Entre 1999 et 2000, l’Inter-Réseaux Développement rural a animé un groupe de travail sur le financement des exploitations familiales. En réunissant des membres en France et au Sénégal et en produisant différents documents de travail, la dynamique avait permis de déboucher sur un numéro de Grain de Sel en 2000[[n°16, en ligne sur le site d’Inter-réseaux]] et une synthèse en 2001[[Gentil D., 2001 : Le financement des exploitations agricoles dans les pays en développement, synthèse des groupes de travail (1999-2000), débats et controverses, Document de travail, Inter-Réseaux Développement rural, 17 p. (disponible sur le site IR).]]. Depuis 2013[[L’usage de la bonification d’intérêt pour les crédits agricoles (AFD, Inter-Réseaux, janvier 2013) ; Comment les organisations paysannes peuvent-elles répondre aux besoins de financement des exploitations familiales ? (SOS Faim, AFD, mars 2014) ; Financement ou financiarisation du développement ? Approches globales, nationales et dans le secteur agricole (Gemdev-Cirad-Inter-Réseaux, novembre 2015) ; Fonds de développement agricole : de la nécessaire cogestion à la pérennité des services (Afdi, novembre 2015), Atelier régional de concertation et de réflexion sur le financement du secteur agricole (Roppa, octobre 2016).]], Inter-Réseaux a relancé les échanges sur le thème, en contribuant notamment à plusieurs débats et ateliers : et, 15 ans après, il peut être utile de revenir sur le thème dans un nouveau Grain de Sel. La synthèse de 2001 est construite sur une « mise en tension » entre les deux bouts de la chaine constituée par le financement (agriculture et praticiens du développement agricole d’un côté, banquiers et financiers de l’autre). On s’y réfèrera utilement pour mesurer les évolutions que le secteur a connues depuis lors.
Avant même les interrogations des spécialistes, les débats au sein de l’IR mettaient en évidence les interrogations sur l’estimation de la demande. L’importance du financement agricole pour accompagner l’autofinancement de l’agriculture familiale est reconnue, et réaffirmée, depuis la crise alimentaire de 2007-2008. Mais on peut toujours s’interroger sur les conditions — et les motivations — de l’appel à d’autres acteurs privés (investisseurs, entreprises ou fondations, nationaux et internationaux), plus ouverts à d’autres modèles d’organisation de la production agricole, et sur ses conséquences réelles sur le devenir des agricultures familiales. Bien que la faiblesse de l’offre de crédit agricole demeure un problème reconnu par les membres de l’IR, il demeure indispensable d’approfondir en parallèle, et au cas par cas, les conditions de durabilité de cette dernière et, par-là l’environnement macro-économique conditionnant les revenus, la solvabilité des exploitations familiales et la sécurisation des remboursements des prêts.
Au-delà du crédit, les réflexions dès 2001 mettaient en évidence la diversité des services financiers (épargne, crédit, assurances) dont doivent disposer les acteurs du développement agricole à commencer par les agriculteurs et l’enjeu que cela représente en termes d’innovations et d’évolutions des institutions financières. Il est particulièrement intéressant d’observer, grâce aux contributions du présent dossier, que ce mouvement n’est pas resté cantonné aux acteurs innovants des années 1980-1990, la microfinance, mais s’est élargi à d’autres acteurs financiers comme les banques commerciales ou la banque mobile.
Dans cette dynamique d’innovations, l’importance des autres services d’appui aux agriculteurs et le partenariat avec les organisations professionnelles étaient plutôt mal perçus. Les expériences actuelles montrent, au contraire, que ce « réencastrement » du financement dans un « écosystème » technique et institutionnel, souvent articulé aux filières ou « chaînes de valeur » apparait plutôt comme un gage de réussite. Encore faut-il que cette articulation ne soit pas instrumentalisée par une contractualisation déséquilibrée, fragilisant les agriculteurs familiaux dans leurs rapports avec les acteurs en amont ou à l’aval de leurs propres activités.
Enfin, le rôle de l’État était alors mal perçu des acteurs financiers, portés par la vague de libéralisation financière et soutenant une approche commerciale du secteur (crédit, mais aussi assurance agricole !), financé par les taux d’intérêt prélevés sur ses activités. L’expérience aidant, le rôle de l’État pour sécuriser le crédit et, parfois, bonifier les taux d’intérêt est, malgré un enjeu majeur de renforcement de capacités, désormais reconnu ou, à tout le moins, n’est plus tabou.
Sa capacité à orienter les financements vers une agriculture durable, à même de s’adapter aux changements majeurs (démographiques, climatiques, etc.) des prochaines décennies demeure néanmoins en jeu et l’orientation de la nouvelle génération de banques étatiques, plus que publiques, à vocation agricole et que l’on observe en Afrique subsaharienne sera à suivre de près. Mais sans dialogue et cadre de concertation avec les acteurs, organisations professionnelles d’un côté et partenaires financiers de l’autre, sans coordination entre les instances couvrant plusieurs échelles de la problématique concernées (ministères du commerce, des finances, de l’agriculture, protection sociale, etc.), le financement des exploitations familiales risque de demeurer « orphelin » encore pour longtemps.