Depuis ses origines à la fin des années 1950, la microfinance en Afrique de l’Ouest a parcouru beaucoup de chemin. A s’en éloigner en cours de route de ses objectifs initiaux ? Cet article retrace l’histoire de la microfinance en Afrique de l’Ouest, insistant sur les évolutions récentes et les défis qu’elles soulèvent.
L’histoire de la microfinance en Afrique de l’Ouest est étroitement liée à la mise en place des coopératives d’épargne de crédit (cf. encadré) en milieu rural. Dès les années 1960 et le début des années 1970, l’échec des stratégies de financement agricole à travers les banques d’État et les institutions financières spécialisées sert de terreau au développement de la microfinance. Les premières coopératives d’épargne de crédit apparaissent dès 1956 au Ghana, pour s’implanter successivement au Togo en 1969, au Burkina Faso en 1972, au Benin en 1975 puis dans les autres pays de la région.
Ces coopératives naissent à l’initiative des organisations paysannes, avec l’appui de certaines ONG comme le Centre international de développement et de recherche Canada et France. Elles constituent le socle sur lequel se construit ensuite progressivement la microfinance. Contrairement aux idées reçues, la microfinance est donc bien antérieure à la création de la Grameenbank en 1983 et au sommet du crédit de Washington en 1997.
Des coopératives d’épargne à une diversité d’acteurs. La mission de ces coopératives d’épargne de crédit est de collecter l’épargne locale, pour octroyer du crédit à ses membres. Ces crédits sont utilisés à des finalités sociales (funérailles, mariage…) mais aussi productives (agriculture, élevage, petit commerce). Aux débuts de ces coopératives, les prêts concernent des montants relativement faibles (entre 50 000 et 200 000 FCFA). Aujourd’hui, ils peuvent atteindre 50 à 200 millions de FCFA. Les taux d’intérêts annuels varient entre 10 % et 20 %.
Le paysage de la microfinance se diversifie rapidement. Dans les années 1990, il est ainsi caractérisé par une multitude d’acteurs (cf. encadré). La microfinance est alors marquée par deux logiques d’interventions. La première, à vocation sociale vise avant tout à soulager la pauvreté et à réduire les inégalités. L’autre, à vocation financière, cherche d’abord à créer une infrastructure financière pérenne pour réaliser la mission sociale de lutte contre la pauvreté. La microfinance est ainsi un champ de paradoxe, entre recherche de rentabilité financière d’une part et lutte contre la pauvreté et les inégalités de l’autre.
Un secteur de plus en plus réglementé. La crise du système bancaire dans la zone de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) et la promulgation de la nouvelle loi bancaire en 1990 entraînent des réflexions sur la nécessité d’un cadre juridique adapté à la microfinance. Un long processus participatif aboutit à une loi cadre communautaire communément appelée « loi Parmec », en 1993. Elle concerne les pays d’Afrique de l’Ouest appartenant à la zone CFA. Elle s’applique initialement aux seules institutions mutualistes ou coopératives d’épargnes et de crédit confirmant leur prédominance dans le secteur (80 % des acteurs de la microfinance). En 2007 elle est élargie aux associations et sociétés commerciales.
Cette « loi Parmec » permet d’institutionnaliser et de protéger les coopératives d’épargne et de crédit. Elle introduit une certaine régulation, en mettant en place des processus d’agrément, des normes comptables et l’obligation de respecter certains ratios financiers. Elle facilite le regroupement des coopératives en unions, fédérations et confédérations. Elle entraine parallèlement une hausse importante des exigences en termes de rapportage et de gestion des risques… des exigences aujourd’hui plus élevées que pour les banques.
Une croissance — et des défis — exponentiels. Le secteur de la microfinance est en pleine expansion. Au vide des années pionnières a succédé le « trop plein » de ces dernières années, soulevant une série de défis majeurs.
Les tendances observées font apparaître une croissance exponentielle dans le secteur à différents niveaux : augmentation du nombre de bénéficiaires, croissance des dépôts collectés, hausse de l’encours de crédit octroyés. Ainsi au 31 décembre 2015 selon la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), le secteur de la microfinance totalise dans les pays de l’Uemoa plus de 679 institutions pour 9 millions de bénéficiaires. Les dépôts collectés s’élèvent eux à plus de 881 milliards de FCFA, et les encours de crédit dépassent les 850 milliards de FCFA.
La croissance des coopératives organisées en réseau compte pour beaucoup dans cette évolution. Elle explique en effet 30 à 50 % de la croissance totale du secteur, suivant les indicateurs. La Confédération des institutions financières regroupe six grandes fédérations nationales (Burkina Faso, Bénin, Togo, Mali, Sénégal). Elle représente à elle seule 25 % des membres, 35 % des dépôts et 26 % du crédit dans la zone Uemoa.
Cette croissance s’est accompagnée d’une diversification de la clientèle et des produits financiers, ainsi que d’une augmentation importante des volumes de crédit. Ce qui n’a pas été sans poser des problèmes. Les institutions ont grossi pour absorber l’afflux des bénéficiaires mais l’accroissement des transactions ne s’est pas accompagné d’un changement de l’organisation du travail et du développement des ressources humaines capables de supporter ces transformations, ce qui a posé des défis pour la qualité de l’offre de services, la fiabilisation des clients et la sécurisation des opérations.
De plus, la démultiplication des points de service, afin de fournir une offre décentralisée et proche des clients, a entrainé des points de rupture mettant parfois à mal l’éthique de fonctionnement et de gestion. À l’origine, les coopératives d’épargne et de crédit reposent en effet sur un principe de solidarité entre les membres ainsi que d’autonomie et de répartition du pouvoir entre les membres dans la gestion des coopératives. On considérait que tout le monde pouvait s’impliquer dans la gestion de la coopérative.
En réalité, les capacités de gestion étaient souvent relativement limitées. Avec la croissance des coopératives, la diversification des produits financiers et la multiplication des caisses pour être à proximité des membres, il y a eu de véritables problèmes en termes de capacités de gestion. Le principe d’autodiscipline et de contrôle interne s’est vite retrouvé confronté à des limites. De plus en plus, des cadres ont été recrutés pour assurer ces missions de gestion et de contrôle, ayant parfois plus de pouvoir — car d’informations — sur les structures que les élus bénévoles.
Interrogations, dérives et dérapages. Cette croissance des coopératives d’épargne et de crédit a par ailleurs conduit à une injection massive de liquidités dans le secteur par les partenaires techniques et financiers. En effet, fortes de leur assise financière élargie, plusieurs coopératives ont, à partir de la fin des années 1990, obtenu de leurs partenaires des lignes de refinancement. Elles ont ainsi eu accès à beaucoup de liquidités d’un coup, sans avoir nécessairement les capacités de gestion nécessaires. Jusqu’alors, les coopératives avaient pu s’adapter au fur et à mesure de leur croissance, puisque celle-ci était nécessairement progressive car directement liée à l’augmentation l’augmentation des membres épargnants.
La croissance de l’offre de crédit — sous la pression des partenaires techniques et financiers, mais aussi des membres des coopératives qui ont des besoins de financement de plus en plus élevés — a nourri une augmentation des impayés, conduisant à une détérioration financière de ces institutions. En effet, de nombreuses IMF n’étaient pas préparées à gérer des montants de crédit élevés. Fin 2014, une dizaine de systèmes financiers décentralisés était sous administration provisoire.
Limiter la prise de risque en matière d’octroi de crédit, d’investissement et de nouveaux instruments financiers constituera un défi majeur pour les prochaînes années.
De la sécurisation financière à la recherche de profits ? Enfin, de nombreuses institutions de microfinance ont augmenté les montants des crédits octroyés afin de rechercher une rentabilité plus grande. Prêter des petits montants s’avère en effet moins « rentable », en raison des différents coûts de transaction (temps des démarches, procédures de sécurité, etc.). Pour ce faire, elles ont réorienté le crédit vers les zones urbaines, vers des clients salariés ou commerçants, et vers le secteur informel, globalement plus rentables que l’agriculture en Afrique de l’Ouest. L’octroi de crédit s’est ainsi trouvé de plus en plus orienté sur quelques gros clients créant un « effet entonnoir » : alors que l’épargne est collectée auprès de tous les membres de la coopérative, la plupart d’entre eux (en moyenne 80 % environ) sont éliminés du crédit, ce qui questionne la mission originelle de ces organisations censées permettre l’accès des populations moins favorisées aux services financiers.
Ces différentes difficultés mettent en lumière avec une extrême gravité à quel point le secteur a oublié certains de ses repères. La microfinance s’était construite sur une culture de confiance entre ses acteurs, d’accumulation progressive de l’épargne et d’apprentissage et de maitrise de l’outil. Or la croissance rapide de ces dernières années a créé une tension entre le projet d’entreprise et le projet social de la microfinance.
La question de la recherche de pérennité financière est clé mais la microfinance ne doit pas non plus devenir un nouveau « gisement minier » avec de retours sur investissement de 20 à 30 % par an.
Les exigences de rentabilité et de conformité du secteur, certes nécessaires, inoculent « un mimétisme bancaire » qui élimine progressivement l’innovation, la culture et les valeurs de l’économie sociale et solidaire entrainant une perte d’identité. La faiblesse de la capitalisation limite l’atteinte d’échelle, amenant la microfinance à créer ses propres exclus. Dans les milieux démunis, il est en effet impossible pour une IMF d’atteindre une rentabilité à court terme (moins d’an an), sauf à sélectionner les couches les plus rentables.
Enfin, on observe ces dernières années une tendance, chez les États et leurs partenaires, à vouloir transférer au secteur de la microfinance les responsabilités du développement, pour en faire un « foyer à tout faire » : promotion de l’éducation, de la santé, des femmes, de la nutrition… Cette dynamique éloigne le secteur de sa fonction première d’élargir l’accessibilité des populations aux services financiers.
Depuis plus de vingt ans, la microfinance soulève des interrogations qui restent d’actualité. La microfinance est-elle juste une stratégie de survie ? Peut-elle devenir une stratégie de croissance, par la génération de revenus grâce aux investissements qu’elle permet ? Peut-elle devenir — à une échelle plus globale — une stratégie de développement, en offrant au plus grand nombre un accès aux services financiers ? La réponse à ces questions conditionnera l’avenir de la microfinance.
Une diversité d’acteurs
Plusieurs concepts sont employés pour parler de la microfinance. Le terme retenu dans le cadre de la loi Parmec est celui de « système financier décentralisé ». Il désigne des institutions dont l’objet est d’offrir des services financiers (comme la collecte de dépôts et les prêts d’argent) à des personnes qui n’ont généralement pas accès aux opérations des banques et établissements financiers. On parle aujourd’hui de plus en plus « d’inclusion financière ». Ce concept, porté notamment par la Banque mondiale, semble vouloir replacer l’accent sur le volet social de la microfinance.
Le secteur de la microfinance regroupe aujourd’hui une diversité d’acteurs :
- Les coopératives d’épargne et de crédit sont un groupement de personnes, doté de la personnalité morale, sans but lucratif et à capital variable, fondé sur les principes d’union, de solidarité et d’entraide mutuelles. Leur objet principal est de collecter l’épargne de leurs membres et de leur octroyer du crédit.
- Les associations de crédit villageois regroupent des personnes qui mettent leurs moyens en commun pour se rendre des services. Elles ne sont pas nécessairement caractérisées par une logique d’entreprise ou de capitalisation.
- Des sociétés privées proposent également des services financiers. Elles peuvent être des sociétés anonymes, des sociétés à responsabilités limitée. Elles cherchent notamment à rémunérer le capital de leurs actionnaires.
- Les ONG et les services de l’État mettent également en place des projets de microcrédit. Pour lutter contre la pauvreté, ces projets cherchent à appliquer des taux d’intérêts faibles, voire nuls, ce qui peut nuire aux autres acteurs du secteur.
Alpha Ouedraogo (ouederalou@yahoo.fr) a été directeur général de la Confédération des institutions financières en Afrique de l’Ouest jusqu’en février 2014. Il a une trentaine d’années d’expérience dans le domaine de la mise en place, la gestion, l’expansion et la gouvernance des institutions de financement décentralisé. Au Burkina, il a œuvré à la création et au développement du Réseau des caisses populaires du Burkina Faso, l’un des plus grands réseaux d’épargne et de crédit au niveau du pays et de la région ouest africaine.
- Pour en savoir plus, nous vous recommandons la lecture de l’ouvrage Microfinance en Afrique de l’Ouest : Histoires et innovations, écrit par Alpha Ouedraogo et Dominique Gentils (Karthala, 2008).
- Le dessin a initialement été publié par Marc Roesch sur son site marc-roesch.fr. Marc Roesch est ingénieur agronome, docteur en économie rurale, chercheur au Centre international de recherche agronomique pour le développement (Cirad). Il a en particulier travaillé sur des analyses d’impact de la microfinance en milieu rural.