On les appelle producteurs pilotes, paysans formateurs, auxiliaires de santé animale ou paysans relais : depuis près de dix ans, au sein d’organisations de producteurs, des agriculteurs assument la fonction de conseil auprès de leurs pairs. Retour d’expériences au Burkina Faso, au Kenya et à Madagascar.
Convaincues de l’importance d’un conseil agricole orienté par la demande, les organisations de producteurs (OP) ont développé dans les années 1990 des dispositifs reposant sur des techniciens salariés. Face à l’ampleur des besoins en services de proximité et la baisse des financements, la figure de paysans relais émerge pour assurer l’interface entre l’OP faitière et les groupements de base dont ils font partie.
Le paysan relais combine un savoir endogène et la connaissance de techniques expérimentées sur sa propre exploitation. Il a une forte capacité de persuasion et sa crédibilité est d’autant plus grande qu’il entretient des relations de proximité avec eux. Enfin, contrairement aux techniciens qui vont et viennent au gré des financements disponibles, les paysans relais sont plus résilients et assurent un service minimum en toute circonstance. Ils se distinguent par leur charisme, leur niveau de technicité et leurs qualités relationnelles. Choisis par leurs pairs, ils sont formés sur des aspects techniques et à l’animation.
À chaque organisation sa formule. Mandatés par leurs groupements, les paysans relais assument des missions variées comme en témoigne un paysan malgache : « J’interviens dans un rayon limité, je suis connu par tout le monde. J’assume les fonctions que mon groupement m’attribue, même si ce n’est pas contractuel, juste verbal ». Ainsi, au Burkina Faso, les animateurs endogènes forment aux pratiques agroécologiques ; à Madagascar, les paysans relais se spécialisent et dispensent des prestations pour lesquelles ils sont rémunérés (vaccination animale, vente de semences, etc.). Au Kenya, les farmers trainers vont jusqu’à animer des réunions d’analyse de résultats technico- économiques. Ils sont motivés par les opportunités en termes d’accès aux innovations et de renforcement de capacités. Ils ont aussi envie de partager leurs connaissances avec leurs pairs, ce qui leur confère une reconnaissance sociale. Pour certains, ce statut est l’occasion d’avoir un revenu supplémentaire, d’acquérir du petit matériel, de gagner en responsabilités. Certains passent même plus de temps hors de leur ferme et sont courtisés par d’autres. « Au Kenya, les farmers trainers sont approchés par les entreprises d’intrants… ils sont parfois plus intéressés par vendre des produits que par former leurs pairs ! » constate la Cereal Growers Association. Se pose alors la question des conflits d’intérêts et de la motivation, entre ambition personnelle et engagement communautaire.
Un paysan formateur au Kenya, animant une formation sur le cash-flow dans le comté de Narok.
Un maillon complémentaire. À l’échelle d’une région, l’OP doit assurer un accompagnement technique très demandé par les paysans relais pour permettre la mise à jour de leurs compétences. Les paysans relais ne se substituent pas aux conseillers salariés de l’OP, mais consolident leur action en élargissant le nombre d’exploitations agricoles suivies. Or, la tentation est grande d’abandonner les conseillers rémunérés au profit de paysans relais bénévoles. « Il y a un risque que le paysan relais se transforme en technicien qui n’a plus le temps de s’occuper de son propre champ » témoigne un responsable de Fifata à Madagascar. Or, c’est bien le binôme conseiller salarié – paysan relais qui permet un conseil de qualité et une diffusion à plus grande échelle.
Un dispositif peu coûteux. Le dispositif paysan relais est peu coûteux. Il n’y a pas de rémunération versée ; seule une indemnité pour les déplacements effectués ou pour compenser l’absence sur leur exploitation est parfois donnée. Ce qui rend originale cette forme de conseil est la prise en charge par le paysan relais lui-même, ou par son groupement de base, des frais de déplacement et des repas, définis au cas par cas dans les règlements intérieurs de ces groupements. Selon les cas, ces coûts peuvent être en partie financés par l’OP faîtière. Le président de la société coopérative de Dablo, au Burkina Faso explique : « Au niveau de notre coopérative, chaque coopérateur contribue en nature en donnant deux boites de niébé par an aux animateurs endogènes ». Et au Kenya, un autre paysan : « Oui, cela engendre des coûts mais je suis payé indirectement par les marges sur la vente de produits par exemple ».
Conscients des défis liés à la pérennisation de ces services, les producteurs et leurs organisations semblent avoir trouvé, avec les paysans relais, une alternative encourageante et adaptable à la diversité de leurs contextes. Pour l’avenir, il sera intéressant d’apprécier plus finement l’impact de ces nouveaux acteurs du conseil.
Amandine Schlur (a.schlur@fert.fr) est chargée de projets à Fert et animatrice d’un groupe de travail sur le conseil agricole entre techniciens de Fert et d’organisations de producteurs partenaires en Afrique Subsaharienne.
Ibrahim Sana est chargé de l’accompagnement des organisations de producteurs de niébé au Burkina Faso pour Fert.
Ando Ravoninahitra est coordinateur de Cap Malagasy, organisation de conseil agricole membre du groupe Fifata à Madagascar.
Augustin Douillet est conseiller technique Fert auprès de la Cereal Growers Association (CGA) au Kenya et du groupe.
Pour aller plus loin vous pouvez lire le compte-rendu de la Table ronde Les paysans relais : Des acteurs clés pour des systèmes de conseil plus pérennes au plus près des agriculteurs, organisée le jeudi 20 juin 2019, à Nakuru, Kenya dans le cadre des rencontres internationales TransFert 2019.