Ce numéro spécial de Grain de sel est consacré aux leaders paysans des organisations professionnelles agricoles, en particulier ouest-africaines. Mais qu’entend-on précisément par « leader paysan »? La dénomination de « leader », telle qu’elle est utilisée dans l’intégralité de ce numéro, est un terme emprunté à l’anglais et généralement employé pour désigner une personne à la tête d’un groupe, qui en porte les responsabilités et en est le porte-parole. Par prolongement, la notion de « leader paysan » désigne l’ensemble des responsables élus d’une organisation paysanne (OP). Cette formulation peut être toutefois ambiguë. En effet, par définition, « un leader est une personne qui, à l’intérieur d’un groupe, prend la plupart des initiatives, mène les autres membres du groupe, détient le commandement ». Le terme de « leader » sous-entend ainsi une capacité à fédérer, à mobiliser les énergies autour d’une action collective, à conduire, guider, à se faire écouter, à gagner la confiance du groupe. On y retrouve la notion de charisme. Or, si l’on considère l’histoire du mouvement paysan ouest-africain, « on a assisté dans les années 70 à l’émergence de leaders charismatiques de ce mouvement notamment au Sénégal, Burkina Faso, Mali, avec une vision régionale des luttes ». Les personnes à la tête de ce mouvement sont bien des « leaders » au sens propre du terme, véritables figures défendant les droits des paysans, ayant joué et jouant encore un rôle considérable dans l’évolution du mouvement paysan. Ce numéro spécial ne leur est cependant pas uniquement consacré et souhaite donner la parole à l’ensemble des élus des OP.
Pourquoi un dossier sur les leaders paysans ? Ces trente dernières années, le monde paysan ouest-africain s’est progressivement structuré, du niveau local vers des échelons géographiques supérieurs, ce qui lui a permis d’accroître son envergure et son poids dans les négociations avec les États. Les fédérations et plateformes d’OP ont peu à peu pris leurs responsabilités face au vide laissé par le désengagement des États suite aux plans d’ajustement structurels. Elles ont actuellement un rôle considérable pour le monde rural, que ce soit dans le cadre de la fourniture de services à la base (appui à la production, commercialisation, etc.) ou dans la négociation de politiques agricoles avec les États et les institutions régionales. Si le rôle de ces OP est aujourd’hui reconnu, on oublie parfois ceux qui sont à la tête de ce mouvement, qui ont permis sa construction et le dirigent : les leaders paysans.
Si les leaders sont des personnes clés du mouvement paysan, pouvant impulser des dynamiques, ils peuvent néanmoins entraîner des dysfonctionnements au sein de leurs OP. Cumulant des responsabilités croissantes, assurant le relais entre les paysans, les États et les organisations de développement, présents à un grand nombre de rencontres internationales, ils sont souvent exposés à des critiques, plus ou moins positives et plus ou moins justifiées. Malgré les rôles importants qu’ils jouent dans le développement de leur pays et leur présence sur plusieurs espaces d’échanges et de concertations, ces leaders restent dans bien des cas mal connus. Qui sont-ils ? Comment peuvent-ils être représentatifs, proches des membres de leur OP tout en acquérant une bonne maîtrise des questions stratégiques et du langage du développement ? Quels blocages spécifiques les femmes rencontrent-elles pour accéder au leadership ? Quelles relations les leaders paysans entretiennent-ils avec leurs salariés, avec les partenaires techniques et financiers, avec les États ? Comment envisagent-ils l’avenir et la relève de leurs organisations ? Autant de questions auxquelles ce numéro souhaite apporter des éléments de réponse.
Soucieux de donner avant tout la parole aux leaders paysans, ce numéro a été construit sur la base d’entretiens avec une trentaine de leaders, en partie réalisés au cours du Forum paysan organisé par le Fonds international de développement agricole (Fida) à Rome en février 2010. Ces témoignages ont été recueillis auprès de leaders variés : hommes et femmes, élus d’OP d’envergure régionale ou nationale principalement, avec des titres et fonctions variés, et de renommée plus ou moins importante. La parole a été donnée sans censure ni privilège aux « grandes pointures ». Des leaders d’autres horizons géographiques se sont aussi exprimés (Afrique Centrale et Australe, Asie, Amérique du Sud et Europe). Si l’histoire du mouvement paysan dans ces continents et le contexte dans lequel ces leaders évoluent ne sont pas semblables à ceux d’Afrique de l’Ouest, on retrouve de nombreuses similitudes dans leurs missions et responsabilités.
Ce numéro n’a pas pour ambition d’être exhaustif et de traiter de toute la diversité des situations, des expériences, des enjeux et des points de vue ! Les leaders paysans d’aujourd’hui ayant en effet des profils, des parcours, des missions et des visions variés, nous ne pouvons, au travers des témoignages recueillis, que donner un aperçu de cette diversité. Vos contributions pour débattre des éléments de témoignages présentés et pour les compléter sont les bienvenues !
Remerciements
Nous remercions pour leurs contributions toutes les personnes qui ont accepté de témoigner à travers des interviews — parfois assez longues ! — sur leur expérience et leur vision, ainsi que tous ceux qui nous ont aidés dans la collecte de ces paroles d’acteurs, et en particulier les équipes d’Afdi, d’Agriterra, de Jade Production, de Fert, Voninandro Harrivel- Pelon et Joachim Saizounou. Nous tenons également à remercier Loïc Barbedette, Jean-Claude Devèze et Dominique Gentil pour leurs conseils avisés lors de la préparation de ce numéro. Nous remercions également le Fida qui a ouvert et facilité les contacts avec les participants du Forum Paysan en février 2010, nombre d’entre eux ayant accepté de témoigner pour ce numéro. Ce numéro a été coordonné par Nathalie Boquien. Tous les articles sont signés de la rédaction de Grain de sel.