L’AIAF a été l’occasion pour plusieurs fédérations paysannes ouest-africaines d’échanger sur leurs expériences d’appui et de conseil aux exploitations familiales. Ces réflexions leur ont permis d’affirmer la pertinence et la plus-value de systèmes d’accompagnement de l’agriculture familiale, d’origine paysanne et de dimension nationale.
Dans le cadre de l’Année internationale de l’agriculture familiale, nous — organisations paysannes membres du Roppa — avons voulu réfléchir aux moyens de capitaliser et de poursuivre nos expériences dans l’accompagnement des exploitations familiales (EF).
Une approche paysanne de l’accompagnement des exploitations familiales. Quatre fédérations paysannes d’Afrique de l’Ouest membres du Roppa — la Fédération des organisations non gouvernementales du Sénégal (Fongs), la Fédération des paysans du Fouta Djalon (FPFD) en Guinée, la Fédération nationale des groupements Naam (FNGN) au Burkina Faso et l’Association des organisations professionnelles paysannes (AOPP) au Mali — ont partagé leurs expériences dans le domaine de l’appui conseil aux exploitations familiales, le 25 mars 2014 avec l’appui de SOS Faim Belgique.
Ces échanges nous ont permis de mettre en évidence plusieurs éléments. Nous avons pu prouver l’importance des EF pour la production, les revenus, la sécurité alimentaire et la création de richesses. Nous avons aussi identifié les spécificités d’une approche paysanne de l’accompagnement des exploitations familiales (encadré). Nous avons également pu constater l’importance de la coopération entre les organisations paysannes d’une part, les systèmes nationaux d’appui à l’agriculture familiale, la recherche, les partenaires techniques et financiers et la société civile au Nord d’autre part.
Construire des systèmes d’appui-conseil avec l’État. Suite à ces échanges, nous avons affirmé que de véritables systèmes d’origine paysanne et de dimension nationale consacrés à l’accompagnement et à l’appui aux exploitations familiales agricoles pouvaient faire valoir leurs avantages et revendiquer une place reconnue. Pas pour se substituer aux structures publiques et privées existantes, mais pour construire avec elles des partenariats qui rendraient l’appui conseil à l’exploitation familiale plus global et plus accessible, avec les organisations paysannes en première ligne.
Nous avons publié une déclaration commune à l’issue du colloque, dans laquelle nous avons formulé quatre recommandations : (1) l’élargissement et le développement de cette approche paysanne ; (2) la mise en place de systèmes nationaux durables et efficaces de conseil agricole et rural basé sur le partenariat OP/ États/Recherche/Secteur privé ; (3) l’appui à la mise en place de mécanismes de financement durable du conseil agricole selon un principe de partenariat public/privé ; et (4) la mise en place d’un cadre régional et international de coopération et d’échanges entre acteurs sur les connaissances capitalisées sur les caractéristiques et les transformations des divers types d’exploitations familiales.
Reconnaître et pérenniser l’approche paysanne. Depuis le colloque organisé à Bruxelles, nous avons agi à plusieurs niveaux. Nous avons tout d’abord partagé les résultats de ce colloque au sein de nos plateformes nationales et lors de la convention de Niamey du Roppa pour élargir l’adhésion à cette déclaration à l’ensemble du réseau. La Gambie nous a rejoints dans notre démarche.
Ensuite, nous avons décidé de rebaptiser la Déclaration de Bruxelles en Déclaration de Dakar pour mieux l’ancrer en Afrique de l’Ouest symboliquement.
Enfin, nous avons rapidement cherché à engager nos gouvernements dans ce processus. Pour cela, nous travaillons actuellement avec les ministères de l’Agriculture de nos pays afin d’élaborer des dossiers de financement qui seront soumis à nos chefs d’État. Le financement public est en effet un élément central pour la durabilité de nos actions. Au-delà des aspects financiers, l’enjeu de ce travail est que les services nationaux chargés de l’agriculture acceptent de travailler avec les organisations paysannes dans l’accompagnement des exploitations familiales. Cela garantirait une reconnaissance et un élargissement de l’approche paysanne en matière d’accompagnement des exploitations familiales.
Intégrer le suivi des exploitations familiales au Sénégal. Au niveau régional, la Cedeao et l’Uemoa ont accepté le principe d’intégrer les outils développés par nos cinq plateformes. Dans nos différents pays, les premiers échanges avec les ministres de l’Agriculture ont été positifs.
Au Sénégal plus particulièrement, le ministre a exprimé son accord avec le principe d’intégrer notre méthode de suivi des exploitations familiales au sein de la Direction de l’analyse, de la prévision et des statistiques agricoles. Notre travail de suivi des exploitations familiales repose sur la méthode dite des « bilans simplifiés ». Cette méthode consiste à réaliser un entretien avec tous les membres de la famille. L’entretien vise à déterminer si la famille peut se nourrir et se soigner à partir de ses activités et revenus. En peu de temps, le bilan simplifié apporte des indications précieuses sur la dynamique des exploitations familiales : organisation de la famille (taille, répartition des rôles et des moyens de production, place des femmes et des jeunes…), utilisation des terres, rendements, accès aux infrastructures, poids des charges, mode de vie de la famille (part de l’autoconsommation, postes de dépenses…), entente familiale, santé et éducation, etc. Par ailleurs, comme les résultats de l’entretien sont restitués immédiatement à la famille, cet outil permet de provoquer des réflexions au sein des familles sur leurs stratégies.
Au niveau de la Fongs, nous suivons de manière continue 1811 exploitations familiales. D’autres organisations membres du Conseil national de coordination des ruraux (CNCR), qui rassemble plusieurs fédérations paysannes sénégalaises dont la Fongs, ont adopté cette méthode des bilans simplifiés. Au niveau du CNCR, ce sont 2000 exploitations familiales qui sont suivies aujourd’hui.
Si l’État intègre cet outil, cela nous permettra d’avoir des informations plus fiables et plus pertinentes sur la situation et l’évolution des exploitations familiales au Sénégal. Cela permettrait également d’étendre le dispositif de suivi à davantage d’exploitations.
Ce qu’il est intéressant de souligner, c’est qu’au Sénégal nous avons toujours travaillé étroitement avec l’État et la recherche. Nous avons mis en place un Comité de suivi de l’exploitation familiale, qui est composé du CNCR et des sept fédérations qui appliquent le suivi, des services étatiques en charge de l’agriculture, de la recherche et d’autres acteurs de la société civile. Cela a permis d’avoir le soutien et la validation d’un maximum d’acteurs.
Appui-conseil aux exploitations familiales : les leçons tirées par les organisations paysannes
L’appui conseil aux exploitations familiales n’était pas pratiqué à l’origine par les quatre fédérations ; il s’est progressivement imposé et a pris une place centrale dans leurs stratégies. Si les pratiques du conseil des fédérations diffèrent, celles-ci ont dressé de nombreux constats communs à leurs expériences.
Alors que l’encadrement autoritaire suscitait la méfiance et une résistance des paysans, les quatre fédérations bénéficient de la confiance des paysans. Ces organisations « paysannes » sont l’émanation de paysans ; elles sont gérées par eux, valorisent leur savoir-faire, et savent analyser leur situation de l’intérieur. Les conseillers qui travaillent avec les exploitations familiales (animateurs endogènes, paysans-relais) sont eux-mêmes des paysans.
Par ailleurs, les approches de ces fédérations sont adaptées à la dynamique réelle des exploitations familiales. Le conseil n’est pas imposé, mais il est basé sur le volontariat et sur un engagement contractuel qui garantit une forme de confidentialité (les restitutions au groupe sont anonymes). Il est répété dans la durée (plusieurs années) et mis en œuvre par des conseillers engagés et formés. Le conseil est combiné avec les échanges paysans, l’alphabétisation et la formation, des appuis techno-économiques et financiers (crédit), l’accès aux résultats de la recherche.
Les fédérations qui ont participé au colloque ont tiré plusieurs enseignements de leurs expériences d’appui-conseil. Elles ont compris qu’il fallait différencier le conseil et les appuis selon les types d’exploitations. Elles ont vu l’importance de la durée et de la répétition (effets sensibles seulement au bout de 4 ans) et donc de la pérennité des dispositifs de suivi/appuis-conseils. Elles ont aussi éprouvé l’utilité de l’autoévaluation (bilans périodiques) et de la production de connaissances sur les dynamiques paysannes pour adapter les approches. Leurs collaborations avec la recherche, les services techniques ou les projets les ont persuadées que les apports extérieurs pouvaient être bénéfiques.
Ces fédérations ont aussi pu cerner les limites de l’appui/conseil en l’absence de conditions économiques et politiques adéquates ou quand interviennent des aléas climatiques. Si les systèmes qu’elles ont mis en place ont démontré leur solidité, la non pérennité de leurs financements est un facteur de fragilité.Ces éléments ont été repris du document d’exploitation du colloque de Bruxelles.
Nadjirou Sall (sgfongs@yahoo.fr) est secrétaire général de la Fongs (Fédération des organisations non gouvernementales du Sénégal), secrétaire-général adjoint du CNCR (Conseil national de coordination et de concertation des ruraux) et secrétaire général du Roppa (Réseau des organisations paysannes et de producteurs d’Afrique de l’Ouest). Cet article a été réalisé suite à un entretien entre Nadjirou Sall, François Cajot (SOS Faim Belgique) et Liora Stuhrenberg (Inter-réseaux) le 3 juin 2015.
Pour en savoir plus sur le colloque et la Déclaration de Bruxelles, rendez-vous sur le site de la FONGS (30 pages, 4 Mo).