empêche l’autocritique. Depuis l’année dernière, j’ai donc conseillé aux élus de faire cet entretien avec les techniciens du réseau Soa y compris moi même. Il y a aussi des choses que les techniciens n’osent pas dire devant le CA ou le bureau mais qu’ils osent exprimer en tête à tête avec le Président.

GDS : Pouvez vous nous partager une critique qu’un leader vous a déjà faite ?
GA :
Un jour devant un missionnaire de la FNSEA , le leader m’a demandé d’exprimer en français quels résultats concrets je pouvais valoriser par rapport à ma mission. Au départ, j’ai reçu cela comme une critique méchante, mais au fil du temps je me suis dit que c’était ainsi que je pouvais progresser. J’aurais souhaité que cette critique soit beaucoup plus spécifique et que l’élu, par exemple précise si les résultats n’étaient pas assez concrets dans ma manière de formuler les outils, dans ma méthode d’animation des réunions, dans mes comptes rendus, ou dans ma manière de gérer le personnel. Mais je pense que les élus ont du mal à formuler des critiques plus spécifiques et plus factuelles.

GDS : Et inversement, arrivez vous à formuler des critiques spécifiques aux leaders ?
GA :
Souvent je leur dit de ne pas réagir dans le vif, pendant que l’action se passe mais je leur conseille de prendre un peu de recul afin d’avoir le temps de discuter avec les autres leaders. Par exemple, j’ai conseillé à mon Président de ne pas s’impliquer directement dans la gestion budgétaire d’une réunion. Lorsqu’il y a des petits mécontentements sur le nombre de jour de réunion, j’ai conseillé au président de laisser la place aux techniciens et de se fier uniquement aux procédures. Car les petites questions comme cela ne doivent pas revenir au président en temps que représentant d’une organisation, ce n’est pas à lui de négocier ces détails auprès des partenaires. Souvent, les élus demandent au président de tout faire, de prendre des décisions, d’être à l’écoute des petites demandes, d’être à l’écoute des problèmes de l’OP de base, de les appuyer sur leurs demandes aux partenaires techniques et financiers, bref de tout faire ! Même de régler les conflits entre certains élus et techniciens ! Il y a trop de choses qui pèsent sur les épaules du président !

GDS : Comment palier à cela ?
GA :
On a demandé aux membres du conseil d’administration et du bureau de départager les tâches entre élus. Ce n’est pas au président de tout faire et il doit fonder autour de lui une équipe pour réussir. Le président actuel a beaucoup de volonté de déléguer, mais il est encore en train de s’adapter à son nouveau train de vie entre Manakara qui est à 600 Km de Tana et les réunions à Tana. Normalement on a compté 96 jours / an en moyenne de présence à Tana, ce qui laisse entendre 8 jours par mois, y compris les rendez-vous imprévus. Il y a aussi des OP et des leaders proches de Tana, ce qui permet au président de se décharger de certains thèmes comme le foncier, qui est confié à Manjakandriana. Il a également confié le dossier Chambre d’agriculture à son vice président. La difficulté, c’est qu’il ne sait pas vraiment comment déléguer. Souvent, il délègue alors que c’est lui qui aurait dû venir.

GDS : Que pensez vous de manière générale des leaders paysans à Madagascar ?
GA :
Je pense qu’ils ont beaucoup de volonté, qu’il y a une forte solidarité entre eux, et qu’ils ont la chance d’avoir des partenaires techniques et financiers qui les « boostent » et qui sont prêts à les soutenir. Ils ont aussi une reconnaissance et une liberté d’action, mais ils ont en même temps beaucoup de dépendance vis à vis des partenaires financiers et le contexte économique et social ne favorise pas leur épanouissement. Deux tiers du temps d’un leader est consacré à l’organisation de son association et seulement 1/3 pour son exploitation. Je pense que c’est lourd par rapport à son métier de paysan. Nous avons compté qu’en une année, pour un leader national, il y a plus de 50 réunions ! Les leaders malgaches ont encore des difficultés à s’imposer. Et ils ont peu de moyens à leur disposition. Souvent, les OP n’ont pas de véhicules, et elles dépendent des subventions des partenaires financiers. Mais ce qui manque aussi, je tiens à le dire, ce sont les femmes leaders. Elles sont rares, alors que selon moi elles ont plus d’énergie et beaucoup de capacités. Par exemple, Je pense qu’une femme leader a aussi la capacité de mener des grandes actions au même titre que les hommes, voire plus. Le fait d’être une femme c’est aussi une force dans le milieu car la femme a une grande place dans l’exploitation, elle assure la gestion de l’exploitation, et elle réalise aussi les taches au champ. Je trouve illogique que les femmes n’aient pas beaucoup de place dans le Réseau Soa. C’est vraiment dommage, car là où il y a des femmes, il y a plus de dynamisme. À l’Apdip, même si les partenaires ont aidé, c’est surtout grâce au travail mené par les femmes, que la construction de leur siège a été menée à bout et que leurs fonds propres ont augmenté de plus de 10%.

GDS : Quelles spécificités ont les leaders malgaches par rapport aux leaders africains ?
GA :
Je pense que les leaders malgaches ont un handicap. Ils disposent de très peu d’espaces de concertation. Par exemple, au niveau du Réseau Soa, on a le Regard paysan, et les réunions zone pour permettre aux leaders de dialoguer et de formuler des propositions. Mais globalement, il y a très peu d’opportunités offertes aux élus pour s’exprimer. Très peu de leaders sont associés aux dialogues politiques à Madagascar. Par contre, il y a de très bons leaders malgaches. Malgré le contexte qui est handicapé par la formation et peu favorable à l’épanouissement des leaders, il y a des leaders qui sont en mesure de s’exprimer même sur le plan international. Par contre, ces leaders se trouvent rarement à la tête des OP. Ils sont associés à l’équipe du leader mais ils n’en sont pas à la tête, ils travaillent souvent dans l’ombre. C’est bien sûr une contrainte dans la mesure où ce n’est pas forcément la bonne personne qui part défendre la cause au niveau des instances nationales ou internationales.

GDS : Pourquoi ces personnes-là ne sont-elles pas à la tête des OP si elles sont plus pertinentes ?
GA :
C’est lié au parcours du leader. À Madagascar, traditionnellement, il n’y a pas de « conflits ouverts » entre leaders. Même si on sait que telle personne est mieux placée, il n’y aura pas de « course ». Ce n’est pas comparable à une élection politique où il y a une propagande. Dans les OP, on respecte l’aîné, la personne. La culture de la concurrence n’est pas dans l’esprit du leader malgache, surtout au niveau des OP. On compare l’élu à un sage donc c’est difficile pour une autre personne d’aller à contresens de ce qu’il dit. Cela influe aussi sur la gestion de la relève. C’est encore compliqué de voir un jeune leader parler à la place de ses parents, surtout dans le milieu des OP. Il y a des progrès mais qui à mon avis sont encore timides, à cause aussi du manque d’appui approprié. Il faut voir la relève dans la durée et non pas seulement dans la délégation des tâches. Je pense qu’il y a un manque d’appui durable et progressif. Au niveau du Réseau Soa, nous avons condamné les formations ponctuelles de leaders qui alimentent la dépendance. Si la formation n’est pas soutenue dans la durée, on risque d’apporter très peu de choses. Il est souhaitable de multiplier les formations comme celles que fait Formagri qui permet à la fois de soutenir les leaders déjà en place et de former les jeunes. Il faut faire comprendre aux leaders actuels que la relève ne signifient pas les jeter dehors. Mais c’est une préparation de longue haleine qui doit se faire dans la durée. C’est aussi l’avenir du réseau, si on a pas de relève, que fera t on dans 5 ou 10 ans ?

GDS : Au niveau de Soa, avez vous mené une réflexion/des actions pour la relève des leaders ?
GA :
On a mené une étude l’année dernière pour mettre en place un plan de formation des leaders et identifier différentes catégories de leaders afin de répondre aux besoins spécifiques de chacun des types. On est en train de finaliser cette typologie. L’objectif est d’apporter une réponse cohérente et durable à la question de la formation des leaders, et non pas de les appuyer de manière ponctuelle. On souhaite aussi que l’étude réponde au renforcement du binôme leader/technicien. Car souvent, on forme les leaders d’un côté et les techniciens de l’autre, on peut donc avoir un leader trop fort et un technicien pas bien formé ou le contraire. S’ils suivent une formation ensemble, ils sauront mieux travailler ensemble. Il est prévu de mettre en application ce plan de formation et de le partager aux autres organisations faîtières car nous pensons que ce plan de formation a été conçu à partir de problèmes communs aux organisations. Comme je vous le disais, l’étude est en cours de finalisation, mais je peux déjà partager quelques pistes de réflexion. La typologie fait ressortir deux principaux types de leaders. D’un côté, il y a les leaders nationaux, c’est à dire des leaders qui ont déjà une vision nationale, qui sont déjà en mesure de discuter de stratégies, qui sont capables de négocier avec l’administration, qui ont beaucoup plus d’aisance à s’exprimer dans une réunion au niveau national. On a en effet identifié au cours d’un atelier à Antsirabe, une nette différence entre les leaders nationaux et régionaux. Une différence de capacité à argumenter, à s’exprimer, à défendre une cause au niveau national. Les leaders nationaux disposent de beaucoup plus d’informations que les leaders régionaux, ils sont plus informés sur les politiques nationales agricoles, ils sont associés au dialogue politique avec les ministères et à force d’assister à ces réunions, ils ont développé des capacités à prendre la parole et à argumenter. De l’autre coté les leaders régionaux, sont davantage dans les actions économiques, types coopératives, ventes groupées, ou des actions plus techniques comme la vulgarisation des techniques modernes pour la production agricole. Ils sont plus dans l’opérationnel. Face aux leaders nationaux, ils sont souvent frustrés pour s’exprimer, ils n’osent pas contredire ou court-circuiter les idées des leaders nationaux. Ces différents types débouchent ensuite sur des plans de formations spécifiques. L’étude montre que les besoins de formation des leaders nationaux concernent le renforcement de capacité au niveau du lobbying et de leur rôle en temps que porte parole des paysans. Certains leaders ont quand même encore du mal à avoir une vision nationale. Ils ont aussi du mal à se mettre à la place des petits paysans dans le cadre de l’élaboration d’une politique agricole car eux même ne sont pas forcément des petits paysans mais à force de confier leur exploitation à des salariés agricoles, ils se déconnectent de la réalité des petits paysans.

GDS : Selon vous, il est donc possible de « devenir » leader ?
GA :
Je pense qu’il y a différentes manières de devenir leader. Soit on né leader, soit on le devient. Mais si on le devient, c’est surtout grâce à l’expérience et au vécu de la personne et non pas grâce aux formations. Quand on porte une vision et des idées qui sont en accord avec ce qu’on a vécu, on a plus de motivation et d’énergie pour les défendre. La formation apporte juste un plus sur le plan technique. J’ai vu des leaders évoluer au sein du réseau Soa. J’ai connue une femme qui était secrétaire de son OP en 2007, elle n’avait même pas la capacité de s’exprimer sur la politique agricole, sur la position du Réseau Soa etc. Elle était aussi trésorière au niveau du Réseau Soa et au fil du temps, grâce aussi aux appuis des organismes, elle a pris beaucoup plus d’importance. C’est bien sûr grâce à des formations mais surtout grâce aux échanges et à sa participation aux réunions.

GDS : Les élus des OP sont avant tout des paysans, avec pas forcément beaucoup d’expérience en gestion de ressources humaines. Dès lors, comment les salariés des OP sont-ils gérés par leurs élus, pouvez-vous nous partager votre expérience ?
GA :
Pour le cas du Réseau Soa, les techniciens sont gérés par des élus, et dans la majorité des cas ces techniciens ont été gérés auparavant par des Jac (Jeunes agriculteurs en coopération – volontaires salariés de l’association Afdi, partenaire de ces OP), et même si la transmission ou la délégation a été faite elle l’a souvent été de manière un peu trop rapide. Actuellement, la gestion des ressources humaines constitue une véritable problématique dans la plupart des OP du réseau. Les élus ne sont pas suffisamment préparés à cela, même s’ils ont reçu quelques formations, et ils rencontrent plusieurs problèmes. La première chose, c’est que la plupart des élus ne connaissent pas bien la fiche de poste des techniciens qui sont sous leur responsabilité : ils connaissent le nom du poste mais pas les attributions correspondantes, qui sont souvent écrites par les organismes d’appui externes. Les tâches attribuées aux techniciens ne sont pas très bien définies dans la tête des élus. Cela a pour conséquence que certains techniciens sont même appelés à exercer des petites taches qui ne sont pas dans leur fiche de poste. En second lieu il y a des problèmes liés à la législation sur le travail qui peuvent engendrer des conflits si les règles ne sont pas respectées – c’est ce qui s’est passé dans une des OP du réseau récemment où, suite à la fin d’un financement lié à un projet, l’OP a été contrainte d’annuler le contrat de plus de 20 salariés mais n’a pas respecté les procédures légales de licenciement – remise des certificats de travail, paiement à temps du solde de tout compte, préavis, etc. – car ils ne les connaissaient pas. Cela a provoqué des conflits. Certains salariés ont même été jusqu’à porter plainte, ils ont profité de la situation pour demander des récompenses très élevées, mais je trouve que c’est honteux. Cela ternit l’image de l’OP, et fait perdre beaucoup de temps et de ressources à l’OP, alors que le problème provient en partie de la non maîtrise de la législation. Au niveau du Réseau Soa, nous avons recruté un chargé d’appui administratif et financier pour conseiller les OP et les appuyer dans toutes les procédures administratives : recrutement, licenciement, inscription à la Cnaps, régularisation des salariés c’est-à-dire élaboration des contrats de travail, etc. Enfin, le fait que les élus ne soient pas tout le temps présents au bureau, mais sont plus souvent sur leur exploitation, complique la gestion des salariés. Ils viennent pour les réunions statutaires, les rendez-vous en ville, mais la plupart du temps ils sont absents et il leur est alors difficile de gérer leurs techniciens. Certains techniciens en abusent et abandonnent le bureau en l’absence des élus, ou ne font pas bien leur travail car il y a peu de contrôle extérieur.

GDS : Comment les élus gèrent-ils leurs techniciens en n’étant pas présents au bureau ?
GA :
Il n’y a pas véritablement d’outils spécifiques qui leur permettent de connaître quotidiennement ce que font leurs techniciens. Le suivi se traduit par des échanges téléphoniques et des réunions hebdomadaires ou mensuelles entre le technicien et son élu. Actuellement, la gestion des ressources humaines constitue une véritable problématique dans la plupart des OP du réseau. Les élus ne sont pas toujours préparés à cela. Même s’ils ont eu des formations, ce n’est pas avec une seule formation qu’ils peuvent maîtriser tous les enjeux, les lois, les textes, etc. Ils demandent de plus en plus d’appuis au Réseau Soa pour cela.

GDS : Ce problème peut-il être un frein au développement des OP ?
GA :
Oui, effectivement cela constitue un handicap et un frein pour le bon fonctionnement de l’OP. D’abord parce que là où il y a ce problème de gestion du personnel, les OP arrivent à mener leurs activités mais ne parviennent pas à atteindre leurs objectif. Et ensuite parce que les relations avec les partenaires environnants ne sont alors pas très bien gérées, et alors les opportunités d’élaboration de nouveaux projets, de collaborations techniques, etc., ne sont pas bien exploitées par l’OP. Il y a aussi des cas où les élus laissent trop de place aux techniciens, ce qui fait que ceux-ci se retrouvent en difficulté quand ils assurent la représentation de leur OP. Si trop d’activités sont laissées entre les mains des techniciens, sans qu’il y ait un bon suivi de l’élu, alors quand l’élu se retrouve à parler de cette activité en l’absence du technicien, il a du mal à s’exprimer ! En fait, c’est compliqué parce que, des fois, on confie aux techniciens toute la vie de l’OP, depuis l’animation jusqu’à la gestion financière, les relations avec les partenaires, le développement des services de commercialisation, les comptes-rendus, les réunions, ils doivent aussi représenter l’OP au nom de ses élus, etc.. Cela leur laisse trop de place. C’est pour cela qu’au niveau du Réseau Soa nous souhaitons mobiliser de plus en plus le binôme élu/technicien. Pour chaque activité, on mobilise à la fois un élu et un technicien, ce n’est pas forcément à chaque fois le même élu, car si on mobilise toujours la même personne, cela devient difficile pour lui de tout suivre mais aussi de déléguer des tâches.

GDS : Quelle est d’après vous la « juste » place de chacun ?
GA :
Pour moi, les décisions politiques reviennent aux élus, et les appuis techniques reviennent aux techniciens. Un technicien ne peut pas prendre une décision, quelle que soit l’importance de la décision, sans l’avis de son élu. À moins qu’il y ait une contrainte de temps, mais il faut dans ce cas que le technicien prenne le temps de téléphoner à son président. De toute façon une décision prise hâtivement ne peux être la bonne. Ce qui est important aussi, c’est que les techniciens doivent fournir tous les éléments techniques aux élus pour qu’ils puissent prendre une décision : leur expliquer les enjeux, les scénarios, leur apporter des informations sur un thème précis, etc. Et même après le choix des élus, ils doivent discuter avec eux de ce que leur choix va entraîner, des conséquences. C’est cela le rôle des techniciens. Mais les élus doivent aussi savoir demander l’avis de leurs techniciens. Car souvent ce sont les élus qui sont appelés à assister à des réunions lors desquelles ils ont à valider ou contester des propositions ou des projets émanant par exemple des ministères, et pour cela ils doivent avoir d’abord l’avis technique de leurs salariés et de leurs administrateurs.

GDS : Comment s’organise alors le travail des salariés des OP ?
GA :
Pour travailler dans une OP de niveau national, il faut être prêt psychologiquement à rentrer souvent tard, à voyager de nuit, à avoir des imprévus. Or ce sont ces rendez-vous imprévus qui apportent beaucoup par rapport au PTA (plan de travail annuel) qui est déjà fixé à l’avance. Pour gérer tout cela, il faut de l’expérience. Il faut aussi une très bonne connaissance de ses élus et de leurs attentes, pour pouvoir anticiper leurs demandes ! C’est après quelques années d’accompagnement des OP qu’on prend le rythme de travail, qu’on connaît ses élus et leur rythme. Par exemple, suite à un échange, même s’il n’y a pas eu de discussion on sait à l’avance ce qu’ils vont nous demander. Au niveau de nos OP régionales, c’est un peu différent car il n’y a souvent qu’un seul salarié. Certaines d’ailleurs n’en ont même pas un ! Et donc c’est plus compliqué car le technicien doit tout assumer seul, de la rédaction des rapports techniques et financiers, de l’animation de réunions à la gestion des partenariats, aux formations techniques, au suivi sur terrain, à l’accompagnement à la vie associative, etc. C’est compliqué car le technicien n’a pas forcément toutes les compétences pour assumer toutes ces tâches, et il ne le fait pas forcément bien. C’est lié à un problème d’organisation, car il doit faire tout de façon régulière, mais aussi à un manque de compétences et à la difficulté à mobiliser les élus. Selon moi, pour chaque mission ou thématique un responsable élu doit être mobilisé et suivre ce que fait le technicien. Il n’est pas normal qu’un technicien seul discute avec les partenaires de la définition des termes de référence d’une formation ! À mon avis ce qu’il manque, c’est un suivi rapproché des élus. Mais la mobilisation des élus a un coût (déplacement, temps et ressources). Les techniciens ont aussi du mal à organier leur plan de travail. Selon moi un technicien devrait pouvoir proposer à son élu régulièrement un tableau de bord avec ses activités pour le mois ou les semaines à venir.

GDS : Vous parliez d’un problème de compétences, est-ce lié à un défaut de recrutement ?
GA :
Non, il faut dire qu’à Madagascar il n’y a pas de formation spécialisée pour des animateurs de développement dans les OP. Il y en a peut être mais c’est très récent et encore à ses débuts, et donc la plupart des personnels techniques et des animateurs sont recrutés uniquement sur la base de leur expérience dans d’autres projets ou grâce à leurs diplômes, mais qui sont souvent très généralistes. Cela ne leur permet pas véritablement d’accompagner une OPR, d’accompagner la prise de décision, les positions syndicales, la mise en place de services économiques, le renforcement de capacités des élus, ils ne sont pas à même de prendre en main l’avenir de leur OP, d’en discuter avec les membres.

GDS : La gestion du personnel des OP est complexe. N’est-ce pas lié aussi aux différences de formation et de maîtrise des sujets qui existent entre techniciens et élus ?
GA :
Les élus disent souvent qu’il est compliqué de gérer une équipe technique qui a plus de diplômes qu’eux-mêmes. Mais, il y a aussi des expériences qui montrent que certaines OP arrivent très bien à se débrouiller dans la gestion des salariés. À mon avis cela dépend de la bonne maîtrise par les élus des activités de leur OP et de ses objectifs ; cela dépend aussi du niveau de connaissance des fiches de poste par les élus. Il faut enfin que les élus aient une vision des possibilités d’évolution de leur OP pour que la fiche de poste d’un technicien ne soit pas figée mais évolutive avec l’OP. Et avant tout, il faut que le rapport entre l’élu et le technicien soit professionnel.

GDS : Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
GA :
Je souhaite ajouter qu’il faut tenir compte du fait qu’à Madagascar, dans les OP les élus n’ont vraiment pris en main la gestion de leurs salariés que récemment, ce qui fait qu’il leur faut encore un appui technique et de temps pour apprendre et maîtriser tous les aspects, la législation, le droit du travail, définir les fiches de poste, accompagner les salariés.

Restez informé⸱e !

Abonnez-vous à nos publications et bulletins pour les recevoir directement dans votre boîte mail.

  • Ce champ n’est utilisé qu’à des fins de validation et devrait rester inchangé.

Autres articles qui pourraient vous intéresser