Des Comités nationaux de l’agriculture familiale ont été créés dans 52 pays en 2014. Selon Auxtin Ortiz du Forum rural mondial et Mahamadou Fayinkeh, coordinateur du Comité national de Gambie, ces plateformes sont des leviers importants pour la mise en place de politiques publiques en faveur de l’agriculture familiale.
Grain de sel : Qu’est ce qu’un Comité national pour l’agriculture familiale ?
Auxtin Ortiz (AO) : C’est une plateforme qui réunit à l’échelle nationale différents acteurs impliqués dans la promotion ou la mise en œuvre de politiques publiques en faveur de l’agriculture familiale. Tous les Comités nationaux rassemblent des organisations paysannes et des ONG travaillant sur les enjeux liés au développement rural et à l’agriculture familiale. La plupart des comités regroupent également des centres de recherche, des universités ou des associations liées à la recherche. Certains comités comptent aussi des représentants d’institutions internationales (comme la FAO ou le Fida) et nationales (ministères), ce qui me semble très positif.
GDS : Combien de Comités nationaux ont été créés ?
AO : Il s’agit d’un processus dynamique. Certains comités ont été créés récemment, comme en Guinée Bissau, au Ghana ou au Bénin. Quelques un (Suisse, Uruguay) ont décidé de cesser leurs activités avec la fin de l’AIAF. En 2014, nous avons atteint un total de 52 Comités nationaux. Aujourd’hui, plus de 40 sont encore en activité.
GDS : Comment ces comités sont-ils créés ?
AO : Le premier Comité national a été créé spontanément en Équateur en juillet 2012. Un jour, nous avons reçu au secrétariat du Forum rural mondial un mail de la part d’organisations dont nous sommes proches en Équateur. Elles nous informaient qu’elles avaient décidé de créer une plateforme destinée à mettre en œuvre l’AIAF au niveau national. Le premier Comité national de l’agriculture familiale était né. Nous avons trouvé l’idée excellente et avons promu activement la création de comités nationaux en diffusant l’information dans notre réseau. D’autres comités ont été créés. Au Costa Rica par exemple, une organisation paysanne a entendu parler de la plateforme équatorienne et a décidé d’en créer une. Puis la Colombie, le Sénégal et d’autres ont suivi. La plupart du temps, l’initiative est venue d’une organisation paysanne mais il est également arrivé qu’un ministère soit à l’origine de la création d’un comité, comme au Brésil, en Uruguay ou aux Philippines.
GDS : Certains comités nationaux ont-ils davantage réussi que les autres à avoir une influence sur l’ élaboration des politiques publiques nationales ?
AO : Oui. En Gambie par exemple, des lois relatives à la terre et aux semences ont été adoptées. Le Burkina Faso et le Népal ont augmenté le budget consacré à l’agriculture familiale. En Colombie, un programme spécifiquement destiné à l’agriculture familiale a été élaboré. Plusieurs éléments peuvent expliquer le succès particulier de certains comités, même si le contexte national joue aussi bien sûr un rôle important. En général, les Comités nationaux les plus efficaces sont démocratiques et inclusifs. Leurs objectifs et plan d’action ont été élaborés et approuvés collectivement. Le choix du coordinateur du comité bénéficie aussi de l’approbation de tous les membres. Autres facteurs importants de succès, ces comités regroupent tous les acteurs nationaux en faveur de l’agriculture familiale et en particulier des acteurs très motivés. En Gambie, au Népal et au Costa Rica par exemple, les comités assemblaient des organisations très actives et impliquées dans la promotion de l’agriculture familiale. Enfin, il nous semble important que le comité soit dirigé par une organisation paysanne, dans la mesure où ce sont elles les mieux placées pour défendre les intérêts des agriculteurs familiaux.
GDS : Comment les comités nationaux sont-ils organisés aux niveaux régional et international ?
AO : Le premier degré de priorité se situe à l’échelle nationale. Il arrive que des comités prennent des initiatives conjointes. Les comités de l’Équateur et de la Colombie par exemple ont travaillé ensemble en 2014. Au niveau du secrétariat du Forum rural mondial, nous encourageons des connexions entre les Comités nationaux. Nous avons ainsi organisé une rencontre régionale des comités d’Amérique latine et des Caraïbes en novembre 2014. Nous souhaitons reproduire ce type de rencontre en Asie, en Afrique et en Europe. Au niveau international, un Comité consultatif mondial a rassemblé différents acteurs de la société civile afin d’assurer le développement et la représentation globale de l’AIAF. Ce Comité consultatif mondial va assurer le suivi de l’AIAF et continuer à promouvoir des politiques et régulations favorables à l’agriculture familiale au niveau mondial.
Carte des comités nationaux de l’agriculture familiale
GDS : Comment le Comité national de l’agriculture familiale a-t-il été créé en Gambie ?
Mahamadou Fayinkeh (MF) : Un atelier national sur le rôle de l’agriculture familiale pour approvisionner les marchés en Gambie a été organisé en novembre 2013. Il a rassemblé 24 institutions, dont les organisations paysannes, la recherche, la société civile, les décideurs politiques, les média, l’Université de Gambie, les projets et le secteur privé (industries et entreprises de la commercialisation, de la transformation et de l’exportation des produits agricoles). Ces acteurs ont décidé de créer le Comité de coordination nationale (CCN) de l’AIAF, constitué de 18 institutions.
GDS : Comment ce comité fonctionne-t-il ?
MF : Les membres du CCN ont décidé de mettre en place un groupe de travail et un coordinateur. Nacofag assure la coordination du CNN. Le rôle du coordinateur est de mettre en œuvre et d’assurer le suivi des activités approuvées par le CCN. Il négocie également l’élaboration de programmes liés à l’agriculture familiale et aux politiques publiques avec les bailleurs et l’État. Le groupe de travail est quant à lui composé de deux représentants d’organisations paysannes et d’un représentant du Fida, du ministère de l’Agriculture et du secteur privé. Il vient en appui au coordinateur du CCN et peut prendre des décisions au nom du CCN. Tous les trois mois, le coordinateur rend compte des activités réalisées au groupe de travail et nous échangeons sur la planification des trois mois suivants.
GDS : La création de ce comité vous a-t-il permis de mieux promouvoir l’agriculture familiale en Gambie ?
MF : Oui. Il nous a permis de réaliser des avancées importantes. Le CCN a ainsi pu pousser l’Assemblée nationale à approuver la Loi sur les semences, qui est favorable à l’agriculture familiale. Cette loi prévoie notamment un Comité des semences, qui sera chargé de toutes les questions relatives aux semences en Gambie (production, importation…), et au sein duquel les organisations paysannes ont obtenu deux sièges. C’est aussi dans le cadre du CCN que nous avons commencé à travailler avec Ipar (Initiative prospective agricole et rurale) sur l’évaluation des Directives volontaires sur la gouvernance foncière. Cet instrument peut nous permettre d’influer les politiques relatives au foncier en Gambie. Nous avons ainsi évalué la loi foncière actuelle et menons une campagne pour modifier des dispositions relatives à l’usage des terres et à l’accès et à la sécurisation du foncier.
GDS : Le Comité de coordination nationale va-t-il continuer ses travaux au-delà de l’AIAF ?
MF : Oui. Nous avons changé le nom du comité en Plateforme pour le dialogue politique. Cette plateforme est chargée de mettre en œuvre et de suivre les activités et recommandations issues des travaux menés en 2014 et de continuer à discuter et à négocier les enjeux liés aux politiques en faveur de l’agriculture familiale.
Le Forum rural mondial et l’AIAF
Le Forum rural mondial est un réseau créé en 1998 et composé de personnes et d’institutions publiques et privées engagées dans la recherche d’un développement « durable et juste », principalement dans le domaine du développement rural. C’est un forum d’observation, d’échanges et d’analyses sur le développement rural. C’est lui qui a été à l’initia- tive de l’organisation d’une Année internationale de l’agriculture familiale (AIAF), qu’il a commencé à promouvoir dès 2008.
Mahamadou Fayinkeh (mfayinkeh@gmail.com) est president de Nacofag (National Coordinating Organization for Farmers Association in The Gambia). Il est le coordinateur du Comité national de l’agriculture familiale en Gambie.
Auxtin Ortiz (aortiz@ruralforum.net) est le directeur du Forum rural mondial.
Nous vous invitons à retrouver une version anglaise de cet article sur le site d’Inter-réseaux, ainsi que l’intégralité des entretiens avec Auxtin Ortiz et Mahamadou Fayinkeh.