Depuis le début des années 2000, les motoculteurs rencontrent un succès important dans la région du Lac Alaotra au nord de Madagascar. Au delà d’un investissement quasi égal à celui de l’attelage traditionnel, c’est son caractère multifonctionnel qui séduit les populations.
La région du Lac Alaotra, située à 250 km au Nord de la capitale Antananarivo, a connu une formidable diffusion des petits motoculteurs chinois (appelés localement « Kubota » du nom de la marque japonaise qui y a été vulgarisée dans les années 70) au cours des dernières années. Ce phénomène est intéressant à étudier tant sur le plan de la façon dont cet équipement s’est inséré dans les pratiques locales que des facteurs qui ont permis cette mécanisation.
Les premières expériences de mécanisation de l’agriculture au Lac Alaotra remontent aux années 1930 avec la vulgarisation de la charrue brabant double attelée. Les premiers essais de motoculteurs à roues de fer datent des années 1940. Tandis que les opérations de vulgarisation des premiers motoculteurs ont démarré dans les années 1970-1980 avec démonstration des possibilités de substitution aux travaux attelés traditionnels. Mais le vrai boom des motoculteurs au Lac Alaotra est récent.
Rôle de la mécanisation agricole en riziculture irriguée dans la région du Lac Alaotra.
La riziculture est la première activité agricole dans la région du Lac Alaotra, véritable grenier à riz de Madagascar. La riziculture irriguée se concentre dans les bas fonds et les plaines. Sur 100 000 ha dans la plaine du lac, 30 000 ha ont été aménagés pour l’irrigation de 1930 à 1991. Ce type de riziculture est fait sur des sols lourds de type hydromorphes tourbeux allant du limoneux au sablo-argileux, avec un apport alluvionnaire. La forte descente de la nappe phréatique en période sèche réduit fortement les possibilités de cultures de contre-saison. La sécheresse rend le sol très compact pendant l’intersaison. La préparation du sol nécessite ainsi un labour assez profond (20 à 30 cm) et régulier pour assurer un bon lit du semis et un bon repiquage. Le labour joue un rôle déterminant pour la production car il permet d’enfouir les mauvaises herbes non appétées par les zébus en contresaison. Ce labour est suivi d’un passage à la herse pour émotter et, dans certains cas, est suivi d’un piétinement par les zébus pour disposer d’une boue dans laquelle le riz est repiqué.
Le riziculteur en périmètre irrigué est soumis à des obligations de coordination de ses activités avec les autres usagers de l’eau pour respecter le calendrier cultural dicté par la date prévisionnelle du lâché d’eau du barrage et le photopériodisme de la variété Makalioka qui y est largement plantée. Tout retard est sanctionné par une baisse significative des rendements. Le travail de préparation du sol, avant sa mise en eau, requiert une force de travail qui, au Lac Alaotra se fait le plus souvent à la charrue de type Bajac, attelée avec deux paires de zébus. Il est alors fréquent en système traditionnel que chaque exploitation détienne au moins deux paires de zébus, également utilisés pour le transport (charrette) et pour le battage du riz. L’exploitant doit donc disposer d’un parc à boeufs, d’un bouvier et d’une aire de pâturage. Une alternative est de louer les zébus pour des travaux à façon. Puisque toutes les demandes arrivent au même moment, la disponibilité des zébus influe fortement sur les coûts de ces travaux.
La recrudescence des vols de boeufs depuis les années 80 et la réduction des aires de pâturage, due à l’extension des cultures sur les collines combinée à la dégradation des ressources fourragères, ainsi qu’à l’insuffisance de la couverture de soins vétérinaires ont réduit l’offre en boeufs de trait. L’ensemble de ces facteurs a contribué au développement des motoculteurs, alternative plus rapide et indépendante des aires de pâturages.
De la traction bovine au motoculteur : un changement majeur dans le paysage.
Malgré plusieurs tentatives antérieures de mécanisation dans la région du Lac Alaotra, le vrai boom coïncide avec une conjonction d’opportunités dans les années 2000: 1) L’arrivée sur le marché de motoculteurs chinois « bon marché » qui ont bénéficié de la part du gouvernement d’une détaxation à l’importation en 2002 pour promouvoir l’agriculture mécanisée. Ces motoculteurs sont d’autant moins onéreux qu’ils arrivent en « pièces détachées » dans des conteneurs (ce qui en réduisant l’encombrement diminue les coûts de fret) et sont montés sur place par les revendeurs locaux à bas coût (le montage ne nécessite pas de main d’oeuvre qualifiée) ; 2) Le moindre intérêt pour les attelages à quatre zébus pour les diverses causes mentionnées plus haut (vol, maladie, alimentation, gestion des animaux, etc.) ; 3) La possibilité de générer un complément de revenus en diversifiant les usages du motoculteur : service de travail à façon auprès des autres producteurs, utilisation comme moyen de transport, etc. ; 4) Enfin l’amélioration du prix de vente du paddy donnant les moyens financiers de l’acquisition de ces motoculteurs.
L’acquisition d’un boeuf de trait coûte 800 000 Ariary en 2009 (300 euros) soit 3 200 000 Ariary pour quatre têtes (1200 euros) sans compter les coûts de dressage, gardiennage, alimentation et entretien.
Si le tracteur agricole reste hors d’atteinte pour la plupart des exploitations familiales du Lac, un motoculteur de 15 CV est proposé sur le marché à partir de 3 500 000 Ariary en 2009 (1 320 euros), pratiquement équivalent au prix d’un attelage bovin équipé d’une charrue. L’entretien est beaucoup plus simple que celui d’un tracteur et reste à la portée des exploitations familiales : des garages pouvant entretenir ou réparer les motoculteurs se trouvent dans presque chaque village bordant les routes, et certains revendeurs assurent même un service après vente. Ces derniers disposent de jeux de pièces de rechange pour toutes les pièces courantes (courroies, câbles, filtres, carburateurs, segments, pistons). L’approvisionnement en carburant se fait de manière régulière via 5 stations services présentes dans la zone et un réseau de taxi brousses assurant le transport de fûts de carburant sur leurs trajets.
L’adaptation du motoculteur pour le transport (fixation d’une remorque) est relativement facile. Ces « motoculteurs transporteurs » supplantent de plus en plus les charrettes traditionnelles. L’activité de service de transport est très appréciée par les villageois car les motoculteurs desservent des axes que n’atteignent pas les transports publics (« taxi-brousses »). Rançon du succès de ces motoculteurs, les autorités communales ont dû prendre des mesures pour que les conducteurs de motoculteurs transporteurs soient initiés au code de la route. Ainsi, 445 conducteurs ont été formés en maintenance et conduite durant la période 2006 à 2009.
Les paysans deviennent ainsi de plus en plus mobiles et les produits agricoles peuvent être plus rapidement transportés sur des distances plus grandes. Si la charge maximale pour une charrette est d’environ 500 kg, les remorques associées aux motoculteurs peuvent charger 1 000 kg, pour un motoculteur de puissance moyenne (15 CV).
Il n’est pas rare également de voir de petites unités de décortiqueries rurales alimentées en énergie par les motoculteurs dont le moteur relié à une dynamo est exploité comme groupe électrogène, ou parfois directement relié aux machines.
Depuis 2002, le nombre de motoculteurs est en progression constante au Lac Alaotra. Une enquête auprès de 120 exploitations (Durand C., Nave S., 2007) a révélé en 2007 un taux de diffusion de 9% des motoculteurs dans les exploitations. La même année, sur les 919 exploitations suivies par le projet BVLac, 71 disposaient d’un ou plusieurs motoculteurs (soit 8% des exploitations) avec un maximum de 5 machines pour une seule exploitation. Les boeufs de trait sont toujours utilisés dans 46 de ces 71 exploitations, en complémentarité avec le motoculteur : les motoculteurs sont alors plutôt affectés aux travaux des rizières, et les attelages bovins réservés aux terrains situés sur les collines, pour le travail de préparation des sols, le transport des intrants (fumier, poudrette de parc), et le transfert des récoltes jusqu’à des points accessibles aux motoculteurs.
Cette progression de la mécanisation au Lac Alaotra montre comment une synergie de facteurs a joué pour pallier la carence de la traction animale. L’appui de l’État, la dynamique productive de la région, l’incitation du marché et l’aptitude de l’équipement à répondre à plusieurs types de besoins, ont permis aux motoculteurs de pénétrer de façon significative ce milieu rural.
Récupération mécanique des sols dégradés à la charrue Delphino : une technique efficiente en zone sahélienne
La charrue Delfino, inventée par un ingénieur italien (V. Vallerani) pour la restauration mécanisée à grande échelle des glacis et autres terres marginales a été expérimentée à la fin des années 1990 par la FAO dans les régions sèches du Burkina Faso et du Sénégal. La technique permet de réaliser de façon mécanique des tranchées ou de micro-bassins en forme de demi-lunes qui collectent les eaux de ruissellement des pluies.
Du point de vue de la productivité du travail, un tracteur de 180 CV et une charrue permettent potentiellement de réaliser de 10 à 15 ha/jour, ce qui aurait nécessité au moins 142 jours de travail pour une personne en travail manuel.
Cette technologie est aussi bien utilisable pour l’agriculture que pour l’amélioration des pâturages et pour le reboisement. Le coût de réalisation par hectare est évalué de 40 à 50 $US. Plusieurs intervenants étatiques et ONG y ont recours de nos jours au Burkina Faso.
L’évaluation agronomique et environnementale de cette technologie au Nord Burkina a montré ses effets spectaculaires sur la régénération de la végétation herbacée et l’amélioration des rendements, avec un doublement des rendements céréaliers (mil-sorgho) soit en moyenne de 1 200 à 1 500 kg/ha.
Selon l’inventeur de la technologie, son coût/bénéfice serait supérieur à un rapport de 1/4. Les conclusions de l’étude de la FAO de 1999 confirment cette tendance. Selon cette étude, les impacts économiques et financiers de 40 à 56 $/an en année 1 seraient jugés suffisamment importants pour permettre aux collectivités rurales de prendre en charge les frais d’utilisation de ces équipements au bout de 2 à 3 ans, voire de les renouveler si besoin au bout de 7 à 8 ans. Ceci montre qu’il existe, dans certaines conditions, des formes de mécanisation utiles et valorisables par les pays sahéliens, ne constituant pas un investissement trop lourd et pouvant être supporté par les pays, et plus particulièrement par les collectivités rurales.
L’étude du Cilss en 2009 dans la région sahélienne du Burkina Faso a montré que, associée au semis direct d’espèces forestières, la technologie est économiquement très efficiente car elle permet d’obtenir une densité ligneuse au moins deux fois plus économique que les techniques habituellement utilisées.
La mécanisation avec la charrue Delfino, si elle est correctement utilisée, peut ainsi être un excellent catalyseur et accélérateur pour la restauration du potentiel agro-sylvo pastoral et le développement dans les régions arides.
Edwige Botoni, Bertrand Reysset, Sibiri Ouedraogo