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publié dans Ressources le 23 avril 2010

Entretien avec Faliry Boly, Secrétaire général du Syndicat des exploitants agricoles de l’Office du Niger (Sexagon) au Mali

Faliry Boly/Nathalie Boquien

Leaders paysan.ne.sOrganisations de producteurs et de productricesMali

Entretien réalisé par Nathalie Boquien (Inter-réseaux – Grain de sel) à Paris en avril 2010.

Grain de sel (GDS) : Quel est votre rôle en tant que secrétaire général du Sexagon ?
Faliry Boly (FB) :
Mon premier rôle c’est d’abord de partager avec les camarades à la base, de leur expliquer. Il faut que les réflexions et les informations soient partagées si l’on veut avoir une base qui suit, sans quoi on n’est qu’une locomotive décrochée de ses wagons ! Par exemple, en ce moment nous travaillons à un projet de remembrement. Tout est dans notre tête, il nous faut donc expliquer aux membres, et lors des rencontres, il y a beaucoup de questions qui sont posées. Nous n’avons pas forcément la réponse tout de suite, mais nous recensons les questions pour y réfléchir ensuite. Certains se demandent par exemple comment ils vont pouvoir payer leurs contributions d’accès à la terre, d’autes se demandent qui va gérer ces fonds et comment. Il nous faut approfondir ces questions. Dans ce cas précis nous avons décidé qu’il nous fallait une étude de faisabilité plus pointue pour avoir un argumentaire assez solide pour pouvoir approcher le gouvernement.

GDS : Quelles ont été et sont vos motivations pour vous engager dans le mouvement paysan ?
FB :
Je suis un citadin de naissance, je viens de la ville de Ségou. Mais j’aime l’agriculture et le monde rural, bien que je sois issu de la ville, et j’ai toujours été révolté par la condition des agriculteurs, j’ai toujours eu la préoccupation de lutter contre les injustices qui sont faites aux producteurs. J’ai un ami qui s’était installé en tant qu’agriculteur et qui voulait monter un syndicat. À l’époque je lui avais dit non, car je me disais que si les producteurs n’étaient pas décidés à faire ce syndicat par eux-mêmes, ce n’était pas la peine. Et puis en 1996, des producteurs sont venus me chercher alors qu’ils étaient en train de créer le Sexagon, ils souhaitaient que j’en sois le secrétaire général. À ses débuts le syndicat a suscité beaucoup d’enthousiasme dans le milieu rural. Nous étions sans cesse en réunions, ces réunions duraient la journée entière, on ne mangeait pas, ça traînait souvent en longueur, mais il y avait de l’enthousiasme ! C’est ce que j’appelle les années glorieuses du syndicat (de 1997 à 2000). À l’époque nous n’avions pas de siège, l’Office nous refusait les salles de réunion ce qui fait qu’on tenait souvent les réunions à l’ombre des kaïcedras ou des manguiers. Nous ne voulions pas chercher des financements extérieurs car nous voulions rester indépendants, ainsi les leaders payaient de leur poche pour les réunions, les déplacements, et les villages apportaient leurs contributions. Tout ceci suscitait beaucoup de craintes au niveau de la classe dirigeante politique et administrative. On a essayé de nous mettre des bâtons dans les roues mais très vite aussi le syndicat a organisé des marches, ce qui a contribué à effrayer les autorités.

GDS : Et aujourd’hui comment parvenez-vous à dialoguer avec les autorités ?
FB :
Je crois que le point essentiel, c’est l’information, car quand votre interlocuteur sait que vous avez suffisamment d’informations, cela peut le mettre mal à l’aise mais il a aussi plus de respect pour vous. La rétention d’informations est une habitude très ancrée dans nos administrations, donc il est très important pour les leaders d’être bien informés par ailleurs, d’avoir accès aux actualités, à ce qui se passe, cela leur permet même parfois d’avoir une longueur d’avance sur les fonctionnaires ! Par exemple, lors de la création du syndicat, nous n’avions pas d’expérience dans le syndicalisme. Nous avons donc organisé une formation, qui s’est tenue en 1997 à Niono, et nous avions fait appel à un juriste pour l’animer. L’objectif était de nous faire connaître ce qu’est le syndicalisme et d’avoir une idée claire sur nos droits. Par la suite, lorsque le gouverneur [de la région] nous a dit que notre syndicat n’était pas légal, nous avons pu lui répondre qu’il se trompait et citer la charte qui l’autorisait, ce que nous avions appris lors de la formation. Il a été impressionné et cela a forcé son respect envers nous.

GDS : Y a-t-il des négociations que vous avez déjà menées avec succès?
FB :
Oui, il y a par exemple ce qui concerne la redevance pour le maraîchage dans la zone Office du Niger. Nous avions demandé à ce que cette redevance soit réduite, de façon à décourager les producteurs de faire du riz de contre-saison, et à les inciter à faire du maraîchage. Car, à cause du riz de contre-saison, les problèmes d’eau sont de plus en plus important et la nappe phréatique remonte, il y a des problèmes de salinisation… Pour cela nous avons commencé par faire une série de propositions à l’Office du Niger. Mais à l’époque, en 1997, cela avait été très mal pris. Les personnes de l’ON n’imaginaient pas que les producteurs puissent faire eux-mêmes des propositions, c’était quelque chose de très nouveau ! Nous avons tout de même réussi à aller jusqu’à l’Assemblée nationale et à en rencontrer le président. Notre proposition a été rejetée par l’Assemblée et nous avons alors décidé d’organiser des marches, d’insister pour nous faire entendre. Ce n’étaient pas seulement les leaders qui en parlaient, c’était l’affaire de tous. Des leaders, dont moi-même, ont été mis en prison suite aux marches que nous avons organisées. S’ils en sont sortis c’est parce que la base les suivait et a tout fait pour les faire libérer. Si la base n’avait pas suivi, nous serions tous en train de croupir en prison… Et finalement nous avons obtenu une réduction de cette redevance qui est passée de 57 000 FCFA à 5 700 FCFA, vous imaginez !

GDS : Comment communiquez-vous avec la base, et comment leur expliquez-vous les enjeux nationaux ou internationaux qui sont assez complexes pour les paysans à la base ?
FB :
Il faut des réunions, des rencontres, il faut restituer. En fait, pour certains enjeux, il faut expliquer le contexte aux paysans. Par exemple, au départ en bambara je traduisais littéralement l’Organisation mondiale du commerce (OMC) comme « le marché mondial », mais aujourd’hui dans mon syndicat tout le monde connaît ce langage et sait ce qu’est l’OMC. Il en va de même pour le reste. Parfois il y a des détails qui m’échappent à moi-même, je ne peux pas tout expliquer. Mais l’important est que les producteurs comprennent dans l’ensemble quelles sont les forces qui sont en jeu, quelles sont les grandes influences, et quelle place nous avons dedans. Il faut qu’ils sachent ce qui peut les influences positivement ou négativement. C’est primordial.

GDS : Pour ces négociations, vous avez beaucoup de relations avec les autorités, n’est-ce pas difficile parfois de conserver son autonomie, de ne pas se politiser ?
FB :
C’est très difficile ! Car à partir du moment où un leader a la capacité de mobiliser du monde, à être écouté, les politiciens s’intéressent à lui, lui tournent autour. S’il cherche à leur échapper, ils le considèrent comme un opposant. Les politiciens ont peur de l’influence que peut avoir un leader paysan, surtout s’il a une large base qui le suit. Souvent eux-mêmes ne parviennent pas à mobiliser autant de personnes. Et finalement c’est encore plus dangereux d’être indépendant et libre des partis politiques car, pour eux, si tu n’es pas avec eux cela signifie obligatoirement que tu es contre eux ! À l’opposé, si on va dans leur sens, on est rapidement pris dans l’engrenage et cela devient dès lors difficile d’en sortir… Il faut donc bien faire la part des choses. Au Sexagon, notre président nous a toujours dit que nous pouvions être de tous les partis, mais qu’à l’entrée en réunion, on devait laisser nos chaussures à la porte car le syndicat n’est pas politisé. Le fait d’avoir des membres de tous les partis politiques est cependant une force pour nous. On en joue pour dialoguer et négocier avec les politiques, même si ce n’est pas toujours facile.

GDS : Qu’est-ce qu’un leader pour vous ?
FB :
Un leader, selon moi, c’est quelqu’un qui se bat pour une cause et qui place la raison de l’organisation devant ses propres raisons. C’est quelqu’un qui se donne entièrement, et qui peut gagner la confiance de la base. Être leader, cela vient du cœur. Pour être un bon leader il faut avant tout être honnête avec soi même et avec les autres ; c’est très important. Ensuite, il ne faut pas faire des organisations paysannes un tremplin pour se faire de l’argent, il ne faut pas essayer de faire carrière là-dedans. Être leader paysan, c’est mettre de côté ses ambitions personnelles. Les ambitions, tu les places dans le plan « commun » ! À l’heure actuelle, je crois que nous avons beaucoup de responsables dans nos organisations, mais peu de leaders, et les grands leaders d’Afrique de l’Ouest commencent à fatiguer. Il y a un réel manque de renouvellement de ces leaders, mais on aura beau former les gens, faire en sorte que le métier d’agriculteur soit plus facile, les instruire, on formera peut être des responsables mais pas des leaders !

GDS : Pensez-vous que l’on puisse tout de même former une relève ?
FB :
La formation, c’est bien, mais pas la formation des leaders. Si tu te dis que tu vas former des leaders tu risques de passer à côté. Qui est leader ? Qui ne l’est pas ? Tu vas identifier qui pour dire que c’est un leader et que tu vas le former ? Je pense que c’est quelque chose de beaucoup trop hasardeux, tu risques de former quelqu’un qui se dira ensuite qu’il est leader, alors qu’en fait il peut ne rien avoir d’un leader. S’il n’a pas la fibre dès le départ, une formation ne suffira pas à faire de lui un leader ! Par ailleurs j’ai connu des leaders qui n’étaient pas du tout instruits, des analphabètes. Il y a des leaders qui ne savent ni lire ni écrire, mais qui sont de grands leaders ! Ce sont des personnes qui ont appris sur le tas. Au niveau du Sexagon, j’en connais au moins deux comme cela. Ils comprennent tout, et très souvent quand on explique les problèmes, ils sont les premiers à réagir. Je crois qu’il est vain de vouloir préparer la relève. Pour moi c’est un faux débat, la relève ne se prépare pas de façon mécanique, ne doit pas venir de l’extérieur. À mon avis il faut plutôt travailler sur les conditions d’émergence des leaders que sur une formation formelle. Ainsi, si la communication est bonne dans l’organisation, la relève se fera automatiquement.

GDS : Comment agir sur les conditions d’émergence des leaders alors ?
FB :
Les responsables actuels ont un rôle important à jouer. Car les anciens responsables qui sont restés longtemps à la tête d’une organisation peuvent ensuite devenir des relais lorsqu’ils décident de revenir à la base. Ils peuvent expliquer beaucoup de choses aux producteurs, car ils disposent eux-mêmes de beaucoup d’informations. En étant capable de donner des explications aux paysans, en ayant du temps pour expliquer à la base quand il y a quelque chose de nouveau, ils peuvent ainsi permettre à de nouveaux responsables d’émerger. Car quand quelqu’un est là en permanence, il a la possibilité d’expliquer beaucoup plus facilement que quelqu’un qui ne fait que passer de temps en temps et qui repart ! Je pense donc que l’ancien leader doit être un relais auquel les gens peuvent avoir recours lorsqu’ils ont besoin de comprendre les choses, de se les faire expliquer. Car souvent les producteurs à la base se disent que les réunions ne les intéressent pas, que ce qui s’y dit ne les concerne pas. Pourtant ce qui se dit dans les réunions, ce n’est rien d’autre que leurs propres problèmes ! Quand je suis à l’OMC et que l’on parle d’agriculture, c’est de mon champs que je parle, et on ne peut pas dissocier les deux ! Ils ont besoin qu’on leur explique. Au Sexagon, plusieurs personnes ont déjà quitté le Bureau. Parmis eux, on retrouve deux catégories. Certains, après avoir quitté l’organisation, s’en sont désintéressé. D’autres par contre continuent à venir, à se tenir informés, et sont de très bons relais. C’est sur ces personnes là que nous nous appuyons en général pour faire passer des messages. Ce sont des personnes qui n’ont plus de mandats pour représenter les membres, qui sont redevenus de simples militants à la base, mais ces personnes sont restées des « personnes contact » par qui l’on fait passer des messages et que les autres membres sollicitent pour obtenir des informations.

GDS : Et y a-t-il y a d’autrs blocages qui empêchent les jeunes d’émerger en tant que leaders ?
FB :
Vous savez, tant qu’un leader reste à sa place, il est très difficile pour d’autres d’émerger. Un leader en place fait de l’ombre, et cela ne pousse pas les autres à s’investir davantage. À mon avis, si l’on veut que de nouveaux leaders s’impliquent, il faudrait que les anciens acceptent de partir. Il faudrait qu’ils laissent à d’autres la possibilité de prendre plus de responsabilités. Mais pour faciliter cela, il faut aussi que l’on aide les anciens à partir, il faut leur donner une autre place, il faut qu’ensuite ils deviennent des personnes ressources.

GDS : Qu’est-ce qui rend difficile le départ des leaders selon vous ?
FB :
Dans certains cas, c’est l’entourage même du leader qui le pousse à rester, car ces personnes tirent profit de la position du leader, elles y ont leur avantage. Mais dans d’autres cas, ce sont les membres de l’organisation eux-mêmes qui ne veulent pas changer de leader ; ils trouvent plus simple de conserver la même personne, ils ont peur du changement, et cela permet de garder une certains continuité dans les actions. Cela en pousse même certains à enfreindre le règlement… Je ne dis pas qu’il faille renouveler le leader à chaque mandat, à chaque AG, car sinon on risque de ne plus s’y retrouver, mais un leader ne doit pas non plus rester indéfiniment. Sinon il finit par devenir irremplaçable.

GDS : Vous m’avez dit que vous vous êtes formé plutôt sur le tas, pouvez-vous m’expliquer comment vous vous êtes formé ?
FB :
Effectivement, on peut dire que je me suis formé sur le tas, dans les difficultés, les épreuves. Quand on organise des revendications, qu’on va discuter avec les autorités, c’est très formateur ! Par exemple, nous venons de négocier des crédits pour la commercialisation au niveau de la fédération et des coopératives. Les négociations ont été très dures, mais c’est comme cela que l’on apprend au fur et à mesure. Tant qu’il n’y a pas de contradictions, de difficultés, tout semble facile et finalement il n’y a pas beaucoup d’échanges. Mais quand on se frotte aux difficultés, on échange entre nous et on découvre beaucoup de choses. Au niveau du syndicat, nous avons aussi traversé des moments très difficiles qui ont été formateurs, d’abord parce qu’ils nous ont appris à rester solidaire face à un adversaire commun. Ensuite dans la découverte des différents comportements de l’administration. Et enfin par l’apprentissage commun au fur et à mesure.

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