Dans les pays du Sahel, l’agroécologie recoupe en grande partie les techniques de lutte contre la désertification mises en place depuis les années 60. Cet article est consacré aux opportunités et aux limites de ces techniques au Burkina Faso.
Ablassé Bilgo est expert en changements climatiques au centre régional Agrhymet du Cilss à Niamey.
Sheick Ahmed Khalil Sangare est assistant à l’Université polytechnique de Bobo Dioulasso.
Dasmané Bambara est ingénieur de recherche à l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles du Burkina Faso (Inera).
Victor Hien est directeur de recherche en agropédologie à l’Inera.
La lutte contre la désertification a commencé dans les années 60 et a connu différentes approches au Burkina Faso. Jusqu’au milieu des années 70, l’approche utilisée était principalement directive. Les premières tentatives d’actions de LCD ont essentiellement relevé d’abord de l’interventionnalisme colonial et post-colonial (Groupe européen de restauration des eaux et des sols, GERES) et ensuite étatique (Fonds de développement rural, FDR). Cette approche de type vertical « top-down » plaçait les populations dans une situation où elles « assistaient passivement à leur développement ».
Vers des approches participatives
Progressivement, les acteurs intervenant dans la LCD se sont multipliés et diversifiés, regroupant aussi bien des structures nationales (État et ministères, universités et structures de recherche, ONG…) qu’internationales (organisations régionales, organismes des Nations Unies, universités et structures de recherche, ONG…). Au milieu des années 2000, une cinquantaine de structures intervenaient ou étaient intervenues au Burkina Faso en matière de LCD. Dans certains villages, cette prolifération d’acteurs a entraîné des contradictions et un manque de coordination, conduisant à une certaine lassitude chez les producteurs.
Au milieu des années 70, l’érosion du sol dans la zone était encore préoccupante, par suite d’un manque de maîtrise et d’entretien des ouvrages sur le long terme, du fait de l’absence de consultation et d’implication des populations locales.
Face à ces limites, et favorisées par un contexte de libéralisation économique et de démocratisation, des approches participatives se sont développées à partir des années 80. L’approche participative est un processus dans lequel les acteurs concernés par les projets influencent et partagent le contrôle des initiatives de développement, ainsi que les décisions et les ressources relatives à ces initiatives. Concrètement, cette participation a pris plusieurs formes, selon les périodes et les acteurs. Si certains projets ont cherché à amener la population à prendre conscience de la dégradation de son environnement et du rôle qu’elle peut jouer et ont mis en place des contrats collectifs pour l’organisation des travaux d’aménagement, d’autres se sont contentés d’impliquer les populations dans la réalisation et l’entretien des ouvrages (notamment par des systèmes de travail contre nourriture ou argent).
Une variété de techniques
Les techniques utilisées dans la LCD dans le Nord du Burkina Faso ont également connu des évolutions au cours de la période. Dans les années 60 et 70, ce sont surtout des diguettes de terre qui étaient réalisés, d’abord par le GERES puis par le FDR. Celles-ci prennent la forme de muret composé de terre compacte. Faciles à réaliser, elles visent à capter l’eau de pluie et/ou limiter les dégâts sur le sol et les cultures dus à son écoulement. Mais elles étaient peu efficaces et requéraient un entretien constant. Le début des années 80 a marqué une étape importante, avec l’apparition des cordons pierreux (voir tableau), qui ont connu un succès important auprès des paysans en raison de leur plus grande efficacité. D’autres techniques comme le zaï ou la demi-lune se sont également développées. Ces techniques — qui nécessitent l’application de fumure organique — ont conduit à la vulgarisation de fosses compostières ou fumières pour la fabrication de cette fumure organique. L’agro-écologie est la réponse à l’enjeu de produire plus avec moins
Les demi-lunes permettent de capturer l’eau de ruissellement (© Sébastien Subsol)
Les résultats issus des études d’évaluation conduites en 2004 dans le cadre du Projet 83 ont montré que les cordons pierreux (environ 223 000 ha de terres aménagées) et le zaï (164 000 ha) sont de loin les mesures physiques de conservation des sols les plus utilisées dans la zone d’étude. Elles sont suivies par les demi-lunes (2 000 ha) et le paillage (4 000 ha). Bien que ces aménagements soient relativement importants, leur superficie reste faible par rapport aux superficies cultivées dans les régions où il y a eu adoption de ces techniques, ne couvrant que 30 % de la superficie cultivées, selon le ministère de l’Agriculture.
Des résultats globalement positifs
Les différentes études menées sur ces techniques ont montré leur pertinence dans la réhabilitation des terres dégradées et l’amélioration de la productivité. Ces techniques ont un impact positif sur l’évolution de la végétation, les caractéristiques chimiques et physiques des sols et la productivité de terres touchées par la désertification. La réhabilitation des terres dégradées a permis d’accroître les rendements des cultures (de 75 % à 113 % selon les types d’ouvrages dans certaines provinces). Les actions visant à promouvoir les techniques LCD ont accru la prise de conscience des producteurs par rapport au problème de la dégradation des ressources naturelles. Les techniques LCD ont également eu pour effet de modifier les systèmes de production et notamment les modes d’élevage qui tend à s’intensifier afin de produire la fumure organique nécessaire au zaï (stabulation, production de fourrage…).
Ces techniques ont toutefois montré un certain nombre de contraintes limitant leur utilisation à grande échelle. Le tableau reprend les principales difficultés rencontrées pour les principales d’entre elles. Parmi ces difficultés, les conflits d’intérêts dans l’utilisation de l’espace entre agriculteurs et éleveurs et la charge importante de travail demandée pour ces différentes techniques constituent des freins majeurs. La confection d’un ha de zaï nécessite par exemple un temps de travail de 50 hommes/jour. Dans l’ensemble, les coûts des aménagements sont loin d’être négligeables (au moins 100 000 F CFA/ ha pour le zaï, les cordons pierreux, les demi-lunes ou encore les diguettes en terre) et ne sont pas couverts par les recettes agricoles émanant de ces ouvrages. Bulletin RBM Aout 2014
Dans ces conditions, l’avenir de l’aménagement des terroirs reste une question posée en l’absence d’une assistance quasi-continue car l’adhésion des populations pour les techniques de réhabilitation reste pour une part importante liée à l’appui technique et financier des projets. Cela limite fortement la durabilité et la reproductibilité des actions, qui ne sont plus garanties dès que l’intervenant extérieur se retire du village.
Lever les obstacles
Face à ces contraintes une série de mesures ont été entreprises et doivent encore être développées. Des combinaisons de différentes techniques permettent dans certains cas de pérenniser les ouvrages : les cordons pierreux permettent de réduire l’érosion et d’éviter l’engorgement des zaï et des demi-lunes. Mais là aussi des difficultés subsistent, comme le transport de la matière organique et de l’eau pour la fabrication de la matière organique. Les techniques telles que le zaï et la demi-lune peuvent être améliorées en associant des engrais minéraux à la matière organique généralement utilisée. Cette pratique permet de corriger les déficiences en certains éléments de la matière organique et d’obtenir ainsi des rendements en forte hausse. Ainsi par exemple, les rendements du sorgho atteignent 500 à 600 kg/ ha avec des cordons pierreux (contre 400 kg/ha sans technique d’aménagement) et 1 000 kg/ha si on ajoute un micro dosage d’engrais minéraux. Pour le zaï, les rendements du sorgho atteignent entre 800 et 1 000 kg/ha sans engrais minéraux, 1 500 avec.
Étant donnée la charge et la pénibilité des travaux exigés par ces techniques, des mesures doivent être prises pour favoriser l’acquisition d’équipements par les producteurs (charrue à traction animale, mécanisation du creusage…). Certains matériels commencent à être vulgarisés, comme la charrue Delfino (qui permet la réalisation mécanique d’ouvrage antiérosifs ou de micro-bassins sous forme de demi lunes) ou le zaï mécanique (des dents sont montées sur le bâti d’un outil aratoire à traction bovine, asine ou équine), mais leur coût, en particulier pour la charrue Delfino, freine leur diffusion.
Par ailleurs, une restauration de terres devenues incultes ne pourra pas être entreprise à grande échelle tant que les modes d’appropriation de la terre ne seront pas définis, acceptés et respectés. L’absence de droit de location de la terre sur de longues périodes empêche la réhabilitation des sols, car ces terres bonifiées peuvent être récupérées à tout moment par leur propriétaire.
L’adoption d’une technique innovante doit également tenir compte de la tradition. Même si le zaï est une technique ancienne dans la région, elle est toujours considérée comme « exogène », et ce d’autant plus qu’elle est préconisée, améliorée et développée avec l’aide d’appuis extérieurs. De plus, le zaï amélioré n’est pas simplement une technique : il s’agit d’un changement de pratique, lié de près à d’identité agricole, car il demande de travailler en saison sèche, période pendant laquelle les agriculteurs n’entraient traditionnellement pas dans les champs pour travailler. Par comparaison, l’utilisation de la charrue (pour les paysans qui en ont les moyens) a été beaucoup plus facilement adoptée, car elle constitue un outil qui soulage la main d’oeuvre.
Enfin, la généralisation de ces techniques ne pourra se faire à l’échelle du seul paysan. Il faudrait notamment définir des politiques de partage des coûts de réhabilitation entre les paysans et la société toute entière qui, elle aussi, profite des bénéfices des activités de réhabilitation des terres dégradées.
Cet article a été réalisé sur la base de l’étude « Projet 83 : recherche sur des technologies de lutte contre la désertification au Sahel et étude de leur impact agro-écologique » (Hien et al., janvier 2004 : http://armspark.msem. univ-montp2.fr/bfpvolta/ admin/biblio/BFAProjetRD83. pdf). Un inventaire des techniques a été fait par enquêtes sur 20 sites pilotes répartis sur 5 provinces de la zone Nord et Centre-Nord du Burkina Faso, sur des sites déjà aménagés par les paysans, les structures de développement ou de recherche et gérés par les populations. Des carrés de rendements ont été posés par techniques isolées et combinées pour évaluer les impacts sur la production agricole.
La grande muraille verte
Contrairement à l’idée reçue, la désertification n’est pas l’empiètement du désert sur les terres. Elle désigne la dégradation des terres en zones arides, semi-arides et subhumides résultant de facteurs tels que la pression humaine sur les écosystèmes fragiles, la déforestation et le changement climatique.
L’idée initiale de l’initiative de la Grande muraille verte a émergé en 2005 sous l’impulsion du Président nigérian de l’époque Olusegun Obasanjo. La vision a évolué et les chefs d’État et de gouvernement de la région ont adopté en janvier 2007 la décision 137 (VIII) à l’assemblée de l’Union africaine, considérant cette initiative comme une stratégie appropriée pour coordonner les efforts et s’attaquer à la dégradation des terres et à la désertification dans les zones du Sahel et du Sahara.
Le soutien des plus hautes autorités de l’État à une initiative faisant de la dégradation de l’environnement une cause majeure de la pauvreté a conduit les partenaires au développement à réfléchir ensemble à la meilleure manière d’y contribuer. En février 2011, le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) a initié une consultation dans les bureaux du secrétariat de la convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification. La mise en oeuvre des décisions prises entre les pays et les partenaires au développement a conduit à l’élaboration du programme pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel : le SAWAP. Financé à hauteur de 100 millions de dollars par le FEM, avec des cofinancements de la Banque mondiale atteignant un milliard de dollars, le SAWAP comprend des projets dans douze pays pour mettre en oeuvre des approches intégrées de gestion durable des terres, de l’eau et des forêts, mais aussi des actions liées à la prévention des risques et à l’adaptation aux changements climatiques. Un projet régional, le BRICKS (Building Resilience through Innovation, Communication and Knowledge Services) est mis en oeuvre par des organismes de la région (CILSS, OSS, IUCN). Ce projet joue un rôle d’accompagnement et de mutualisation en matière de suivi-évaluation, communication et gestion des connaissances.
Pour en savoir plus, lire l’article de Jean-Marc Sinnassamy (Secrétariat du FEM)