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Ceci est un article de la publication "48 : Mécanisation et motorisation agricole en Afrique : entre mythe et réalités", publiée le 15 décembre 2009.

La motorisation est-elle utile aux exploitations familiales du bassin cotonnier malien ?

Patrick Dugué/Pierre Girard

Mécanisation - MotorisationMali

À partir des résultats d’une étude d’impact de la motorisation sur le fonctionnement des exploitations agricoles familiales de Koutiala au Mali, les questions de rentabilité de l’investissement dans le tracteur et de l’impact de son utilisation sur la fertilité des sols sont posées.

Au cours de l’année 2006, la promotion de la motorisation agricole prend de l’ampleur au Mali avec la vente à crédit par l’État de 300 tracteurs au « monde paysan » et la construction d’une usine d’assemblage de tracteurs en partenariat avec une entreprise indienne. Avant cela, de 2003 à 2005, la Coopérative des exploitations motorisées de Koutiala (CEMK) a importé de France 20 tracteurs de 65 CV d’occasion avec l’appui d’Afdi Aveyron. Ces acquisitions ont été réalisées grâce à des crédits octroyés par la banque rurale Kafo Jiginew. Suite à un faible taux de remboursement du crédit, Afdi Aveyron avec l’appui du Cirad a souhaité mieux caractériser les impacts de la motorisation sur les systèmes de production. Ce texte présente les principales conclusions de l’étude réalisée auprès de 38 exploitations familiales dont 21 motorisées suite à la campagne agricole 2006/2007.

Qui sont les exploitations motorisées ?
Les exploitations disposant d’un tracteur sont toutes de type familial, avec un chef d’exploitation assez âgé et plusieurs ménages : en moyenne 23 actifs pour 63 bouches à nourrir et 42 ha de cultures pluviales. L’acquisition d’un tracteur a été facilitée par la grande taille des familles car les surplus dégagés par les actifs s’additionnent. Elle fait suite à une logique antérieure d’accumulation du capital facilitée par la régularité des revenus cotonniers. Avant d’avoir un tracteur, ces familles possédaient en moyenne 5 paires de boeufs et certaines avaient déjà acquis des tracteurs de marque Bouyer vulgarisés au début des années 80 par la Compagnie malienne de développement des textiles (CMDT). Ces exploitations motorisées sont pour la plupart tenues par les familles fondatrices des villages qui contrôlent une bonne partie du foncier cultivable.

Une augmentation limitée des surfaces.
Dans la région de Koutiala, le recours au tracteur peut difficilement entraîner une augmentation de la superficie cultivée : les terres en friche, surtout situées sur des sols gravillonnaires peu profonds, sont souvent réservées au pâturage en saison des pluies, et les terres agricoles sont cultivées en continu sans recours à la jachère. Dans ce contexte les agriculteurs non motorisés pourraient céder une partie de leurs champs aux agriculteurs motorisés, mais cela semble être une pratique exceptionnelle, le marché de la terre n’étant pas officiel, et chaque famille préservant son capital foncier. Selon les agriculteurs non motorisés, les risques d’une monopolisation des terres par les « motorisés » semblent faibles même si la possibilité législative récente d’immatriculation foncière pourrait le permettre.
Les tracteurs sont équipés le plus souvent d’outils à disques (charrue, crover-crop) pour réaliser un travail du sol superficiel. Les autres opérations culturales — sarclage, démariage et récolte — sont réalisées manuellement ou en traction bovine faute de matériels adaptés au tracteur. Ces travaux d’entretien nécessitent beaucoup de main d’oeuvre, rare dans la région à ces périodes de pointe de travail. Ainsi, dans les campagnes maliennes, contrairement aux pays européens, le tracteur n’est pas à l’origine de l’exode rural.
Au vu de ces deux éléments — contrainte foncière, chaîne d’équipement incomplète — le gain de surface cultivée par actif est peu significatif : 1,97 ha/ actif pour les motorisées contre 1,92 ha/ actif pour les exploitations possédant deux paires de boeufs de labour.

Augmentation du rendement et fertilité des sols.
L’augmentation des superficies cultivées étant limitée, l’accroissement du produit brut des exploitations motorisées doit passer par une augmentation du rendement afin de rentabiliser l’investissement « tracteur ». La motorisation devait permettre de labourer rapidement en valorisant les premières pluies (fin mai, début juin) afin de semer précocement les parcelles de cotonnier et de maïs, ce qui favorise l’obtention de bons rendements. Cet impact attendu de la motorisation est très recherché aujourd’hui au vu de l’accentuation des aléas pluviométriques.
Cependant, notre étude portant sur la campagne agricole 2006-2007 n’a pas pu mettre en évidence une augmentation du rendement par rapport aux exploitations non motorisées. Soit le calendrier de semis a été peu modifié par la motorisation, dans ce cas les chefs d’exploitation ont certainement du mal à combiner opérations culturales manuelles et motorisées et à gérer un grand nombre d’actifs familiaux. Soit la faible fertilité du sol constitue un facteur prépondérant limitant la production.
L’utilisation des résidus de culture pour fabriquer de la fumure organique est une pratique courante dans la zone de Koutiala, quel que soit le niveau d’équipement des exploitants. Même si la motorisation leur permet de récolter plus facilement de grandes quantités de résidus de culture (pailles de céréales, tiges de cotonnier), ils mobilisent autant le couple âne-charrette pour cela, afin de réduire la dépense en carburant. Au final, les apports de fumure organique par unité de surface cultivée dans les exploitations motorisées ne sont pas supérieurs à ceux observés dans les exploitations en traction animale, car vu la grande superficie cultivée le ratio bovin/ha cultivé dans les exploitations motorisées est inférieur à celui des exploitations en culture attelée (respectivement 1,2 bovins/ha et 1,56 bovins/ha).
Par contre les exploitations motorisées proches de Koutiala valorisent le tracteur pour transporter des déchets ménagers urbains ou issus des usines d’égrenage de coton, ce qui permet d’augmenter sensiblement la quantité de fumure organique disponible pour leurs cultures.
Afin de faciliter le passage de la charrue pour le labour motorisé et de limiter la détérioration du tracteur, les agriculteurs ont généralement procédé à un dessouchage poussé des parcelles. Une moindre densité d’arbres et d’arbustes dans les champs diminue les transferts verticaux de fertilité, et le labour avec un outil à disques réalisé dans des conditions trop sèches peut accroître les quantités de terre érodée. Inversement un labour réalisé en sol trop humide va entraîner un tassement du sol et un mauvais enracinement des cultures. Des mesures précises au champ comparant les effets des divers modes d’implantation des cultures seraient nécessaires pour conclure sur ce point.

Une rentabilité assurée par les travaux motorisés en prestation.
Étant données les charges supplémentaires (réparations, gasoil) et l’augmentation limitée de la production agricole liées au tracteur, le revenu dégagé par les exploitations motorisées ne permet pas toujours de rembourser le crédit contracté. L’augmentation du revenu agricole et la rentabilité de l’investissement ne peuvent donc être assurés que par des prestations de service : le battage des céréales, le labour et dans une moindre mesure le transport (respectivement 62%, 30% et 8% de la valeur des revenus issus des prestations). Ces prestations participent pleinement aux frais d’entretien et de réparation du tracteur et au remboursement du prêt. L’importance des prestations dans le revenu agricole explique que plusieurs agriculteurs enquêtés veuillent acquérir un deuxième tracteur. Cependant, avec les multiples opérations de promotion de la motorisation et la paupérisation d’une partie des agriculteurs dans la zone du fait de la crise cotonnière, on peut penser que ce marché sera rapidement saturé.

Des conséquences sociales variables.
Dans certaines exploitations, le temps de travail libéré par le labour au tracteur permet aux hommes de s’investir plus dans les travaux de semis et de démariage traditionnellement dévolus aux femmes. Celles-ci ont alors plus de temps pour cultiver leurs parcelles individuelles, faire du petit commerce ou transformer les noix de karité en beurre. Les femmes soulignent que les boeufs de trait des exploitations motorisées sont plus disponibles pour labourer leurs parcelles individuelles. Cependant, dans d’autres exploitations sans contrainte foncière forte, la motorisation a permis d’accroître la surface cultivée et de ce fait la quantité de travail pour le semis, le sarclage, le démariage et la récolte réalisés en grande partie par les femmes ce qui a augmenté leur charge de travail.
Les effets de l’introduction du tracteur sur la cohésion familiale et le maintien des grandes exploitations patriarcales sont variables suivant les familles. Aucune des exploitations motorisées enquêtées ne s’est pour le moment scindée même si, pour certaines, la gestion du tracteur est source de mésententes : prestige social pour celui qui conduit le tracteur, réallocation des taches manuelles à d’autres, etc. Pour d’autres exploitations, le tracteur est plutôt un élément qui contribue à la cohésion familiale car il est vu comme une source d’augmentation des revenus qu’il faut à tout prix conserver et donc bien gérer.
Au final, le bilan de la motorisation agricole chez les adhérents de la CEMK est mitigé. La motorisation des travaux culturaux n’a pas été à l’origine d’une augmentation de la production, du moins pour la campagne agricole 2006/07. Pour améliorer la rentabilité de cet investissement, les agriculteurs explorent diverses pistes comme la motorisation du sarclage et du buttage et le transport sur de plus longues distances de matières organiques.
Le développement de la motorisation au Mali repose sur l’accumulation en capital des plus grandes exploitations et de certains commerçants. Il diffère du modèle des régions de polyculture élevage françaises des années 50/60, marqué par une présence forte des coopératives d’utilisation du matériel agricole (Cuma). Plus globalement, pour le développement rural de l’Afrique de l’Ouest, il ne faudrait pas entretenir le mythe d’une révolution agricole par la seule motorisation agricole qui ne peut concerner qu’une petite partie des agriculteurs (ceux qui sont solvables) contrairement à la culture attelée pour laquelle des progrès sont encore possibles. Il demeure néanmoins important de conseiller et d’accompagner les agriculteurs possédant des tracteurs afin qu’ils puissent rentabiliser leur investissement, et que les travaux culturaux motorisés n’aggravent pas la dégradation de la fertilité des sols de ces régions.

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