Quel est l’objectif du projet agro-écologique en France ? Comment sera-t-il mis en oeuvre concrètement ? Quels enjeux ce projet soulève-t-il ? Dans cet entretien, Guilhem Brun du ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt français, aborde en particulier ces questions.
Guilhem Brun est chef de projet « agro-écologie et développement de l’agriculture » au sein du ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt (MAAF).
La version intégrale de l’entretien est disponible sur le site d’Inter-réseaux.
GDS : Qu’est-ce que l’agro-écologie pour le MAAF ?
Guilhem Brun (GB) : C’est une direction qui va nous permettre de mettre en mouvement l’agriculture française. L’agro-écologie s’appuie sur un ensemble de pratiques et constitue une discipline scientifique, mais c’est avant tout pour nous un projet politique visant à réconcilier économie et environnement et à rapprocher le monde agricole et les citoyens.
GDS : Comment ce projet agro-écologique sera-t-il mis en oeuvre ?
GB : C’est à chacun de se mobiliser pour se réapproprier ce projet et le mettre en oeuvre à son niveau. Au niveau national, le ministère de l’Agriculture a co-construit avec les principaux partenaires concernés un large plan d’action, identifiant les différents chantiers à conduire. Ce plan validé le 12 juin 2014 comporte une soixantaine d’actions très concrètes. Ces actions concernent tout aussi bien l’enseignement agricole (révision des diplômes, formation des personnes des lycées…), la recherche et le développement (renforcement de l’accent sur les systèmes agro-écologiques, sur les liens entre la recherche et le terrain…), l’accompagnement technique des agriculteurs (mobilisation des chambres d’agriculture et des réseaux d’agriculteurs, promotion de démarches collectives avec la création des groupements d’intérêts économiques et écologiques) ou encore la mobilisation des différents services du ministère (sensibilisation et formation de tous les agents du ministère à l’agro-écologie). Un autre chantier porte sur la mobilisation des acteurs économiques, au-delà de la ferme, car, si la filière ne suit pas, il est extrêmement difficile pour un agriculteur de faire évoluer son système. Par exemple, il sera difficile à un producteur de grandes cultures de diversifier sa production et d’intégrer de la luzerne si son collecteur refuse de la lui acheter pour des raisons logistiques ou de commercialisation. Le projet passera également par une révision des soutiens publics afin qu’ils soient incitatifs à adopter des pratiques agro-écologiques. Il s’agira par exemple d’instaurer une majoration des aides à l’installation pour les projets agro-écologiques, ou encore de l’allocation de 2 % des aides directes dans le cadre de la Politique agricole commune — soit 150 millions d’euros — à la production de protéines végétales.
GDS : Quel est le rôle des aides financières dans ce changement ?
GB : Ces aides sont importantes pour mettre en mouvement les agriculteurs et assurer la phase de prise de risque inhérente à tout changement. Mais il ne faut pas inverser la logique et payer artificiellement des pratiques qui risqueraient de s’arrêter en même temps que l’aide. Nous sommes convaincus que l’agro-écologie est plus performante ; si les agriculteurs sont informés, formés et accompagnés, ils y gagneront, même sans aide financière supplémentaire.
GDS : Quelles difficultés entrevoyez-vous à la réalisation de ce projet ?
GB : Même si l’agro-écologie est plus performante, la transition nécessite de se former, de changer ses pratiques, ce qui est exigeant. Il faut donc combattre l’inertie et la solution de facilité, qui est de ne rien faire. Une des difficultés réside également dans le temps de mise en oeuvre de ce projet. C’est un changement de grande ampleur des systèmes d’exploitation, avec l’objectif qu’en 2025 une majorité des exploitations françaises soient engagées. On se situe ainsi sur du temps long, avec un plan d’action dont les résultats seront pour l’essentiel sensibles dans 5 à 10 ans ; mais pour autant, si on veut mobiliser les gens, il faut qu’un mouvement soit perçu assez rapidement. Il nous faut donc gérer ce double calendrier court terme – long terme. Enfin, c’est un projet très ambitieux, qui touche à l’identité même de l’agriculteur et dont l’objectif est de changer la vision que les gens ont de l’agriculture. Si dans quelques années on considère comme « dépassé » celui qui se contente d’appliquer les recettes classiques et comme « modernes » ceux qui innovent et sont aujourd’hui les pionniers de cette transition agro-écologique, alors nous aurons réussi.
Projet agro-écologique au Togo
Le MAAF et AVSF se sont unis pour mettre en oeuvre le projet « Durabilité et résilience de l’agriculture familiale dans la région des Savanes au Togo ». Son objectif est d’accompagner les familles paysannes à expérimenter des pratiques d’agro-écologie adaptées à leur écosystème pour améliorer la fertilité des sols tout en réduisant leur dépendance aux intrants chimiques et d’améliorer la résilience des exploitations par la diversification de la production. Face au débat sur les modèles de production à promouvoir pour répondre au défi de sécurité alimentaire en Afrique, il doit permettre de tester la pertinence des pratiques d’agro-écologie en zone soudanienne. Le projet mobilise le financement du Fonds Français pour l’Environnement Mondial (FFEM) à hauteur de 961 000 €. Il illustre le type de soutien que le MAAF entend privilégier dans les pays en développement à travers l’aide publique française.
La crise que le Togo a connue dans les années 1990 a entrainé un désengagement de la coopération internationale et un affaiblissement de l’État. Depuis 2008, les bailleurs ont progressivement renoué leur politique de coopération permettant ainsi d’enclencher un cycle d’investissement public. Les réponses apportées aujourd’hui par l’État togolais pour répondre à court terme à l’enjeu majeur de sécurité alimentaire sont principalement la facilitation de la fourniture d’intrants et de semences améliorées.
La région des Savanes, située à l’extrême nord du Togo, est une zone soudanienne. Il s’agit de la région la plus pauvre du pays, avec une incidence de la pauvreté estimée à plus de 90%. Près de 90% de la population active vit de l’agriculture. Le système de production dominant est la polyculture-élevage pratiquée au sein d’exploitations familiales sur de petites surfaces (1 à 2 hectares en moyenne, 10 hectares pour les grandes exploitations).
Depuis plusieurs décennies la pression démographique a conduit à un morcellement des superficies par actif et à un changement des pratiques agricoles (abandon de la jachère et de la rotation des cultures, déforestation …). Cette évolution a pour conséquence directe la perte continue de la fertilité des sols, entrainant une baisse des rendements des cultures, une dégradation du milieu et une dépendance à la fertilisation minérale. Par ailleurs, les scénarios climatiques prévoient une amplification de la variabilité pluviométrique favorisant une forte concentration des pluies, et une augmentation des températures qui aggraveront la dégradation des sols et la diminution des rendements.
Pour répondre à la crise écologique que rencontrent les systèmes de production, le projet vise trois objectifs spécifiques :
- Restaurer les sols et les milieux par la diffusion de pratiques agro-écologiques (restauration d’un couvert ligneux, le compostage, les rotations avec légumineuses, aménagement anti-érosifs, techniques de zaï …)
- Améliorer la résilience des exploitations par la diversification de leurs productions (intensification des petits élevages, développement du maraîchage en contre saison)
- Renforcer les capacités des acteurs et favoriser leur concertation à l’échelle régionale, nationale et sous-régionale (lien avec le Réseau des Organisations Paysannes de l’Afrique de l’Ouest, le ROPPA). Après son adoption par le comité de pilotage du FFEM, le projet est en phase de démarrage au Togo.
Contact : Marine Renaudin, chargée de mission Sécurité alimentaire – Stratégies internationales de développement au sein du Bureau du développement et des organisations internationales (DGPAAT) du MAAF (marine.renaudin@agriculture.gouv.fr).