L’agriculture de conservation (AC) désigne la famille de systèmes de culture où le travail minimal du sol, la couverture végétale permanente du sol et la diversification des cultures à travers les associations et/ou rotations des cultures sont appliqués simultanément à l’échelle de la parcelle. Une étude originale menée au Burkina teste sa faisabilité.
En Afrique de l’Ouest (AO), l’augmentation démographique se traduit par une demande accrue en produits agricoles et une saturation des espaces ruraux remettant en cause les modes traditionnels de gestion durable des sols basés sur la jachère et les transferts de fertilité par les animaux d’élevage. Face au renchérissement du prix des intrants minéraux, l’enjeu pour la recherche est d’expérimenter avec les producteurs des modes de production permettant d’intensifier la production tout en inversant la dégradation des ressources agropastorales. L’agriculture de conservation (AC) est considérée comme l’un des systèmes techniques pouvant permettre cette intensification écologique de l’agriculture. Sa mise en œuvre en AO se heurte à un droit tacite, le prélèvement par les animaux des résidus de culture ou des plantes de couverture en saison sèche. Dans le cadre d’un projet de recherche financé par l’union européenne et dénommé ABACO, une équipe pluridisciplinaire composée d’agronomes, de zootechniciens, de sociologues et de géographes teste au Burkina Faso comment co-construire avec les producteurs des systèmes de cultures à base d’AC en AO.
L’étude a été menée dans deux villages du Burkina Faso :
- Koumbia en zone soudannienne présente un bon potentiel de production de biomasse, associé à une pression significative de l’élevage ; le modèle technique prédominant promu par les services de vulgarisation agricole est basé sur la culture pure de maïs ou de coton et l’usage d’engrais minéral et, est a priori éloigné des principes de l’AC
- Yilou situé en zone sahélo-soudanienne présente un potentiel plus limité de production de la biomasse, une plus faible pression de l’élevage ; le modèle technique prédominant, reposant sur les cultures associées, est a priori plus favorable à l’introduction de l’AC.
A Koumbia et Yilou, pour impliquer les agriculteurs dans les différentes étapes de la recherche une plateforme d’innovation a été mise en place. La plateforme est un réseau d’acteurs locaux (producteurs, techniciens, autorités coutumières, collectivités locales, fournisseurs d’intrants) visant à produire des références techniques sur l’AC adaptées au contexte spécifique de l’Afrique de l’Ouest et à réfléchir à un environnement favorable à l’appropriation de l’AC par les différents acteurs sus-cités. Afin de produire des références techniques sur l’AC, des essais en milieu paysan et en station comparant les systèmes de cultures à base d’AC aux systèmes de culture conventionnels ont été menés. Des modèles informatiques simulant l’effet de l’introduction de l’AC sur les bilans fourrager et céréalier, sur la mobilisation de la main d’œuvre, et sur la marge brute de l’exploitation agricole et la cartographie du territoire villageois ont été mobilisés pour analyser les conditions de mises en œuvre de l’AC à l’échelle de l’exploitation et des villages et pour animer les discussions menées avec les acteurs locaux.
Des systèmes à base d’AC différents entre les zones soudano-sahélienne et soudanienne
En zone soudano-sahélienne (Yilou), les systèmes à base d’AC sont essentiellement du sorgho associé au niébé avec une couverture du sol à base de résidus de céréales d’environ 4 tonnes par ha. Ces systèmes permettent une amélioration des rendements et de la marge brute mais entraînent une tendance à l’augmentation des temps de travaux au semis, au démariage, au sarclage et la récolte. En zone soudanienne (Koumbia), les systèmes d’AC testés ont été successivement le sorgho associé au pois d’angole, puis le maïs associé au niébé avec deux niveaux de couverture (2 ou 4 t ha-1). Leurs performances ont été inférieures à celles des systèmes conventionnels en première année et supérieures sur les parcelles où l’AC a été pratiquée deux années successives et où la couverture du sol était de 4 t ha-1. Dans les différents villages, une évolution favorable des connaissances et des producteurs expérimentateurs a été constatée en lien avec leur maîtrise technique des systèmes. .
Prendre en compte les échelles exploitation et territoire
L’usage des modèles informatiques de simulation du fonctionnement de l’exploitation a permis d’extrapoler les résultats obtenus au niveau parcelle et a montré l’effet positif de l’AC sur le bilan fourrager de l’exploitation liée essentiellement aux améliorations de rendements observées en zone sahelo-soudanienne ou à l’introduction de légumineuses à meilleure qualité fourragère que les tiges de céréales en zone soudanienne. La marge brute de l’exploitation a aussi été améliorée du fait d’une des augmentations de surplus céréaliers pouvant être vendus en zone sahelo-soudanienne ou une réduction des achats d’aliments concentrés pour les animaux au niveau de l’exploitation en zone soudanienne. Mais une augmentation des besoins en main d’œuvre dans les deux zones a été observée en lien en particulier avec une couverture insuffisante du sol pour limiter la levée des mauvaises herbes et l’impossibilité du sarclage mécanisé avec les bœufs de trait. L’utilisation des modèles a permis en particulier de discuter avec les producteurs des stratégies qu’ils mobiliseraient pour faire face à cette augmentation des besoins en main d’œuvre ou pour améliorer le taux de couverture du sol. Les pistes proposées par les producteurs sont essentiellement individuelles, telles qu’une augmentation de la durée journalière de travail ou la réduction du prélèvement des résidus de culture par les animaux en rabattant par exemple les tiges au sol.
La cartographie a permis de réfléchir à des pistes collectives de gestion des résidus de culture. Elle a montré en particulier que des zones favorables à l’insertion de l’AC peuvent être identifiées, à l’intersection des zones où les producteurs déclarent des sols plus faciles à sa mise en œuvre et loin des zones de passage des animaux. Néanmoins pour beaucoup des producteurs la vaine pâture reste une contrainte difficile à surmonter. Il semble qu’il faille mener une réflexion plus en amont pour faire évoluer les règles collectives d’utilisation des résidus de culture au travers des outils tels que les chartes foncières locales.
Figure 2: Zones favorables à l’insertion de l’AC identifiées à Koumbia
Produire de nouvelles connaissances (références techniques situées) et élaborer des outils et des régles d’usages des ressources naturelles
Au Burkina Faso, cette recherche pluridisciplinaire sur les systèmes à base d’AC montre la complémentarité des échelles d’analyse pour ce type d’innovation complexe et dans ce type de contexte puisqu’il faut (1) faire la preuve de la performance du modèle technique AC au niveau parcelle pour motiver les changements collectifs favorisant son appropriation, (2) montrer que des changements sont possibles au niveau collectif pour motiver l’expérimentation individuelle. L’enjeu pour l’équipe est de poursuivre l’élaboration de références techniques en suivant sur plusieurs années les performances technico-économiques des systèmes testés et la réflexion sur les façons de faire évoluer les règles d’usage des résidus de culture en analysant en particulier comment les acteurs villageois peuvent mobiliser des outils tels que la charte foncière développée à Koumbia. Une évaluation finale pourra alors être réalisée de la capacité de cette recherche à amorcer une dynamique d’adoption de l’AC.
Fiches innovations
Figure 1: Echanges avec les acteurs de la plateforme d’innovation