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publié dans Ressources le 17 février 2010

Entretien avec King David Amoah, Président du Réseau des organisations paysannes du Ghana (Fong)

Christophe Jacqmin/ecasardghana

Leaders paysan.ne.sOrganisations de producteurs et de productricesGhana

Entretien réalisé par Christophe Jacqmin (Inter-réseaux – Grain de sel) lors du Forum paysan organisé par le Fida à Rome, le 17 février 2010.

Grain de sel (GDS) : Quel est votre parcours en tant que leader paysan ?
King David Amoah (KDA) :
J’ai d’abord commencé comme leader dans ma localité, en rassemblant les paysans, en constituant des organisations paysannes locales parce que je voyais qu’il y avait des manques, des choses à faire ensemble, des préoccupations communes qui nous concernaient tous. Ensemble, nous avons donc décidé que nous devions nous regrouper, pour nous entraider, pour défendre nos droits, que nous pouvions aussi acheter des intrants et d’autres choses en étant unis. Voilà mes premiers pas de leader. Plus tard, je suis devenu président de ce groupe puis cela m’a amené au niveau régional, et du niveau régional, j’ai été sollicité au niveau national par la Fong, dont l’organisation est découpée en trois zones géographiques. J’ai ainsi été élu président dans ma zone. Pendant un atelier national, durant lequel s’est tenu une élection, les présidents des 3 zones se sont regroupés, et ensuite pendant l’assemblée générale, j’ai été élu comme président national de Fong. C’était en 2004 ou en 2005. Après ça, nous (la Fong) avons réussi à rassembler les autres réseaux d’organisations paysannes ensemble, et j’ai joué une fonction de leadership importante, pour négocier avec tous les groupes d’agriculteurs, discuter, et réussir à rassembler tout le monde dans une plateforme nationale. Et finalement, l’an dernier (2009, ndlr), en octobre, le concept a été accepté, et nous avons tenu une conférence nationale des délégués, puis une élection, pour laquelle 80 d’entre nous étions présents. Ils m’ont donc élu comme président de la nouvelle plateforme du Ghana. Avant la création de la plateforme nationale il y a eu beaucoup de négociations, et j’ai vraiment joué un rôle clé, donc on me perçoit maintenant comme quelqu’un qui peut tenir les rênes de la plateforme nationale au moins pour les 2 ans à venir, le temps de lui donner une direction, la stabiliser. Mais vous voyez, ce n’est pas très facile d’être à la fois président au niveau local, au niveau de la zone, au niveau de la Fong et au niveau de la plateforme nationale.

GDS : Comment parvenez-vous à gérer ces 4 engagements ?
KDA :
…et n’oubliez pas que je fais ceci en plus de mon métier d’agriculteur ! Le lundi je suis à Accra pour essayer de m’occuper des affaires, de rencontrer les ministres. Vous savez, il faut aller ici et là, être à la Fong, revoir les rapports, vérifier les activités qui doivent être menées, etc. À Accra, nous avons un coordinateur qui s’occupe du bureau, ainsi qu’un comptable, mais ils continuent de m’appeler dès qu’il y a un problème. Aussi, si on reçoit par exemple une lettre d’Agriterra, qui demande ceci ou cela, ils m’appellent : « peux tu venir ? », et ensuite je dois courir au bureau mais, par téléphone je peux leur donner des éléments, leur dire voilà ce que vous devez répondre, et signez pour moi. La plupart du temps on règle les affaires par téléphone.
Au moment de mon élection à la tête de la Fong, une grande question était : « est-ce que je dois quitter la présidence de ma zone ? ». Nous avons dû revoir la constitution de la Fong et interdire au président des 3 zones d’être membre du conseil national. Cette révision de la constitution doit désormais être validée.
Au conseil national, nous avons un mandat de 3 ans et pour la prochaine période d’élections, nous verrons si je vais abandonner à quelqu’un d’autre mon poste de président national ou plutôt celui de président de zone, issu du niveau local.

GDS : Combien de temps passez-vous dans vos organisations chaque mois?
KDA :
Nous avons de nombreuses réunions, car nous sommes une plateforme très jeune. Nous organisons des réunions dès que cela est nécessaire. Comme récemment, Agra voulait rencontrer les responsables de la Fong. Je leur ai dit qu’ils ne devaient pas rencontrer seulement la Fong, que nous avions une nouvelle plateforme. J’ai donc envoyé les perdiem aux différents membres de la plateforme, et leur ai demandé d’envoyer des représentants, je leur ai dit qu’Agra voulait nous rencontrer. Je ne veux pas tout faire moi-même ! Et quelques fois je délègue mon vice-président à la plateforme pour prendre les décisions, pour qu’il s’implique dans la gestion et même qu’il aille de l’avant dans la gestion des réunions.

GDS : Mais vous êtes toujours agriculteur, vous êtes obligé de passer du temps sur votre exploitation?
KDA :
Oui, mais l’aspect positif est que j’ai un gestionnaire dans mon exploitation, à qui je fais entièrement confiance, et grâce à cela je peux m’absenter et revenir seulement les week-end, jeudi, vendredi, samedi, dimanche, pour voir comment les choses ont été mises en place et avancent. Je n’ai pas une grosse exploitation, j’ai entre 5 et 8 hectares de plantation de palmier à huile, et j’ai quelques citronniers et orangers. J’ai donc un très bon gestionnaire qui fait tout. En particulier en ce qui concerne les palmiers à huile et les citrons, il faut seulement désherber et passer le pulvérisateur, ensuite il n’y a rien à faire, il faut attendre les fruits mais pendant ce temps vous êtes libre. Mais pendant la récolte, il faut être là, chercher les débouchés, etc.

GDS : Le temps que vous passez sur votre exploitation dépend donc des saisons et de la multiplicité des activités dans les organisations ?
KDA :
Oui, et il faut se libérer du temps pour les activités. Il peut y avoir des problèmes imprévus. Par exemple, nous avons rencontré un problème avec nos producteurs de tomate. Il y avait une surabondance de tomates et aucun débouché. Nous avons dû courir à droite et à gauche pour voir ce qu’on pouvait faire, rencontrer les agriculteurs, les usines de transformation, les commerçants, essayer de négocier, et contacter le ministère de l’Agriculture. Vous savez, c’était un problème très sérieux car la plupart des agriculteurs ont fui, certains se sont suicidés, parce qu’ils avaient pris des crédits et vous savez, les agriculteurs pauvres, de la base, qui prennent des crédits et ne peuvent pas les rembourser, ils se sentent déshonorés. Et pour certaines ethnies il est préférable de mourir plutôt que d’être déshonoré. Ils ont pris de la mort aux rats, du rodenticide. Nous avons donc essayé d’aller les voir, de les arrêter, de leur dire non, ce n’est pas la fin du monde, vous pouvez vous en sortir etc. Voilà la situation. Cela nous prend beaucoup d’énergie.

GDS : Cela signifie-t-il qu’en tant que leader, vous avez perdu de l’argent?
KDA :
Beaucoup! Il y a des fois, il faudrait que je sois là pour négocier la vente de mes produits mais je ne suis pas là donc les gens viennent et achètent à n’importe quel montant. Ensuite, il y a tous les problèmes de vols : les gens qui viennent récolter mes citrons en cachent une partie ; pour un arbre par exemple, ils vont dire qu’ils en ont récolté seulement 50, alors que je sais bien qu’il y a plus de 50 fruits sur un arbre. Comme je ne suis pas là pour superviser, je perds beaucoup. Une fois où je n’étais pas là, les ouvriers sont venus et ont dit qu’ils avaient travaillé 5 jours alors qu’en fait ce n’était que 2 jours… En fait, s’il n’y a pas en permanence quelqu’un pour surveiller, vous pouvez être sûr de vous faire avoir

GDS : Et pour votre vie personnelle, votre famille, ça ne doit pas être facile ?
KDA :
Ce n’est pas facile du tout, et parfois je me dis que non, je ne devrais pas rester trop longtemps absent. Ce forum par exemple, si j’avais su que cela se terminait et qu’aujourd’hui il n’y avait aucune activité majeure, je serais parti hier soir ou ce matin tôt pour Accra, ce qui m’aurait laissé le reste de la semaine pour finir, par exemple, le rapport que nous devons remettre à Agriterra. Notre coordinateur n’est pas très bon pour la rédaction de rapports, donc la plupart du temps il écrit et je dois vérifier, sinon quand on l’envoie à Agriterra, ils nous le renvoient etc. Donc maintenant il faut que je me pose, que je regarde ce qu’il a fait, et qu’on le termine en fonction de ce qui est acceptable par Agriterra.

GDS : Pour combien de temps encore êtes-vous président?
KDA :
Nous avons une constitution. Au niveau de la plateforme, le mandat est de 3 ans. Il peut être renouvelé une fois, ensuite c’est terminé. Le total est donc de 6 ans. Pour la Fong c’est pareil, 3 ans renouvelables une fois, et c’est terminé. Mais je souhaite voir comment la plateforme nationale va évoluer, dans quel sens, ensuite je vais probablement déléguer, ou peut être renoncer à ma fonction au sein de la Fong. Aujourd’hui, les autres organisations partenaires n’ouvrent pas leurs partenariats à la plateforme. Pour les activités, seule la Fong contribue. Mais je sais que l’organisation est nouvelle et que les gens sont très suspicieux. Ils jouent un rôle, ils attendent de voir si cela va marcher ou non, si cette organisation va vraiment fonctionner ou si elle va mourir prématurément. Mais nous sommes déterminés, et quand on est déterminé à faire fonctionner quelque chose, on doit lui accorder un maximum de temps, tout faire pour que cela marche!

GDS : Vous commencez donc à préparer la relève ?
KDA :
Oui, nous commençons à préparer la relève en avance, pour que les autres puissent évaluer le bon potentiel de chacun. Le premier vice-président est là, le second aussi, et il y a d’autres leaders potentiels. Quand nous allons à une réunion, même si je suis là, parfois je demande à mon vice-président de présider la réunion. Si nous allons à un atelier, je délègue beaucoup d’activités. Ensuite je m’installe en retrait comme un participant, et j’observe ce qui se passe. Cela permet aux gens de les voir et les connaître. À la fin de la journée, je les réunis et nous débriefons ensemble, nous regardons ce qui s’est passé pendant la journée.

GDS : C’est une sorte d’entraînement pour eux, pour qu’ils vous remplacent ensuite?
KDA :
Vous savez, on peut former des personnes pour la relève, mais ensuite tout dépendra aussi de ce que les gens vont choisir, vous savez c’est une élection, c’est ouvert ! Dans le cas de la Fong, il y a un article qui dit « avant de devenir président, ou avant de devenir membre du bureau exécutif, il faut avoir été membre du bureau exécutif de sa zone ». Comme cela vous êtes préparé, vous savez comment ça se passe, de quoi il s’agit au niveau national. Donc quand vous arrivez, vous n’êtes pas une nouvelle personne, vous savez comment ça se passe et vous connaissez les règles du leadership. Et quand vous devez quitter la zone, d’autres vous remplacent, etc.

GDS : Qu’allez-vous faire quand votre mandat aura expiré ?
KDA :
Je serai un membre du groupement! Mais dans la constitution, nous avons des membres d’honneur, donc nous pensons que le président sortant devrait devenir quelque chose comme membre d’honneur, ou conseiller. Mais ce ne serait pas à temps plein, comme ce que je fais en ce moment. Et malheureusement, nous remplissons totalement bénévolement notre rôle de leader, personne n’est payé pour. le rôle de leader que nous avons maintenant, nous le remplissons totalement bénévolement, personne n’est payé pour cela, et il y a des jours où je me dis « mais pourquoi est-ce que je me tue moi-même?», comme lorsque nous sommes en réunion et que quelqu’un nous appelle, car un bailleur ou un partenaire a besoin d’une information précise, etc, et qu’il faut alors se rendre sur place, traverser Accra et sa circulation qui peut être terrible, et là, vous prenez du retard, vous roulez pendant deux heures, ça prend tout votre temps.

GDS : Donc en tant que leader vous ne recevez pas du tout d’argent ?
KDA :
Non, seuls les employés au bureau sont payés. Mais si je vais à une activité et que j’achète de l’essence, alors je transmets le reçu et je suis remboursé. Et aussi quelquefois, je reçois des perdiem quand je vais pour une réunion de direction : nous voyageons quelque part, nous sommes pris en charge, ou alors nous recevront des perdiem. C’est tout ce que nous recevons, et ce n’est pas énorme, juste environ 20 mille ou 50 mille Fcfa. Pour la chambre, il faut compter 22 000 Fcfa, le reste ne coûte presque rien. C’est pour cela que certaines personnes ne veulent pas devenir leaders, parce qu’elles savent que cela prend beaucoup de temps, qu’il n’y a pas de rémunération, que tout le monde vous appelle, que si quelque chose ne va pas, tout le monde va vous le reprocher, mais si tout va bien, ils ne verront même pas ce que vous avez fait…

GDS : Pensez-vous que ce serait une solution de payer les leaders?
KDA :
Je ne pense pas qu’il faille rémunérer les leaders, leur donner seulement une indemnité serait mieux. Je pense que si vous commencez à les payer, cela va engendrer des problèmes. Si on commence à donner une indemnité pour tout le travail que l’on fait, il faut faire attention à ne pas donner trop. Et ensuite, je crois qu’il faut rester attentif et prendre en charge les problèmes. Quand je suis appelé au bureau, que j’y reste la journée entière, que je travaille, on devrait prendre soin de m’apporter un repas et même un peu d’essence pour les trajets. Mais actuellement, si vous allez au bureau, pas de repas, pas de café, vous pouvez rester toute la journée, avoir faim, appeler la secrétaire et lui demander d’acheter quelque chose à manger, mais c’est avec votre argent.

GDS : Et avec la base, comment cela se passe-t-il? Parvenez-vous à maintenir le contact avec elle?
KA :
Pas trop. La seule chose c’est que, quand je vais dans les villages où nous avons des réunions, les agriculteurs ont leurs propres activités, ils se réunissent entre eux. Des fois, nous amenons quelqu’un, ce peut être un technicien ou un professionnel du ministère, pour les former, leur apprendre quelque chose, et je dois être là avec eux. Lorsque c’est la journée de la femme, par exemple, je dois participer en tant que président, d’autant que c’est organisé par les gens des zones rurales, et que je souhaite rester en contact avec eux. Ils m’appellent, et quand ils me voient arriver ils sont très enthousiastes, « oh, notre président est venu ! ». Il faut aussi les encourager, alors qu’ils sont concentrés sur leurs activités. On leur dit : « vous devez continuer, et ne pas attendre que la Fong vienne et vous dise quoi faire ! ». Les producteurs ont leurs propres réunions, ils ont été formés, habitués à cela et, chaque jeudi, ils se réunissent ensemble et discutent de leur situations, de ce qu’ils peuvent faire ensemble.
D’une manière générale, nous nous assurons que tout est clair au niveau de la base, où nous mobilisons les agriculteurs, ainsi qu’au niveau zonal, et ensuite au niveau national. Nous organisons toujours des réunions, et même au niveau national des représentants de la base sont toujours présents. En parallèle, nous assistons aussi parfois aux réunions de la base pour voir comment les choses se passent. Enfin, nous avons aussi des réunions, ateliers, séminaires par zone. Il y a des activités qui nous rassemblent. La plupart du temps je délègue mes pouvoirs à un vice-président au niveau de la zone, je lui transmets ma contribution et ensuite, il dirige la rencontre avant de m’appeler pour me tenir au courant, avoir mon aval.

GDS : Avez-vous la possibilité de rencontrer les producteurs de toutes les régions du Ghana? Comment pouvez-vous tous les représenter ?
KDA :
Oui, quand il y a une activité importante organisée. Mais quand je n’ai pas le temps, je me contente des réunions au niveau des zones, et ensuite nous nous réunissons au niveau national et prenons en compte les rapports. Mais je n’ai pas le temps d’aller partout, je n’ai pas encore visité le sud par exemple ni le nord, et n’ai donc pas pu rencontrer les producteurs de ces zones. Je me dis que ce n’est pas très bien, donc je suis personnellement en train de chercher un moment où je pourrai y aller. _ Quand une activité importante les réunira, alors je pourrai y aller pour les rencontrer, leur parler, cela leur permettra aussi de me voir et de me connaître. Mais par ailleurs, vous savez mon premier vice-président vient de la zone nord, mon second vice-président viens de la zone sud, et moi-même je viens de la zone centrale. Donc quand nous nous réunissons, nous représentons les 3 zone.

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