Les ONG et les organisations de producteurs sont aujourd’hui les acteurs les plus actifs dans le développement d’une approche agroécologique au Niger. Mais l’agroécologie comme approche systémique globale appliquée à l’agriculture à l’échelle des territoires ruraux reste encore peu connue des acteurs du développement.
Bertrand Mathieu est agronome, consultant indépendant basé au Niger.
Adam Mamadou est agronome et chercheur en économie de l’environnement à l’Institut national de la recherche agronomique du Niger (Inran).
Hamadou Ibrahim est responsable du programme « Souveraineté alimentaire » de Swissaid- Niger.L’étude sur laquelle se base cet article a été effectuée sur la base d’enquêtes auprès de 33 structures impliquées dans le développement agricole et rural au niveau national (ONG internationales et locales, organismes de recherche et formation, institutions publiques, fédérations de producteurs) et d’entretiens auprès des partenaires locaux de Swissaid (élus, services techniques, agriculteurs/ trices). L’agroécologie est ici considérée comme un ensemble de pratiques agricoles et d’élevage qui vise à renoncer progressivement aux intrants chimiques, en valorisant au mieux les ressources et potentialités du milieu naturel, et comme une discipline scientifique qui s’appuie sur l’écologie pour étudier, concevoir et gérer des agro-écosystèmes et des systèmes alimentaires.
L’agroécologie constitue un cadre d’intervention de plus en plus pratiqué en Afrique sub-saharienne pour renforcer les capacités des paysans les plus pauvres à se nourrir et à dégager des revenus supplémentaires, tout en préservant les ressources naturelles et en améliorant la résilience aux aléas climatiques. Pour mieux orienter ses actions dans ce domaine au Niger, l’ONG Swissaid a réalisé un état des lieux des initiatives existantes en agroécologie, ainsi qu’un diagnostic de ses interventions dans les régions de Dosso et Tillabéri.
Une conception de l’agroécologie assez générale
La majorité des personnes rencontrées associe l’agroécologie à des modes de production garantissant la préservation de l’environnement, sans usage d’intrants chimiques et assurant une meilleure gestion des ressources naturelles.
Les initiatives sont encore limitées, le plus souvent portées par des ONG locales et internationales en partenariat avec des organisations de producteurs. Les interventions sont plutôt présentées sous l’angle de l’adaptation au changement climatique (gestion de l’eau, adaptation calendrier cultural, espèces et variétés) et de la gestion des ressources naturelles (aménagements antiérosif, restauration des terres dégradées, agroforesterie…). Des actions sont aussi menées dans le domaine de la production et diffusion de semences locales et de la formation à la fabrication et l’utilisation de compost organique et de biopesticides (à base de neem, piment, savon, pétrole). Malgré ces nombreuses actions concrètes, le terme d’agroécologie reste peu mentionné dans les stratégies de ces organisations. Dans le domaine de l’élevage, du fait des pratiques plutôt extensives, il n’y a globalement pas de réel positionnement des organisations en faveur d’un mode d’élevage « biologique » ou « agroécologique », même si Vétérinaires sans frontière et la Fédération nationale des éleveurs du Niger (FNEN-Daddo) ont débuté des programmes pour la fabrication de blocs multinutritionnels à base de ressources locales.
Au niveau des pouvoirs publics, les méthodes proposées pour augmenter la productivité dans le cadre de référence de la politique agricole nationale (Initiative 3N « les Nigériens Nourrissent les Nigériens ») restent globalement inspirées par la Révolution verte (faciliter l’accès aux engrais et pesticides chimiques, semences améliorées…). Il y a peu d’activités de recherche et de formation en agroécologie, et aucun programme national ne l’intègre dans son plan d’action et son budget.
Des possibilités de développement de l’agroécologie
Les pouvoirs publics ont pris conscience de la nécessité d’encourager des modes de production plus respectueux de l’environnement, comme l’illustre un des principes directeur de l’initiative 3N visant à assurer « la durabilité de la base productive à travers la promotion des pratiques durables d’utilisation des ressources naturelles et l’adaptation aux changements climatiques ». La volonté politique de promouvoir la production et les marchés locaux et régionaux pour réduire la dépendance vis-à-vis des importations et de l’aide alimentaire pourrait aller dans le sens de systèmes plus agroécologiques, si cette volonté ne se traduit pas uniquement dans la promotion de modèles d’agriculture conventionnelle.
Ensuite, des résultats spectaculaires ont déjà été obtenus en agroforesterie au cours des dernières décennies avec la Régénération naturelle assistée (RNA), ayant permis la réhabilitation et création par les agriculteurs de parcs agroforestiers, notamment à Faidherbia albida (le gao, en langue vernaculaire), sur près de 5 millions d’ha.
Enfin, la consommation d’engrais chimiques reste faible (moins de 40 000 tonnes par an) et de nombreux producteurs se méfient de ces engrais et de leur impact sur la fertilité du sol à long terme. Les sacs mis à disposition dans les centres d’approvisionnement sont pourtant subventionnés à hauteur de 50 à 60 % selon les années (soit une subvention annuelle de l’État d’environ 10 milliards de francs CFA). Dans le domaine du maraichage, la fumure organique connaît un intérêt grandissant de la part des producteurs, car les produits se conservent plus longtemps que ceux cultivés avec des engrais chimiques.
Une multiplication d’expériences locales
Des expériences en agroécologie commencent à apparaitre, souvent avec l’appui de la coopération internationale et d’ONG. Le groupement Cernafa à Djoga (commune de Torodi), essentiellement composé de femmes et soutenu depuis 2006 par Swissaid-Niger s’est lancé avec succès depuis quatre ans dans le maraichage biologique. Les femmes sont parvenues progressivement à faire reconnaitre localement la qualité de leurs produits sur le marché de Torodi, sans recours pour le moment à aucune forme de certification. Leurs produits se conservent plus longtemps que les produits cultivés de manière conventionnelle, ce qui leur permet de réduire les pertes et d’écouler aisément leurs légumes, à des prix parfois 20 % plus élevés que les produits conventionnels. Avec seulement 0,5 ha au moment de sa création en 2002, le groupement exploite désormais cinq sites maraichers d’une superficie estimée à 28 ha, achetés sur fonds propres. Avec des pratiques, telles que la rotation des cultures, la fumure organique et l’utilisation de biopesticides, les membres arrivent à faire des économies sur les achats d’engrais et pesticides et à produire annuellement plus de 300 tonnes de légumes frais (oignon, chou, laitue).
Une femme du groupement de Cernafa (© Hamadou Ibrahim, Swissaid)
Dans les sites où Swissaid tente d’amorcer une transition vers le maraîchage biologique, les enquêtes montrent que les agriculteurs sont encore en phase de test des techniques culturales, sans être encore pleinement convaincus des résultats ni bien connaître toutes les possibilités des systèmes de culture biologiques. L’adoption de pratiques agroécologiques est souvent combinée à l’utilisation ponctuelle d’engrais minéral ou le recours encore fréquent à des pesticides chimiques souvent inappropriés et dans de mauvaises conditions d’application (surdosage, absence de protections…).
S’il existe un intérêt croissant chez les producteurs (maraichers en particulier) pour de telles pratiques, leur diffusion à large échelle se heurte à une série d’obstacles importants : manque et/ou difficultés d’accès aux matières premières pour la fabrication du compost (résidus organiques, eau), augmentation de la charge de travail pour l’usage des biopesticides dont l’efficacité est parfois limitée (souvent en raison de dosages approximatifs), rareté et coûts prohibitifs des biopesticides commerciaux. Ainsi, malgré de nombreuses formations, la protection phytosanitaire avec les biopesticides reste limitée. Cette technique doit s’accompagner d’autres moyens de prévention, ce qui exige un niveau de connaissances élevé sur les ravageurs et les plantes.
Il est essentiel de renforcer l’appui technique et les expérimentations avec les agriculteurs pour valoriser toute la gamme des stratégies possibles de gestion agroécologique des cultures maraîchères (associations de cultures, utilisation de compost, paillage, fertilisant biologique liquide, haie-vive, gestion collective et coordonnée des méthodes de lutte…) qui ne peuvent se résumer aux seuls emplois de fumure organique et biopesticides.
La nécessité d’une approche globale
Il est également important d’aller vers une approche systémique globale — appliquée à l’échelle des territoires et en cohérence avec les appuis à l’élevage et à la gestion des ressources pastorales. Avec plus de 30 millions de tête de bétail, l’élevage se heurte au Niger à l’augmentation des espaces cultivés et en particulier au défrichement des espaces de parcours. L’alimentation animale en saison sèche repose dans une proportion croissante sur les aliments de complémentation importés (tourteaux, son), faute de ressources fourragères locales. Les espaces pastoraux, fortement dégradés par le surpâturage, font certes l’objet de nombreux projets de restauration (aménagements de conservation des eaux et des sols, reforestation), mais les choix techniques parfois peu appropriés et l’absence de dispositifs de concertation entre les différents usagers empêchent dans de nombreux cas un impact durable de ces projets sur la régénération des ressources naturelles.
Il s’agit ainsi d’encourager des expériences concrètes de planification et d’aménagement de l’espace à l’échelle des terroirs villageois et des communes rurales, garantissant plus d’équilibre et d’interactions positives entre l’agriculture et l’élevage. Cette approche devrait passer par des actions de restauration et de gestion des espaces pastoraux augmentant les possibilités de fertilisation organique des terres cultivées ainsi que par la relance des pratiques d’agroforesterie afin d’améliorer durablement la fertilité des sols et d’initier une production locale d’aliments de complémentation du bétail à base de produits non ligneux (gousses, feuilles, fibres…).