Au Bénin, l’État a mis en place le Programme de promotion de la mécanisation agricole (PPMA) qui a permis de mettre à disposition du monde paysan des tracteurs d’origines indienne et chinoise. Mais le bilan de la première campagne est mitigé du fait de la sous utilisation du matériel, des difficultés de paiement, et des nombreuses pannes survenues.
Le Plan stratégique de relance du secteur agricole (PSRSA) adopté en conseil des ministres en juin 2008 veut faire du Bénin une puissance agricole. Pour atteindre cet objectif, il est apparu indispensable que le gouvernement crée les conditions nécessaires pour réduire la pénibilité des travaux en agriculture, augmenter les surfaces cultivées et la productivité du travail. La mécanisation et la motorisation s’avèrent donc indispensables. Le document de la stratégie nationale de mécanisation adopté en 2005 a déjà balisé le terrain à cet effet. Il s’agissait seulement pour l’actuel gouvernement de passer à l’acte. Un fonds d’environ 10 milliards de FCFA a été mobilisé par le budget national pour engager les premières actions. Une structure légère, le Programme de promotion de la mécanisation agricole (PPMA), a été mise en place pour conduire les premières actions, le temps de la création d’une agence qui sera chargée du pilotage de la stratégie à long terme. Pour la toute première campagne, il s’agissait pour le PPMA d’acquérir des tracteurs, de les mettre en place suivant les conditions définies par le gouvernement et de suivre leur fonctionnement.
Du matériel d’origine indienne et chinoise.
« Pour garantir le bon fonctionnement des tracteurs à mettre en place, il était nécessaire de disposer des équipements de même type et de même origine » avait déclaré à la presse le coordonnateur du PPMA Monsieur André Okounlola Biaou lors d’un débat télévisé sur le sujet. En effet, le Bénin avait reçu en don une centaine de tracteurs de la Chine et de l’Inde. Pour assurer la maintenance de ces équipements qui ont été offerts aux Centres régionaux pour la promotion agricole (Cerpa), des cadres béninois avaient déjà été envoyés en formation dans ces pays. C’est pour profiter des expériences acquises par ces tractoristes béninois que le PPMA a orienté ses acquisitions vers ces deux origines. Ainsi, à travers des consultations restreintes auprès des fournisseurs agréés par les fabricants indiens et chinois, le PPMA a acquis en plusieurs lots 300 tracteurs avec différents accessoires pour la mécanisation des exploitations agricoles au Bénin. Pour compléter la gamme des tracteurs dont le besoin était pressant pour cette première campagne, le PPMA a acquis 4 essoucheuses d’origine canadienne. En prélude au démarrage de la deuxième campagne (2010-2011), d’autres lots de tracteurs certainement des mêmes origines sont en commande. « Nous sommes décidés à pousser très loin le niveau de motorisation de nos exploitations agricoles et le gouvernement nous accompagne dans ce sens en y mettant les moyens nécessaires » a affirmé le coordonnateur du PPMA.
Une répartition et une utilisation problématiques.
Pour la première campagne (2009-2010) de motorisation, on distingue 4 types de bénéficiaires. Il y a les exploitants individuels, les groupements de producteurs, le programme d’insertion des jeunes dans l’agriculture et les centres de formation. Les centres de formation et les différentes ramifications régionales du programme d’insertion des jeunes dans l’agriculture sont d’office attributaires respectivement de 5% et de 10% du nombre total des tracteurs acquis par le PPMA. Par contre, les exploitants individuels et les groupements doivent formuler des demandes dont la satisfaction dépend fortement de la disponibilité. « Pour un total de 225 tracteurs à distribuer, nous avons reçu plus de 1 500 demandes et ça continue » a signalé le coordonnateur du PPMA.
Le Centre régional pour la promotion agricole (Cerpa) Atlantique Littoral a reçu 24 tracteurs de 30 CV et 10 de 60 CV. Tous les tracteurs ne sont pas accompagnés des accessoires. « Le matériel est déjà fonctionnel chez ceux qui ont eu des équipements complets tandis que les autres attendent encore » nous a indiqué le directeur général. Selon lui, « il est encore trop tôt pour apprécier l’impact de l’opération ». On note, par endroits, des augmentations d’emblavures liées à la motorisation. Il faudra cependant attendre la fin des récoltes pour apprécier l’impact sur la production.
À Copargo, le producteur Moudachirou Alaza qui a obtenu le seul tracteur de la commune — un tracteur de 30 CV au lieu de 60 CV demandé — ne peut pas jouir de cette acquisition. Il continue de travailler à la houe et en traction animale et pour cause. « Le tracteur est d’une puissance trop faible pour le sol ce qui provoque des pannes trop fréquentes de cassure des pièces (charrues, arbre, etc.), un labour trop lent (2 ha par jour) ». Actuellement le tracteur est garé à la gendarmerie de la localité. À Parakou par contre, aucun exploitant individuel n’a pu obtenir de tracteur. Les tracteurs sont sous la gestion du Centre communal pour la promotion agricole (Cecpa). Les producteurs bénéficient des prestations de services (labour et semis) contre 30 000 FCFA par ha. À Gogounou, pour des raisons que le producteur Togou Nourou ignore, les nouveaux tracteurs ne sont pas encore fonctionnels. « Seuls les tracteurs de la mairie qui sont là depuis plus de 3 campagnes continuent de faire le travail ».
Banikoara est la première commune de production cotonnière du Bénin. Six producteurs individuels ont reçu chacun un tracteur de 60 CV et un seul a reçu un tracteur de 30 CV. D’après les statistiques fournies par le Cecpa, cette acquisition aurait permis de faire passer les superficies emblavées pour les cultures vivrières (céréales, légumineuses, maraîchage, racines et tubercules) de 58 429 ha pour la campagne 2008-2009 à 79 225 ha pour la campagne 2009-2010 !
Presque toutes les communes abritent des domaines attribués au Programme d’insertion des jeunes dans l’agriculture. La commune de Banikoara a reçu à elle seule 4 tracteurs dans le cadre de ce programme (1 de 60 CV et 3 de 30 CV). À Kika dans la commune de Tchaourou, c’est environ 130 ha de maïs qui ont été emblavés par les jeunes de ce programme à l’aide des tracteurs mis à leur disposition par le PPMA. Pour le moment, les opérations faites avec les tracteurs sont le défrichage et le labour à plat. Les autres opérations suivront au fur et à mesure que les tractoristes acquerront plus de compétences. Parlant de formation, le coordonnateur du PPMA assure : « Nous avons organisé en début de campagne deux sessions de formation au profit des acquéreurs et des utilisateurs des tracteurs. D’autres sessions sont programmées pour la campagne prochaine ». Ces formations devront permettre l’utilisation plus efficiente des tracteurs et des accessoires.
Un rapide tour dans les Cerpa bénéficiaires des machines agricoles montre que moins de deux tracteurs sur trois marchent. Les pannes sont trop fréquentes et bon nombre d’acquéreurs ont tout simplement garé les tracteurs dans les gendarmeries. « Nous avons en construction sur toute l’étendue du territoire 15 centres de réparation des équipements agricoles avec des boutiques de vente des pièces de rechange » a indiqué le coordonnateur du PPMA.
Malgré les conditions très alléchantes de paiement, les tracteurs ne sont toujours pas à la portée de tous les exploitants. Pour un tracteur de 60 CV dont la demande est la plus forte, il faut payer 6 millions de FCFA ce qui représente 50% de son coût réel de cession. Ce montant est payable sur 4 ans. La première tranche de 20% est payable à l’enlèvement, 30% la deuxième et la troisième année et les 20% restant la quatrième année. Les tracteurs de 30 CV coûtent 4,5 millions et les conditions de paiement sont les mêmes. Mais la demande pour ce type de tracteur est très faible. Ceux qui l’ont reçu ne s’en servent pas et le PPMA devra trouver une solution à cette difficulté de terrain.
Pour cette première campagne, l’opération mécanisation a donc déjà du plomb dans l’aile. À la confusion totale qui entoure les conditions d’attribution des tracteurs, il faut ajouter les pannes trop fréquentes qui laissent penser à une autre erreur du gouvernement, à mettre encore une fois sur le compte de la précipitation.
Qu’est-ce que le Team 10 ?
Le programme Team 10 (qui signifie, en français : Approche technico- économique pour la coopération entre l’Afrique et l’Inde) a été mis en place en mars 2004 entre l’Inde et 8 pays africains : le Burkina Faso, le Tchad, la Côte d’Ivoire, la Guinée Équatoriale, le Ghana, la Guinée-Bissau, le Mali, et le Sénégal. Le Niger y a été inclus par la suite, puis le Bénin. À travers ce programme, l’Inde souhaite intensifier sa coopération avec les pays d’Afrique de l’Ouest.
Une ligne de crédit préférentielle de 500 millions de dollars US a été allouée par l’Inde aux 10 pays africains, pour une assistance financière à divers programmes prioritaires, et notamment la mécanisation de l’agriculture à travers l’achat d’équipements agricoles indiens.
Le Burkina Faso a ainsi acquis 700 tracteurs et 1 200 motopompes, le Mali 300 tracteurs et 450 divers matériels (pulvérisateurs, batteuses à riz, remorques), le Bénin 300 tracteurs équipés, etc. Les pays concernés mettent ensuite en vente ces matériels, souvent avec une subvention (50% pour les tracteurs dans plusieurs pays) et à crédit sur 3 à 5 ans. Si en théorie les bénéficiaires sont les producteurs agricoles, les premiers résultats (faible nombre de tracteurs achetés, difficultés de remboursement) ont obligé les pays à rechercher des acquéreurs différents (grands producteurs, cadres et ministres) ou de tenter des locations (Niger).
Le deuxième volet de ces programmes de mécanisation concerne la construction d’usines d’assemblage et de montage des tracteurs, comme au Mali (usine de Samanko, d’une capacité de 8 à 12 tracteurs par jour) ou au Tchad (usine de N’Djamena, d’une capacité de 9 tracteurs par jour).
Certains pays, comme le Burkina Faso, ont par ailleurs accompagné ce programme d’un service après vente et d’un service de formation des tractoristes.